Des milliers de Juifs devraient demander la citoyenneté autrichienne
De nouvelles règles permettent aux victimes du régime nazi et à leurs descendants directs d'obtenir la nationalité autrichienne sans avoir à renoncer à leur citoyenneté actuelle
JTA – Le père de Caroline Wellbery, le regretté Egon Schwarz, spécialiste de littérature allemande, a fui l’Autriche avec sa famille après l’annexion du pays par les nazis en 1938, alors qu’il avait 15 ans. Schwarz a fini par étudier aux États-Unis, puis a enseigné à Harvard et à l’université de Washington à St. Louis, dans le Missouri.
Sa fuite a été « un événement qui a profondément changé sa vie, et elle a imprégné notre foyer durant toute notre vie », confie Caroline Wellbery, médecin et professeur à l’école de médecine de l’université de Georgetown, qui vit dans le Maryland.
D’après sa fille, Egon Schwarz n’a pas ressenti d’animosité envers la nation qui l’avait chassé. Néanmoins, il a toujours eu le désir de renouer avec ses racines ancestrales.
Aujourd’hui, Caroline Wellbery, qui fêtera ses 67 ans ce mois-ci, essaie de le faire à sa place en demandant la citoyenneté autrichienne, en vertu d’un nouvel amendement à la loi sur la citoyenneté du pays qui est entré en vigueur mardi.
« Il semble qu’il y ait eu un souhait de mettre un terme à cette histoire, et c’est en partie pour cela que poursuivre dans cette voie m’intéresse », explique-t-elle.
Elle fait partie des milliers de Juifs du monde entier qui devraient faire acte de candidature. Adopté l’année dernière par le Conseil national autrichien, l’amendement permet à ceux qui ont été persécutés par le régime nazi et à leurs descendants directs (y compris les enfants adoptés mineurs) d’obtenir la citoyenneté autrichienne sans avoir à renoncer à leur nationalité actuelle – ce qui est toujours obligatoire pour les nouveaux citoyens autrichiens en dehors de cette loi.
Elle s’applique non seulement aux citoyens de l’Autriche proprement dite et des États successeurs de l’ancienne monarchie austro-hongroise, mais aussi aux apatrides qui avaient une résidence principale en Autriche, mais qui ont dû quitter le pays pour des raisons de sécurité avant le 15 mai 1955, soit une décennie après la fin de la guerre.
L’amendement est « en accord avec l’effort continu de l’Autriche pour la réconciliation avec tous ceux qui ont souffert sous le régime totalitaire nazi en Autriche », explique l’ambassade américaine d’Autriche dans un communiqué.
L’intérêt est grand, explique l’avocat Daniel Gros de Vienne, qui reçoit des « amis d’amis » du monde entier – mais surtout des États-Unis, d’Israël et du Royaume-Uni. Il conseille les candidats en tant que consultant au sein du cabinet d’avocats Lansky, Ganzger + Partner de Vienne.
Les Juifs britanniques qui n’étaient pas enthousiasmés par le Brexit ont une particularité, a-t-il ajouté : ils pourront avoir à la fois un passeport britannique et un passeport de l’UE, ce dernier étant particulièrement utile pour voyager dans toute l’Europe une fois que le Royaume-Uni aura rompu tous ses liens avec l’UE.
Le passeport est en outre attrayant pour certains Américains, comme les membres de la famille de Mme Wellbery, qui, selon elle, sont particulièrement angoissés par le chaos politique et social aux États-Unis, alimenté principalement par le président Donald Trump.
« Si les quatre dernières années se répètent, cela suscitera l’intérêt de la famille », indique-t-elle.

Zeev Maayan, 33 ans, est un Israélien qui a demandé avec succès la citoyenneté portugaise et hongroise sur la base de son ascendance dans les deux pays. Il aimerait ajouter l’Autriche à cette liste.
