En Irak, douleur et chagrin pèsent sur les célébrations du Nouvel An yazidi
Près de six ans après la mise en déroute de l'EI, la communauté yazidie reste hantée par les exactions jihadistes, la mémoire des disparus et la douleur de l'exil
Les tenues de fête sont de sortie et les fidèles allument des bougies. Mais dans le nord de l’Irak, parmi les centaines de Yazidis venus au temple de Lalish célébrer leur Nouvel An, Omar Sinan n’oublie pas « le chagrin qui refuse de s’effacer ».
Près de six ans après la mise en déroute du groupe Etat islamique (EI), la communauté yazidie reste hantée par les exactions jihadistes, la mémoire des disparus et la douleur de l’exil au moment où cette minorité kurdophone n’a pas encore retrouvé son foyer historique du Sinjar, dévasté par les combats dans le nord de l’Irak.
Sur les hauteurs de Chikhan, dans la cour du temple de Lalish, 365 lampes à huile –une pour chaque jour de l’année – s’allument avec le coucher du soleil à la veille du Nouvel An yazidi, qui commémore la création de l’univers par les anges et célèbre la nature et la fertilité.
Pieds nus en signe de respect au temple sacré, des hommes vêtus de blanc ont endossé leurs vestons brodés, des femmes ont sorti des coiffes traditionnelles serties de pièces dorées, posées sur un voile blanc. Certaines sont drapées dans une longue tunique blanche serrée à la taille.
« Avant notre joie était plus grande. Mais aujourd’hui (…) on ne peut pas oublier les évènements que les Yazidis ont vécus », confie à l’AFP Omar Sinan, père de trois enfants.
En août 2014, les jihadistes ont déferlé au Sinjar, où depuis des siècles vivaient les Yazidis, adeptes d’une religion ésotérique monothéiste mais considérés par l’EI comme des hérétiques.
Des milliers d’hommes ont été massacrés, des femmes enlevées pour être vendues comme épouses aux jihadistes ou réduites à l’esclavage sexuel.
« Pour l’éternité »
« Depuis le génocide, il y a toujours dans nos cœurs un chagrin qui refuse de s’effacer et qui vivra en nous pour l’éternité », poursuit M. Sinan, enseignant en mathématiques de 37 ans qui vit près de Chikhan. « Mais malgré tout, nous continuerons d’accomplir nos rituels religieux ».
A l’occasion du Nouvel An, les familles se recueillent sur les tombes de leurs proches. Ceux qui en ont les moyens égorgent un mouton, servi à table et distribué comme aumône aux pauvres.
Mardi, les autorités irakiennes ont décrété que le premier mercredi d’avril sera désormais un jour férié pour les Yazidis.
Malgré les persécutions et les discriminations, Faleh Jomaa, 60 ans, a choisi de rester en Irak et de ne pas suivre ses quatre frères, tous partis en Allemagne.
« La communauté yazidie a été victime de 74 génocides tout au long de son histoire. Mais à chaque fois elle renaît, comme les plantes qui sortent des entrailles de la Terre pour que la vie continue », lance cet ancien professeur d’arabe, venu à Lalish avec sa femme et ses trois enfants.
« Ne pas oublier »
Le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani a récemment rappelé que le Sinjar attendait toujours l’adoption de « mesures politiques et sécuritaires » pour garantir le retour des 200 000 déplacés ayant majoritairement trouvé refuge au Kurdistan autonome.
Le gouvernement avait alloué en mars 38,5 millions de dollars à un fonds nouvellement créé pour la reconstruction du Sinjar et de la plaine de Ninive, ravagés par les combats.
Car seule une poignée de familles a choisi de rentrer, leur région souffrant encore « du manque de logements adéquats et de services de base, y compris l’eau courante, l’électricité, les soins et l’éducation », déplorait en août l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Aujourd’hui encore des charniers sont exhumés au Sinjar. Et plus de 2 700 personnes sont portées disparues, selon l’OIM, qui assure que certains sont aux mains du groupe Etat islamique.
Réfugiée en Bavière avec son mari et ses huit filles, Khawla Abdou a tenu à célébrer son Nouvel An à Lalish.
« Nous sommes venus prier Dieu en ce jour sacré pour qu’il libère nos filles encore aux mains de notre ennemi », se lamente cette grand-mère de 67 ans. « Que Dieu exauce notre souhait, car on ne peut pas oublier nos filles. Et on n’oubliera jamais ce qui s’est passé au Sinjar ».