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Des instantanés de la vie juive d’avant la Shoah au cœur d’une expo à Londres

L'exposition, qui présente des photos de familles de réfugiés juifs à la Wiener Library, à découvrir jusqu'au 4 novembre, révèle des moments heureux et des jours plus sombres

  • Hubert Nassau de l'équipe de natation de Hakoah datant des années 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Wiener)
    Hubert Nassau de l'équipe de natation de Hakoah datant des années 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Wiener)
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Une photo prise par Ernst Levy dans les années 1910 ou 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Wiener)
    
Une photo prise par Ernst Levy dans les années 1910 ou 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Wiener)
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L'inscription au verso de la photo de l'équipe de natation de Hakoah prise par Hubert Nassau. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
    
L'inscription au verso de la photo de l'équipe de natation de Hakoah prise par Hubert Nassau. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
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Ludwig Meumann, en uniforme à l'extrême gauche, avec sa famille dans les années 1910. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
    
Ludwig Meumann, en uniforme à l'extrême gauche, avec sa famille dans les années 1910. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
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Dorothea Jacoby, vers 1911. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
    
Dorothea Jacoby, vers 1911. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
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Gymnastes des années 1930, Lisette Pollak en haut à gauche. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
    
Gymnastes des années 1930, Lisette Pollak en haut à gauche. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
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Une photo prise par Ernst Levy dans les années 1910 ou 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
    
Une photo prise par Ernst Levy dans les années 1910 ou 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
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Une photo prise par Ernst Levy dans les années 1910 ou 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
    
Une photo prise par Ernst Levy dans les années 1910 ou 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
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Gertrude Glaser avec ses parents dans les années 1930. Son ex-mari a été arraché de la photo. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)
    
Gertrude Glaser avec ses parents dans les années 1930. Son ex-mari a été arraché de la photo. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)

LONDRES – « Pour se souvenir des jours heureux… qui ne l’étaient pas vraiment », est-il écrit au verso de la photographie d’une équipe de natation juive, un cliché pris quelques instants après sa victoire lors d’un championnat.

Cette photo de l’équipe Hakoah de Vienne, à la fin des années 1920, appartenait à Hubert Nassau. Le petit message griffonné au dos avait été envoyé par ce dernier à son coéquipier Fritz Lichtenstein, sept ans après la défaite du Troisième Reich.

Comme Lichtenstein, Nassau avait réussi à échapper aux tentatives nazies d’anéantissement des Juifs d’Europe, émigrant en Grande-Bretagne quelques mois après l’Anschluss.

La photo de Nassau – ainsi qu’une autre, remarquablement saisissante, de sa future épouse, Lisette Pollak, une autre réfugiée juive, se livrant à des prouesses en gymnastique dans les années 1930 – sont présentées dans le cadre d’une nouvelle exposition très intéressante, « ‘There was a time…’ : Jewish Family Photographs Before 1939 » (« ‘Il fut un temps…’ : Photographies de familles juives avant 1939 »), à la Wiener Holocaust Library de Londres.

L’exposition s’appuie sur les archives de la Wiener, constituées de plus de 700 documents transmis par des familles – la collection de documents la plus importante concernant les réfugiés juifs qui avaient fui l’Europe nazie et trouvé un asile au Royaume-Uni. Offert au fil des années par des réfugiés juifs et leurs familles, ce trésor comprend de vastes collections de photographies : portraits, instantanés et albums.

« Les photographies comme celles-ci sont trop souvent négligées ou utilisées comme illustrations pour d’autres documents plutôt que d’être considérées comme des clichés qui sont déterminants en eux-mêmes, et comme des œuvres d’art. Cette exposition vise à changer cette façon de voir les choses », explique Helen Lewandowski, conservatrice adjointe à la bibliothèque. « J’ai été fascinée par les différentes façons dont des photos quotidiennes et banales ont été utilisées pour façonner l’identité, affirmer l’appartenance, et entretenir le souvenir des familles juives. »

Gymnastes des années 1930, Lisette Pollak en haut à gauche. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)

Naturellement, certaines de ces images sont poignantes et déchirantes. Sur un élégant portrait figure Dorothea Jacoby – le cliché a probablement été réalisé en 1911 par son mari, Ludwig, peu après leur mariage. Le couple avait deux enfants, Henny et Hans-Bernd. Si Henny avait réussi à fuir en Grande-Bretagne en 1938, Dorothea, son mari et son fils avaient été déportés et assassinés à Auschwitz, en 1943.