« En Israël, l’obtention d’une citoyenneté étrangère est comme un sport national », s’amuse-t-il. « Les gens veulent avoir d’autres options. Cela vous permet aussi de vous améliorer socialement et vous pouvez voyager dans certains pays sans inquiétude. »
Mais même l’expérimenté Zeev a été surpris par l’important intérêt pour son nouveau groupe Facebook en hébreu visant à fournir au public des informations sur le processus de candidature autrichien. En quelques jours, il comptait plus de 100 membres israéliens, dont la plupart posaient des questions techniques sur la façon de postuler : « Dois-je traduire ceci ? », ou « Où avez-vous trouvé les documents de vos ancêtres ? »
Oskar Deutsch, président de la communauté juive de Vienne et de l’association fédérale des communautés juives d’Autriche, affirme que de nombreuses personnes l’avaient déjà contacté.
« Je suis très heureux », confie M. Deutsch, qui a été consulté au sujet de la nouvelle loi par le ministère autrichien des Affaires étrangères.
Il doute cependant que la mesure ait un impact important sur la taille de la communauté, qui compte environ 8 000 membres, la plupart se trouvant à Vienne, et certains dans les villes de Linz et Graz.
Pendant la pandémie de coronavirus, « les gens ne devraient pas et ne voyageront pas beaucoup », indique M. Deutsch. « Ils ont d’autres problèmes que de décider où vivre. »
M. Gros est beaucoup plus optimiste : il s’attend à « des milliers et des milliers de demandes ».
« Je crois que cela va complètement changer la vie des Juifs en Autriche », estime Daniel Gros, 33 ans, qui est né en Allemagne dans une famille originaire d’ex-Yougoslavie. « Même si seul un petit pourcentage de personnes amènent leur famille, beaucoup de choses changeront, parce que nous aurons des Juifs du monde entier qui contribueront à la communauté. »
Selon le Musée mémorial américain de la Shoah, lorsque l’Autriche a été annexée par l’Allemagne en 1938, environ 192 000 Juifs vivaient dans ce pays, soit près de 4 % de la population totale. En décembre 1939, les trois quarts avaient émigré, et environ 65 000 Juifs autrichiens ont été assassinés pendant la Shoah.

Mais l’Autriche a été beaucoup plus lente à affronter son sombre passé nazi que l’Allemagne et d’autres pays européens. Durant plusieurs décennies après la Shoah, les gouvernements autrichiens successifs ont adhéré à une ligne qui dépeignait l’Autriche comme « la première victime » du nazisme, ignorant la mobilisation de sa société et de son infrastructure d’État pour la machine de guerre nazie après l’annexion allemande.
Alors que la société allemande, ses lois, son système judiciaire et ses autres institutions ont été dénazifiés après la Seconde Guerre mondiale, peu d’actions similaires ont été entreprises en Autriche. Des excuses officielles pour avoir été des « sbires de la dictature nazie » ont été présentées en 1994, mais les critiques affirment que le pays est encore trop avare en ce qui concerne les fonds de restitution de la Shoah et le traitement d’un grand nombre de demandes de restitution d’œuvres d’art.
Aujourd’hui, M. Gros considère que l’État s’est engagé « à faire face à son histoire, à donner aux générations suivantes ce qui a été enlevé à leurs grands-pères et à leurs grands-mères ». Le jeune chancelier conservateur autrichien, Sebastian Kurz, a renforcé les liens entre son pays et Israël ces dernières années, citant la collaboration nazie du pays comme principale motivation.
La citoyenneté allemande est ouverte depuis 1949 aux Juifs allemands qui ont survécu à l’ère nazie et à leurs descendants. D’autres pays européens ont permis aux Juifs de récupérer la citoyenneté refusée à leurs ancêtres, avec certaines restrictions. L’Espagne a promulgué une loi en 2015, conçue comme une expiation de l’Inquisition – la persécution et l’expulsion des Juifs au 15e siècle. Les Juifs séfarades ayant des racines manifestes en Espagne et connaissant la langue espagnole pouvaient recevoir des passeports jusqu’en octobre 2019 (en mai, l’Espagne a finalement prolongé la fenêtre d’un an en raison de la crise du coronavirus). Le Portugal dispose d’une loi similaire sans limite de temps et sans exigence linguistique.
