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Evan Gershkovich, un intrépide reporter emprisonné en Russie

Le journaliste juif est accusé par les autorités russes "d'espionnage" pour avoir collecté des informations sur une usine de chars russes pour le compte de la CIA

Le journaliste américain Evan Gershkovich, arrêté pour espionnage, se tient à l'intérieur de la cage des accusés avant l'audience d'examen d'un appel sur sa détention préventive prolongée au tribunal de la ville de Moscou, le 19 septembre 2023. (Crédit : NATALIA KOLESNIKOVA / AFP)
Le journaliste américain Evan Gershkovich, arrêté pour espionnage, se tient à l'intérieur de la cage des accusés avant l'audience d'examen d'un appel sur sa détention préventive prolongée au tribunal de la ville de Moscou, le 19 septembre 2023. (Crédit : NATALIA KOLESNIKOVA / AFP)

Le journaliste américain Evan Gershkovich, condamné vendredi en Russie à 16 ans de prison sur une accusation d’espionnage jamais étayée, s’est bâti une réputation de reporter déterminé à décrire, malgré les risques, un pays refaçonné par le conflit en Ukraine et la répression.

Correspondant du Wall Street Journal, âgé de 32 ans, il avait été arrêté le 29 mars 2023 à Ekaterinbourg, puis poursuivi dans une affaire d’une gravité inédite pour un journaliste étranger depuis la fin de l’URSS.

C’est dans cette ville de l’Oural, qu’il a été condamné vendredi à l’issue d’un procès à huis clos expéditif de seulement trois audiences.

Dans la salle du tribunal, il se tenait debout, les bras croisés au moment du verdict, le crâne rasé – coupe réglementaire des prisonniers en Russie – et une barbe naissante sur son visage fatigué.

Evan Gershkovich est accusé par les autorités russes « d’espionnage » pour avoir collecté des informations sur une usine de chars russes pour le compte de la CIA.

Lui, ses proches, son employeur et son pays rejettent ces accusations que la Russie n’a jamais étayées, et dénoncent une affaire fictive et une prise d’otage. Le Kremlin a encore refusé de se prononcer vendredi matin, arguant du caractère « sensible » de ce type de dossiers.

Le journaliste américain Evan Gershkovich, accusé d’espionnage, se tient à l’intérieur de la cage en verre des accusés lors de l’annonce du verdict au tribunal régional de Sverdlovsk à Ekaterinbourg, le 19 juillet 2024. (Crédit : Alexander NEMENOV / AFP)

« Force » et « résilience »

En détention provisoire à Moscou dans la prison de Lefortovo, tenue par le FSB, Evan Gershkovich expliquait ces derniers mois, dans ses lettres, souffrir de la monotonie de sa détention

Mais il raconte aussi garder le moral, multipliant les traits d’humour dans ses courriers et racontant être au courant des derniers ragots sur les carrières et les vies amoureuses de ses amis.

Il disait aussi attendre sa condamnation pour être transféré dans une colonie pénitentiaire où il devrait théoriquement avoir plus d’activités et d’interactions sociales, ainsi que voir plus souvent le ciel. A Lefortovo, les détenus sont très isolés et en cellule 23 heures par jour.

Lors d’audiences où la presse était autorisée à le filmer quelques minutes, sans lui adresser la parole, le reporter accueillait les journalistes qu’il connaissait avec le sourire, ou en faisant un signe de cœur avec les mains.

En décembre 2023, sa famille avait évoqué avec admiration « sa résilience et sa force inébranlable », dans une lettre publiée par le Wall Street Journal.

Danielle Gershkovich, sœur du journaliste détenu Evan Gershkovich, ouvre une photo de son frère et de ses parents dans son album de mariage, dans l’appartement de Danielle à Philadelphie, Pennsylvanie, le 27 février 2024.
(Crédit : Kriston Jae Bethel / AFP)

A rebours de nombreux journalistes américains qui ont quitté la Russie dans la foulée de l’assaut contre l’Ukraine, en février 2022, Evan Gershkovich avait fait le choix de continuer ses reportages.

Attaché à décrire la façon dont les Russes vivaient le conflit, il s’était entretenu avec des proches de soldats tués, des détracteurs du président Vladimir Poutine, ou s’était penché sur les effets des sanctions sur l’économie russe.

Lors de son arrestation à Ekaterinbourg, il semblait travailler sur des sujets sensibles : l’industrie de l’armement russe et le groupe paramilitaire Wagner.

Ouvert et sociable

Originaire du New Jersey, près de New York, Evan Gershkovich s’était illustré par la qualité de ses reportages en Russie, pays de ses racines dont il connaît les règles et les superstitions. Ses parents, des Juifs soviétiques ayant fui l’URSS à la fin des années 1970, les lui avaient inculquées.

Diplômé d’anglais et de philosophie, il avait choisi de faire le chemin inverse et de s’installer en Russie.

En 2017, parfaitement russophone, il quitte un emploi d’assistant de rédaction au New York Times pour rejoindre le Moscow Times, principal média anglophone à Moscou, interdit en juillet par la justice russe.

Pendant environ quatre ans, il relate la répression de l’opposition, les catastrophes écologiques, les ravages du Covid ou encore les traditions russes, comme l’art du bania, le bain de vapeur russe qu’il fréquentait assidûment.

D’un naturel ouvert, toujours prompt à rire, il sait « mettre à l’aise toutes ses sources, car il leur fait toujours sentir qu’il tient profondément à leurs histoires », racontait en avril 2023 à l’AFP Pjotr Sauer, journaliste au quotidien britannique The Guardian et ami proche d’Evan Gershkovich.

russi Le journaliste Evan Gershkovich, le 24 juillet 2021. (Crédit : Dimitar Dilkoff/AFP)

Lorsqu’il rejoint le bureau de Moscou de l’AFP, fin 2020, il continue sur cette lancée, racontant l’histoire d’un opposant russe faisant campagne depuis sa prison, ou le quotidien de pompiers combattant les vastes feux de Sibérie.

Ce fan de foot et joueur amateur se plonge aussi dans l’histoire du Sheriff Tiraspol, club de la région séparatiste prorusse moldave de Transnistrie, qui avait joué en Ligue des Champions en 2021.

Début 2022, il rejoint le prestigieux Wall Street Journal, quelques semaines avant l’assaut russe contre l’Ukraine.

Plein d’humour, même en détention, il avait par exemple taquiné sa mère, dans une de ses lettres, en évoquant le gruau russe qu’elle lui préparait dans son enfance, un plat bourratif servi dans les foyers comme dans les cellules du pays.

Selon lui, cette cuisine maternelle l’avait préparé, « pour le meilleur ou pour le pire », à la prison.

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