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États-Unis : Les groupes universitaires anti-Israël se radicalisent sans rencontrer d’opposition – experts

D'anciens responsables de la sécurité estiment que la rhétorique de plus en plus violente qui est utilisée sur les campus ressemble à celle des étudiants qui, dans les années 1960, s'étaient tournés vers le terrorisme intérieur

Des manifestants anti-israéliens protestent devant l'université Columbia, le 3 septembre 2024, à New York. (Crédit : AP Photo/Yuki Iwamura)
Des manifestants anti-israéliens protestent devant l'université Columbia, le 3 septembre 2024, à New York. (Crédit : AP Photo/Yuki Iwamura)

NEW YORK — Ces jours-ci, Brian Cohen, directeur exécutif du Kraft Center for Jewish Student Life à l’université de Columbia, passe plus de temps qu’il ne le souhaiterait à expliquer aux administrateurs du campus la signification des messages postés sur les réseaux sociaux – qu’il s’agisse de la photo tristement célèbre d’un homme levant ses mains ensanglantées lors du lynchage de Ramallah, en l’an 2000, ou d’autres images qui mettent en exergue le triangle rouge inversé qui est utilisé par le groupe terroriste du Hamas pour désigner ses cibles.

« L’administration doit comprendre qui est ce type qui a les mains en sang pour comprendre pourquoi ce message est tellement problématique », dit Cohen. « Personnellement, j’ai peur pour la sécurité de notre communauté et pour la sécurité de tous les étudiants de l’université ; je peux tout à fait imaginer un étudiant, quel qu’il soit, qui se trouvera tout à coup incité à commettre quelque chose de violent ».

Les mains ensanglantées sont un symbole très controversé en Israël. Il fait entre autres référence aux Palestiniens qui ont fièrement lynché Yosef Avrahami et Vadim Norzhich, deux réservistes israéliens qui s’étaient égarés le 12 octobre 2000 à Ramallah. Les assassins les avaient massacrés de leurs propres mains avant de danser sur leurs corps mutilés, pendus et brûlés devant une foule de Palestiniens qui les encourageaient. Une photo d’un de ces Palestiniens avec les mains ensanglantées est restée depuis dans les mémoires.

Depuis le début du semestre d’automne, le groupe Columbia University Apartheid Divest (CUAD), une coalition anti-israélienne qui rassemble plus de 100 organisations étudiantes, utilise une rhétorique et des illustrations explicitement violentes dans ses messages en ligne. Dans une déclaration datant du 8 octobre, le groupe de coordination a écrit que « nous soutenons la libération par tous les moyens nécessaires, y compris par le biais de la résistance armée. Face à la violence de l’oppresseur équipé de la force militaire la plus meurtrière de la planète, lorsque tous les moyens pacifiques de résolution du problème ont été épuisés, la violence est dorénavant la seule voie à suivre ».

Dans sa déclaration, le groupe CUAD est également revenu sur les excuses qu’il avait présentées au printemps dernier après la diffusion d’une vidéo particulièrement controversée. Dans ce clip, l’un de ses membres, Khymani James, étudiant à l’université de Columbia, déclarait : « Soyez heureux, soyez reconnaissants que je ne me contente pas d’assassiner des sionistes ». Si la vidéo avait été réalisée au mois de janvier dernier, l’université n’avait banni James du campus qu’au mois d’avril, lorsque ces images avaient attiré l’attention.

Au vu de ces faits, les étudiants et les professeurs de Columbia se demandent ce qu’il faudra faire pour que les forces de l’ordre commencent à enquêter sur les groupes qui se livrent à des incitations à la violence – des propos qui, contrairement à la diffusion d’un discours de haine, ne sont pas protégés par le Premier amendement. (La police de New York et le FBI ont refusé tout commentaire dans le cadre de cet article).

Mitch Silber, directeur-exécutif de la Community Security Initiative. (Autorisation)

« Je suis très inquiet parce que j’ai déjà vu le même film », dit Mitch Silber, directeur exécutif de la Community Security Initiative (CSI). La CSI est une initiative qui a été conjointement mise en place par la Fédération UJA de New York et par le Jewish Community Relations Council of New York (JCRC), et qui vise à protéger la communauté juive de New York City.

Avant de rejoindre le CSI, Silber a été le directeur du Bureau d’analyse des renseignements au sein du département de la police de New York City. Aujourd’hui, il enseigne le terrorisme à l’École des Affaires internationales et publiques de l’université et il indique qu’il voit des parallèles entre les groupes anti-israéliens qui évoluent actuellement sur le campus et les Étudiants pour une société démocratique (SDS), un groupe qui, à la fin des années 1960, s’opposait entre autres à l’engagement des États-Unis au Vietnam.