La citoyenneté autrichienne sera plus pratique pour l’Israélo-Américaine Elana Dunn-Rennert, 35 ans, qui vit déjà à Vienne avec son mari et leurs trois enfants, mais doit renouveler son visa régulièrement. Elle a pris un chemin détourné vers le pays de ses racines : sa grand-mère maternelle a fui Graz en 1938 à l’âge de 3 ans avec sa famille, pour se retrouver aux États-Unis.
Des décennies plus tard, Dunn-Rennert, alors âgée de 6 ans, a quitté les États-Unis pour Israël avec ses parents. Elle y a finalement rencontré son mari, et ils se sont installés en Autriche.
Elle prévoit de demander la citoyenneté, en suivant les instructions envoyées par le leader juif Oskar Deutsch.
« Avant, j’aurais dû renoncer à mes passeports israélien et américain, et c’est quelque chose que je n’ai jamais voulu faire », explique Mme Dunn-Rennert, qui enseigne au jardin d’enfants de l’organisation de la communauté juive de Vienne.

Elle doit obtenir des documents prouvant qu’elle est liée à sa grand-mère, décédée l’année dernière. Les archives de l’organisation de la communauté juive autrichienne ont déjà fourni quelques informations sur ses ancêtres.
Il est vrai que « récupérer mon héritage autrichien est une chose pratique pour moi », reconnaît-elle. « Mais… c’est aussi un peu comme si : ‘Ils voulaient se débarrasser de nous, mais nous sommes toujours là.' »
Le citoyen américain Paul Burg, 87 ans, considère l’obtention d’un passeport autrichien comme le triomphe ultime. Né à Czernowitz (aujourd’hui Tchernivtsi) en 1933, sa famille a survécu à la guerre avec quelque 20 000 autres Juifs grâce à l’intervention de Traian Popovici, le maire de la ville, pendant la guerre.
Mais le changement de statut de Czernowitz rend sa revendication un peu délicate. Czernowitz a fait partie de l’Empire austro-hongrois jusqu’à sa dissolution en 1918, puis elle a été intégrée au Royaume de Roumanie. Après la Seconde Guerre mondiale, les forces ukrainiennes s’en sont emparées et la plupart de ses Juifs ont fui vers Israël. Depuis 1991, elle fait partie de l’Ukraine.
Néanmoins, le fait que son père y soit né alors qu’elle faisait partie de l’Empire austro-hongrois rend Paul Burg éligible à la citoyenneté en vertu du nouveau règlement. Il reçoit des conseils de Daniel Gros et de son cabinet d’avocats viennois.
« Je veux faire partie de la lutte contre l’antisémitisme et l’antisionisme en Europe », indique-t-il.
Le père de l’avocate israélienne Deborah Opolion, née aux États-Unis, est né à Vienne en 1932. À la fin des années 1970, il y est retourné avec sa famille en tant que diplomate américain. Deborah Opolion, alors adolescente, est tombée amoureuse de la ville, bien qu’elle savait que « des gens qui auraient pu être des nazis étaient encore en vie ». « C’était un endroit très calme, sérieux et sombre », dit-elle.
Aujourd’hui âgée de 55 ans, elle a souvent visité Vienne avec sa fille adolescente. Pour elle, l’atmosphère a beaucoup changé depuis son enfance.
« Il y a un sentiment plus cosmopolite, une ambiance plus jeune, plus fraîche et plus ouverte », dit-elle. « Je ne sais pas si je demanderais la citoyenneté » si c’était la même vieille Autriche.
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