L’inscription au verso de la photo de l’équipe de natation de Hakoah prise par Hubert Nassau. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)

Une légende non-datée au verso de la photo, qui a peut-être été écrite par Henny, dit simplement Es war einmal. Si cette phrase est généralement traduite par « Il était une fois » et utilisée pour commencer un conte de fées, le titre de l’exposition adopte une traduction plus littérale et ambivalente, « il fut un temps ».

Dorothea Jacoby, vers 1911. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)

La famille de Ludwig Liebermann avait eu plus de chance que celle de Jacoby. Après avoir servi pendant la Première Guerre mondiale, Liebermann avait obtenu un doctorat en chimie et il avait travaillé pour diverses entreprises industrielles, en Allemagne et à l’étranger. Mais en 1936, six ans après son mariage avec Susan Friedmann, Liebermann avait été averti par son directeur que, parce que l’entreprise ne serait plus en mesure de protéger l’employé juif qu’il était, il lui serait impossible de revenir de son prochain voyage d’affaires à l’étranger. L’année suivante, Susan et ses enfants l’avaient rejoint en Grande-Bretagne. Après leur naturalisation en 1947, Susanne et Ludwig Liebermann avaient opté pour un nom plus anglais, devenant Susan et Louis Linton.

Helen Lewandowski, conservatrice adjointe à la bibliothèque de la Shoah de Vienne. (Crédit : La bibliothèque de la Shoah de Vienne)

Les images rassemblées par Liebermann pour ses deux enfants, Eva et Albert, couvrent la période allant des années 1890 aux années 1970. Beaucoup d’entre elles datent cependant de 1905-1906 et elles illustrent l’enfance de Ludwig à Berlin. D’autres photos le montrent en jeune homme ayant quitté l’armée mais portant toujours l’uniforme aux côtés de sa mère, sur leur bateau en 1919. Ou étudiant à l’université de Berlin, ou travaillant dans son premier emploi en tant que chercheur chimiste. D’autres photos, prises au cours de la décennie précédant 1937, montrent Liebermann en jeune père fier. Mais il y a aussi un avant-goût rétrospectivement effrayant de ce qui va arriver : une photo le montre se tenant debout à côté d’une affiche électorale nazie sur laquelle le visage de Hitler ressort de façon menaçante.

Avant sa mort en 1980, Liebermann avait dactylographié des légendes pour les photos. Mais il n’est pas toujours facile de reconstituer l’histoire de ces clichés, ou même l’identité des personnes qui y figurent.

« Parfois, la personne qui nous a fait un don est en mesure de nous fournir des informations détaillées sur sa famille, ses photographies et sur les personnes représentées, mais parfois, surtout si les photos nous sont parvenues après le décès de celui qui les a réalisées, les informations sont plus rares », explique Barbara Warnock, conservatrice principale et responsable de l’éducation à la bibliothèque. « Souvent, nous ne réussissons pas à identifier tout le monde sur les images – et parfois même personne. »

Barbara Warnock, conservatrice en chef de la Wiener Holocaust Library de Londres. (Autorisation)

Néanmoins, même les images sans légende ni contexte peuvent être captivantes. Ernst Levy, qui avait grandi dans une famille aisée de la classe moyenne à Berlin au début du siècle, avait suivi une formation d’avocat et il était devenu l’associé de son père dans l’entreprise familiale de bois. Comme le montrent des négatifs récemment numérisés datant des années 1910 et 1920, Levy était également un photographe amateur compétent. Selon l’exposition, « même avec des sujets génériques et touristiques, Ernst Levy jouait avec la lumière, le cadrage, la texture, les juxtapositions étranges et les tropes classiques ».

Après la mort de son père et la saisie de l’entreprise par les nazis, Levy avait quitté l’Allemagne en 1938. Il avait été aidé par sa future femme, Helen Thilo, rencontrée lors d’un voyage d’affaires en Suisse. Née en Angleterre de parents allemands, Thilo avait grandi à Hambourg et à Berlin, avant d’utiliser son passeport britannique pour retourner au Royaume-Uni en 1937. L’exposition contient également l’album photo de Thilo, avec un voyage à Brandenberg en 1936. L’une des images, qui montre une affiche antisémite placardée dans la rue et indiquant que « les Juifs ne sont pas les bienvenus dans la station thermale de Fürstenberg ! », est légendée par Thilo avec sarcasme : « Le premier salut ! ».

