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Des « veilleurs de mémoire » bénévoles alsaciens au chevet des cimetières juifs

Jadis caractérisée par l'existence de communautés juives rurales, l'Alsace compte 67 cimetières juifs, des lieux difficiles à protéger alors que les communautés se sont évanouies

Le « gardien de la mémoire » Lionel Godmet dans le cimetière juif de Jungholtz, dans l'est de la France, le 10 décembre 2019. (Crédit : SEBASTIEN BOZON / AFP)
Le « gardien de la mémoire » Lionel Godmet dans le cimetière juif de Jungholtz, dans l'est de la France, le 10 décembre 2019. (Crédit : SEBASTIEN BOZON / AFP)

Ils ne sont pas Juifs mais sont devenus les anges gardiens de cimetières juifs alsaciens, des « veilleurs de mémoire » bénévoles surveillent ces lieux voués au recueillement mais frappés par une série de profanations.

« Il y a des gens qui sont veilleurs pour les châteaux-forts en Alsace, ce n’est pas pour cela qu’ils sont châtelains. C’est notre patrimoine, c’est notre histoire » : pour Lionel Godmet, effectuer des rondes dans le cimetière juif de Jungholtz est un « engagement citoyen ».

Comme une vingtaine de personnes dans le Haut-Rhin, ce professeur de religions a rejoint le réseau des « veilleurs de mémoire » fédéré par le conseil départemental depuis le mois d’octobre. Ces bénévoles s’engagent en signant une charte à « signaler toute anomalie sur les cimetières israélites et leurs abords ». Le même dispositif se met actuellement en place dans le Bas-Rhin.

Ces dernières années, plusieurs de ces lieux ont subi des profanations. Dernière en date, celle du cimetière de Westhoffen (Bas-Rhin) où des croix gammées ont été tracées sur plus de 100 tombes début décembre.

Jadis caractérisée par l’existence de communautés juives rurales, l’Alsace compte 67 cimetières israélites, des lieux difficiles à protéger alors que les communautés se sont évanouies.

Les Juifs d’Alsace ont représenté plus de la moitié des Juifs de France au XVIIIe siècle mais ont dû attendre 1791 pour avoir le droit de revenir dans les villes, qui leur avaient été interdites au XIVe siècle.

« Il y a aujourd’hui moins de 20 000 Juifs en Alsace, sur 2 millions de personnes, et depuis la Shoah, il n’y a plus du tout de judaïsme rural », constate Philippe Ichter, chargé de mission « dialogue inter-religieux » pour les deux départements alsaciens et initiateur des « veilleurs de mémoire ».

D’où « l’idée de mettre des gens bénévolement au service des cimetières juifs, pour qu’ils veillent sur eux, sans en faire des super-héros, évidemment ».

Des « gardiens de la mémoire », Solange et Francis Laucher, dans le cimetière juif de Jungholtz, dans l’est de la France, le 10 décembre 2019. (Crédit : SEBASTIEN BOZON / AFP)

Méconnaissance

Avec une fréquence de passage laissée à leur appréciation, leur rôle consiste à assurer une présence minimale et à signaler les éventuels problèmes – ils ont pour consigne de ne pas intervenir s’ils surprennent une profanation.

« Il y en aura encore. On ne peut pas mettre un gendarme dans chaque cimetière », soupire Francis Laucher, veilleur, avec son épouse Solange, du cimetière de Jungholtz.

« On est tous les deux des Alsaciens de souche, on est des gens qui aiment l’ordre. En arriver à des choses pareilles ! Les morts, on les laisse tranquilles, zut ! », s’indigne ce maître-mécanicien à la retraite, en déambulant entre les tombes, au pied du Grand-Ballon des Vosges.

Dans ce vaste cimetière créé, en 1655 dans les douves d’un château-fort aujourd’hui disparu, cohabitent des tombes très anciennes couvertes de mousse et parfois de guingois, et des sépultures toutes neuves, sur lesquels de petits cailloux témoignent du passage récent de proches.

S’il a souffert du vandalisme nazi, avec 400 stèles brisées entre 1940 et 1944, ce cimetière n’a pas subi de profanation depuis.

Celui de Wintzenheim, sur lequel veillent les époux Tornare, non plus. Mais « on fait encore plus attention qu’avant, » confie Robert Tornare. Le couple a commencé à veiller sur le cimetière bien avant l’officialisation du statut de veilleurs de mémoire, quand il a acheté il y a 40 ans sa maison, dont les fenêtres donnent sur les lieux.

« On est catholiques mais après 40 ans, c’est devenu des amis », témoigne-t-il, racontant que son épouse jouait, petite, avec des enfants juifs du voisinage, qui lui ont proposé des années plus tard de garder la clef du cimetière.

« J’espère que ces tristes drames qui se répètent tous les six mois provoqueront un électrochoc chez d’autres concitoyens », souligne Laurent Schilli, secrétaire général du consistoire israélite du Haut-Rhin, chargé des bénévoles, même s’il se dit « pessimiste ».

« Il faut convaincre ceux qui ne sont pas déjà convaincus du problème. Ce sont des gens qui font ça sur leur temps libre, de manière bénévole, pour une communauté qui n’est pas la leur : ça va loin ! », résume-t-il.

Alors que les jeunes bénévoles ne se bousculent pas, Lionel Godmet a mobilisé ses élèves. Les collégiens ont déposé sur des tombes du cimetière de Jungholtz des galets portant des mots illustrant le combat contre l’antisémitisme, après la profanation du cimetière de Quatzenheim en février 2019.

Cérémonie d’hommage à Quatzenheim après un acte de vandalisme, le 3 mars 2019. (Crédit : FREDERICK FLORIN / AFP)

« Les élèves ne savent pas trop ce qu’est le judaïsme alors que certains habitent tout près du cimetière. Il y a beaucoup de méconnaissance, mais c’est pareil pour l’islam », déplore le professeur.

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