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En Irak, Washington fait cavalier seul et agace ses alliés à Bagdad

Pour les diplomates occidentaux en Irak et les gradés américains sur le terrain, le tir de drone qui a tué le général iranien Qassem Soleimani ouvre une page de fureur et de chaos

L'ambassade américaine à Bagdad, en Irak, en 2014. (Crédit : Domaine public/Ambassade américaine)
L'ambassade américaine à Bagdad, en Irak, en 2014. (Crédit : Domaine public/Ambassade américaine)

L’assassinat de Soleimani sur ordre de Donald Trump a porté un rude coup aux relations de Washington avec ses partenaires à Bagdad : les alliés étrangers de la coalition antijhadistes se demandent comment réparer les dégâts, et les Irakiens veulent désormais expulser les troupes américaines.

Ajoutant un peu plus à la confusion, lundi soir, le commandement américain à Bagdad a informé les Irakiens du retrait de ses troupes… avant que Washington n’évoque une lettre envoyée par erreur !

Pour les Etats-Unis, le tir de drone qui a pulvérisé le 3 janvier les voitures de Qassem Soleimani et d’Abou Mehdi al-Mouhandis, patron des paramilitaires pro-Iran en Irak est un point marqué pour « la paix et la stabilité » au Moyen-Orient.

Mais, pour les diplomates occidentaux en Irak et les gradés américains sur le terrain, c’est une toute autre page, de fureur et de chaos, qui s’ouvre.

« Cette frappe a été une surprise pour nous tous », assure à l’AFP un diplomate occidental sous le couvert de l’anonymat.

Abou Mehdi al-Mouhandis. (Crédit : Wikimédia)

« C’est maintenant très compliqué de parler avec les Américains. Nous parlons beaucoup entre membres de l’Union européenne mais les Américains sont pris par leurs propres problèmes. »

La frappe de drone est survenue en pleines vacances de fin d’année à Bagdad, désertée par la plupart des ambassadeurs, laissant des chancelleries en ébullition tentant de dénouer les fils d’un assassinat dont la déflagration pourrait dépasser le seul Moyen-Orient.

La plupart des diplomates refusent aujourd’hui de discuter publiquement des relations au sein de la coalition antijihadistes emmenée par Washington.

« Dans la m… »

De son côté, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo n’hésite pas à se monter accusateur sur la chaîne Fox News, porte-voix des Républicains de Donald Trump : « les Européens n’ont pas été aussi utiles que j’aurais espéré » dans le sillage de cette opération ciblée, a-t-il dit.

« Les Britanniques, les Français, les Allemands, tous doivent comprendre que ce que nous avons fait a permis également de sauver des vies en Europe », a-t-il argué.

Et le fossé ne se creuse pas seulement entre diplomates. Les militaires de la coalition antijihadistes emmenée par les Américains aussi le voient s’élargir.

« On dirait qu’on a mis nos alliés occidentaux ‘dans la merde' », lâche, amer, un responsable militaire américain en Irak.

Depuis l’assassinat de Soleimani et Mouhandis, le Parlement irakien a voté l’expulsion des forces de la coalition antijihadistes – surtout des 5 200 soldats américains en son sein – et les tirs incessants de roquettes ont forcé l’Otan et la coalition à se consacrer uniquement à leur protection.

Dans les couloirs des état-majors, les Américains rasent les murs, assure un autre responsable militaire américain à l’AFP.

Les autres membres de la coalition « ne nous regardent plus dans les yeux ». « Imaginez, vous appartenez à une équipe et un type tout seul décide de frapper dans son coin ! », dit-il.

Quand aux Irakiens, ils sont en pleine « crise de confiance », assure un responsable des services de sécurité irakiens. En fait, assure-t-il, « les Irakiens et les Américains ont quasiment cessé de se parler », affirme-t-il à l’AFP.

« Aveuglement total »

Pire encore, la frappe américaine a mis en danger l’ensemble des forces de la coalition, leurs Etats et leurs représentants, pour beaucoup basés dans la Zone verte où se trouve l’ambassade américaine, récemment attaquée par des milliers de pro-Iran et des tirs de roquettes à répétition, assurent diverses sources.

Des miliciens pro-iraniens et leurs partisans ont mis le feu tandis que des soldats américains tirent des gaz lacrymogènes lors d’un rassemblement devant l’ambassade des États-Unis à Bagdad, en Irak, le 1er janvier 2020. (Crédit : Khalid Mohammed / AP)

« Que ce soit intentionnel ou pas, les Etats-Unis ont créé une menace au-dessus des têtes de leurs alliés sur le terrain – civils comme militaires », assure à l’AFP Robert Ford, chercheur au Middle East Institute.

Lui-même en poste à l’ambassade américaine dans les années 2000, M. Ford avoue ne pas saisir la stratégie américaine, avec une administration Trump qui ne travaille pas en coordination ni ses troupes sur le terrain ni avec ses alliés, et les laissent « gérer seuls les conséquences » des décisions prises à Washington.

« L’administration Trump demande à ses alliés européens de lui signer un chèque en blanc alors même que les Etats-Unis ont été incapables de présenter un plan sur le long terme pour l’Iran », assure M. Ford.

Pour Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po à Paris, comme en 2003 lorsqu’ils envahissaient l’Irak, les Etats-Unis sont dans un « aveuglement total quant aux conséquences immédiates d’un coup de force américain à Bagdad ».

« Le plus troublant dans l’escalade américaine est l’absence de toute stratégie proprement irakienne, ce qui ne peut que déstabiliser les alliés des Etats-Unis » au sein de la coalition, assure à l’AFP ce spécialiste du Moyen-Orient.

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