Une photo prise par Ernst Levy dans les années 1910 ou 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)

Mais le fait d’avoir trouvé un refuge en Grande-Bretagne n’avait pas guéri le traumatisme des réfugiés ou atténué leur sentiment de perte et leur chagrin. Sur les photos de la collection de Mathilde Politzer, issue d’une famille de la classe moyenne de Vienne, elle prend la pose, telle une paysanne alpine, dans des portraits de studio datant de 1910 ou de 1911. Vingt ans plus tard, sa fille, Elisabeth Eisner, apparaît sur des clichés pris par des amis dans une prairie de la banlieue rurale de la ville, vers 1937. Elisabeth, qui avait perdu son emploi de sténodactylo après l’entrée des nazis en Autriche en 1938, avait quitté le pays pour la Grande-Bretagne avec un visa de domestique six mois plus tard. À la veille de la guerre, en août 1939, Elisabeth avait réussi à faire en sorte que sa mère la rejoigne au Royaume-Uni. Mais son père, Josef, l’ancien mari de Mathilde, avait été déporté et assassiné à Riga, en 1942.

Gertrude Glaser avec ses parents dans les années 1930. Son ex-mari a été arraché de la photo. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)

Une photographie ayant appartenu à Gertrude Glaser offre une représentation plus visuelle de la pression exercée sur les mariages de certains réfugiés qui avaient fui leur foyer et qui s’étaient exilés. Gertrude Glaser, dont le père était Juif et la mère catholique, avait épousé le fabricant juif Emil Glaser en 1933. Après l’Anschluss, les biens de la famille avaient été saisis et les parents, le frère et le mari de Gertrude avaient été emprisonnés. En avril 1939, Gertrude et Emil Glaser avaient émigré en Grande-Bretagne. Deux ans plus tard, cependant, leur mariage s’était dégradé, ce qui avait conduit à un long divorce à la fin des années 1940. Sur l’image – prise dans les années 1930 et montrant Gertrude, Emil et ses parents posant autour d’un banc dans un parc – la photo a été déchirée et Glaser a disparu.

« Déchirer une photo est un acte si viscéral, si lourd », explique Lewandowski. « Cela montre à quel point les photographies de famille ne sont pas seulement des images ; ce sont des objets matériels qui ont été retrouvés et manipulés, parfois de nombreuses années plus tard, de manière à pouvoir donner un sens au passé et à réagir à un traumatisme. »

Mais c’est la routine, le quotidien des familles heureuses, des personnes en vacances ou profitant de leurs exploits sportifs et de leurs loisirs qui ressortent le plus dans l’exposition.

Wally Bock déguisé en personnage du folklore allemand, dans les années 1910. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Vienne)

Des portraits ludiques, pris en studio vers les années 1910, de Wally Bock et de ses parents, montrent par exemple la famille, qui a émigré en Grande-Bretagne à la fin des années 1930, déguisée en personnages issus du folklore allemand. Sur d’autres, Ernst Kamm, un homme d’affaires qui avait combattu dans l’armée allemande pendant la Première Guerre mondiale et qui s’était inscrit dans la Home Guard dans les années 1930, est vêtu d’un costume de chasse traditionnel. Les 14 portraits de studio avaient été réalisés à la suite d’un concours organisé par le Deutscher Schützenbund, un club national allemand de tir sportif, aux alentours du mois de mai 1929. Un peu moins de dix ans plus tard, Kamm était emprisonné à Buchenwald après la Nuit de Cristal. Il n’avait été libéré qu’à la condition de quitter immédiatement l’Allemagne.

Comme le montrent de nombreuses autres images de l’exposition, contrairement aux mensonges antisémites véhiculés par les hauts responsables de l’establishment militaire après la défaite de 1918, Kamm n’avait pas été le seul Juif allemand à s’être battu pour son pays pendant la Première Guerre mondiale.

« Les photographies prises en studio montrant des soldats dans leurs uniformes ont souvent été conservées par leurs descendants », a noté Warnock. « La génération de Juifs allemands qui a servi pendant la Première Guerre mondiale était souvent patriote et elle s’identifiait fortement à son pays. »

Aucune des personnes présentées dans l’exposition n’avait été épargnée par la tragédie qui avait frappé les Juifs d’Europe quelques mois à peine après que certaines des images ont été prises. Autant d’images qui nous rappellent que leur loyauté et leur patriotisme leur avaient finalement été rendus par leur pays de la manière la plus cruelle qui soit.

Une photo prise par Ernst Levy dans les années 1910 ou 1920. (Crédit : Collections de la bibliothèque de la Shoah de Wiener)

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