« Ils ont manifesté et encore manifesté – mais rien n’a changé en matière de politique étrangère aux États-Unis. Finalement, certains étudiants ont fait scission et ils ont formé le Weather Underground qui s’est tourné vers le terrorisme intérieur », explique-t-il.

« Aujourd’hui, plus d’un an après le début des manifestations, des campements et des occupations de bâtiments, rien n’a changé. Les protestataires n’arrivent pas à leurs fins et la rétractation du CUAD nous montre qu’ils deviennent de plus en plus radicaux. Nous sommes sur la même trajectoire », ajoute Silber.

Selon une liste parue sur internet, les organisations rassemblées au sein du CUAD comprennent des groupes ouvertement pro-palestiniens, mais aussi des clubs qui n’entretiennent apparemment aucun lien avec la guerre à Gaza – comme le Columbia Queer and Asian, la BOSS Barnard Organization of Soul and Solidarity, le groupes Reproductive Justice Collective, Global Learning Exchange, Third Wheel Improv et Columbia Chicanx Caucus.

Les plus radicaux sont des organisations anti-israéliennes – Students for Justice in Palestine, Jewish Voices for Peace et d’autres membres du CUAD qui ont pris part à des sessions de formation avec des groupes extérieurs, notamment avec Within Our Lifetime et avec les activistes de Samidoun, un réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens.

Parmi ces formations, une conférence organisée en distanciel et intitulée « Resistance101 ». Au cours de cette conférence, les étudiants avaient été informés que « il n’y a rien de mal à être membre du Hamas, à être un dirigeant du Hamas, à être un combattant du Hamas ». Quatre étudiants avaient été suspendus et expulsés de leur chambre universitaire par l’établissement d’enseignement supérieur pour le rôle qu’ils avaient tenu lors de cette conférence.

Des échauffourées à l’université de Princeton alors que des étudiants bloquent un bâtiment du département de la Défense sur le campus de l’université de l’Ivy League, le 23 avril 1969. (Crédit : AP Photo)

Samidoun entretient des liens avec le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui avait commis certains des attentats terroristes les plus meurtriers de toute l’Histoire d’Israël avant le pogrom qui avait été perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023. Il s’était notamment rendu coupable d’attentats-suicides et de détournements d’avions.

La semaine dernière, les États-Unis et le Canada ont inscrit Samidoun sur leur liste noire des organisations terroristes. Une désignation qui comprend l’un de ses principaux dirigeants, Khaled Barakat, qui avait participé à la table ronde de « Résistance 101 ».

L’Allemagne et les Pays-Bas ont également interdit récemment le groupe Samidoun parce qu’il avait soutenu le massacre du 7 octobre – ce jour-là, plus de 1 200 personnes avaient été assassinées dans le sud d’Israël et 251 personnes avaient été kidnappées, prises en otage dans la bande de Gaza. Israël, pour sa part, considère l’organisation comme un groupe terroriste depuis 2021.

Mais si ces désignations doivent servir de signal d’alarme pour les personnes en charge du campus, elles ne signifient pas pour autant que les forces de l’ordre, à l’extérieur de l’enceinte de l’université, lanceront des enquêtes sur les groupes étudiants, note Silber.

Des membres du réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens brandissant des drapeaux palestiniens lors de la manifestation du « 1er mai révolutionnaire », à Berlin, le 1er mai 2023. (Crédit : John MacDougall/AFP)

« Le lien n’a de sens que rétrospectivement, s’il y a une enquête approfondie qui révèle l’existence de liens entre Samidoun et les groupes du campus. Les organisations, sur le campus, devront franchir un certain seuil pour qu’une telle chose se produise », explique Silber.

En bref, les appels à la violence ne sont pas encore assez précis pour justifier une enquête officielle, dit-il.

Ce qui ne signifie pas par ailleurs que la police, à l’extérieur, est dans l’ignorance des messages transmis par les groupes.

Comme l’explique un autre ancien agent des forces de l’ordre au Times of Israel, la police de New York « parcourt régulièrement les réseaux sociaux accessibles au public » – avec, entre autres, Instagram, Facebook et Reddit – pour surveiller ce qui se passe dans la ville.

Les appels à la violence n’ont pas leur place à Columbia

Alors qu’il lui était demandé si elle avait appelé la police en renfort et si l’université prendrait des mesures disciplinaires à l’encontre des étudiants qui ont signé la déclaration du CUAD du 8 octobre en raison de son soutien ouvert à la résistance armée, Columbia a refusé de répondre.

« Les déclarations prônant la violence sont contraires aux principes fondamentaux sur lesquels cette institution a été fondée. Les appels à la violence n’ont pas leur place à Columbia ou dans toute autre université », a déclaré Millie Wert, qui est directrice-adjointe des relations avec les médias de Columbia.

Plusieurs étudiants et professeurs interrogés dans le cadre de cet article ont déclaré qu’ils trouvaient inacceptable le positionnement qui a été adopté par l’institution.

Un activiste anti-israélien casse une fenêtre du bâtiment Hamilton Hall, à l’université de Columbia, pour installer une chaîne empêchant l’entrée des autorités dans l’immeuble à New York City, le 30 avril 2024. (Crédit : Alex Kent/Getty Images/AFP)

« Il est incroyable que l’université permette à une coalition de 116 groupes d’étudiants de s’en sortir après la publication d’une déclaration appelant à la violence et défendant l’assassinat de sionistes », s’insurge Tal Zussman, qui prépare un doctorat en informatique. « Le fait qu’il n’y ait eu aucune conséquence pour ces groupes est une abdication totale de responsabilité », ajoute-t-il.

« Franchement, c’est effrayant de voir que le Barnard Gardening Club [club de jardinage du Barnard College], par exemple, semble penser que le meurtre de sionistes est une sorte de déclaration politique légitime. C’est discriminatoire. Pourquoi ont-ils besoin de prendre position sur ce conflit ? », s’interroge Zussman.

De la même manière, Amy Werman, qui est professeure à l’École de travail social, confie avoir été alarmée par ce dernier appel à la violence.

« Ce type de rhétorique violente crée un environnement hostile au sein de ces groupes et elle a déjà poussé des étudiants juifs et israéliens – et, en fait, de nombreux étudiants sachant faire preuve de raison – à quitter les clubs qui ont intégré le CUAD. L’université doit agir immédiatement pour résoudre ce problème », pense Werman.

Le Premier amendement n’est pas une carte de sortie de prison

Le langage et les actions de plus en plus incendiaires de la part du CUAD et de la part d’autres groupes sont des préoccupations qui doivent être prises en compte, selon Richard Priem, qui préside l’organisation à but non-lucratif Community Security Service (CSS). Il rappelle que le Premier amendement ne protège pas contre les obstructions à la justice, la prise de contrôle des bâtiments universitaires ou les actes de vandalisme qui prennent ces derniers pour cible.

« Évidemment, je suis favorable à l’idée qu’une surveillance soit exercée sur tous les groupes qui enfreignent la loi. Je comprends parfaitement l’importance de la liberté d’expression, mais les administrations universitaires devraient appliquer une politique de tolérance zéro pour ce type de discours. Elles ne devraient pas fermer les yeux », dit-il.

Richard Priem, président du Community Security Service. (Autorisation)

« Mais dans mes conversations avec les forces de l’ordre, je constate qu’on craint que si elles devaient agir avec fermeté, elles ne viennent empiéter sur la liberté d’expression. Personne ne veut être accusé de violer le Premier amendement », ajoute-t-il.

Un autre ancien officier de renseignement, qui s’exprime auprès du Times of Israel sous couvert d’anonymat, indique que le ministère de la Sécurité intérieure garde, lui aussi, probablement un œil sur certains de ces groupes qui gravitent sur les campus.

En effet, le 1er octobre, le Département de la sécurité intérieure (DHS), qui avait été créé après le 11 septembre, a publié une fiche d’information intitulée Federal Campus Safety Resources (Ressources fédérales de sécurité sur les campus). Cette fiche est destinée à aider les services de sécurité publique, dans les universités, et à mettre à leur disposition les ressources fédérales « pour aider à se préparer et à prévenir la violence ciblée et le terrorisme dans notre pays ».

De plus, le DHS a également publié un document intitulé « Campus Safety Placemat » qui demande aux étudiants protestataires « d’éviter la violence, les actes d’intimidation et le harcèlement ». (Le DHS a refusé tout commentaire dans le cadre de cet article).

Par ailleurs, Silber souligne que ce qui se passe actuellement à Columbia continuera probablement à influencer ce qui se passe sur les campus du pays.

« Columbia est l’épicentre de l’intifada étudiante aux États-Unis. Ce qui se passe à Columbia se projette à l’extérieur. Nous l’avons constaté avec le campement et maintenant nous avons à Columbia un étudiant qui a déclaré que tuer quelqu’un est préférable pour le monde », fait remarquer Silber.

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