Expulsé, le militant des droits humains de Human Rights Watch jure de persévérer
Omar Shakir dit qu'il continuera à se battre contre les implantations depuis la Jordanie

Quelques heures avant d’embarquer à bord d’un avion pour la Suède, Omar Shakir, militant des droits humains expulsé de l’Etat juif, a juré de continuer, voire d’intensifier son travail documentant ce qui constitue selon lui, de vastes violations aux droits humains en Israël et dans les Territoires palestiniens.
Shakir, à la tête du département Israël/Palestine au sein de l’organisation Human Rights Watch basée à New York, a déclaré qu’il informerait au cours des prochains jours divers gouvernements sur son cas et qu’il reviendrait ensuite dans la région pour continuer son ouvrage. Même si son visa israélien a été révoqué, il conservera son poste actuel et travaillera désormais depuis Amman, en Jordanie, a-t-il continué.
« Aujourd’hui marque l’apogée d’efforts livrés depuis des années pour museler Human Rights Watch ainsi que le mouvement des droits humains plus largement », a déclaré Shakir lors d’une conférence de presse qui était organisée à l’American Colony Hotel, à Jérusalem-Est.
« Malgré mon expulsion aujourd’hui, le gouvernement israélien a échoué à réduire au silence Human Rights Watch et le mouvement de défense des droits humains », a-t-il poursuivi. « Le monde parvient à discerner la réalité à travers les calomnies variées rattacher à ce dossier ».
Israël a pris la décision d’expulser Shakir en raison de son soutien présumé au mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) anti-israélien. Shakir, pour sa part, insiste sur le fait que ni lui au niveau individuel, ni l’organisation n’ont jamais appelé au boycott de l’Etat juif.
Dans le même temps, Shakir a souligné qu’il avait appelé les firmes opérant en Cisjordanie à éviter toute complicité avec l’entreprise israélienne d’implantations ».
Today is the day.
Today is the day that Israel deports Human Rights Watch's Israel-Palestine Director, @omarsshakir, for doing his job.
It won't stop us investigating and reporting human rights abuses there. pic.twitter.com/n6lAQIxtXt
— Human Rights Watch (@hrw) November 25, 2019
L’expulsion, qui a été maintenue par la Cour suprême, fait de Shakir le tout premier individu à être écarté du territoire israélien selon les termes d’une loi controversée adoptée en 2017 qui permet l’expulsion des étrangers soutenant un boycott d’Israël ou des implantations, selon les autorités.
Citant les appels lancés par le secrétaire-général des Nations unies Antonio Guterres, l’Union européenne et des militants du monde entier, qui avaient vivement recommandé au gouvernement israélien d’abandonner son projet d’expulsion de Shakir, il a expliqué que le fait qu’il soit toutefois dans l’obligation de quitter le pays avait clairement établi « dès le début la nature » de la saga judiciaire portant sur son visa.
« Cela a été une attaque croissante à l’encontre du mouvement des droits humains », a-t-il assuré.
« C’est, sous de nombreux aspects, le travail de mes rêves, et j’aurai l’honneur de continuer à le mener depuis l’étranger », a promis Shakir. « Sachez bien, je vous en prie, que notre résolution et notre détermination n’ont pas bougé d’un iota. Nous couvrirons les mêmes problèmes… avec la même intensité, la même méthodologie, comme nous le faisons partout ailleurs dans le monde ».
Le directeur exécutif de HRW, Kenneth Roth, connu pour ses critiques amères des politiques mises en place par le gouvernement de l’Etat juif, a également pris la parole lors de cette conférence de presse organisée à Jérusalem-Est.
« Aujourd’hui est une triste journée pour la démocratie israélienne de plus en plus limitée », a-t-il affirmé.
« Par principe, nous allons redoubler de travail sur Israël et la Palestine. Nous ferons appel aux mêmes chercheurs, nous nous appuierons sur les mêmes principes… avec les mêmes rapports d’information sur toutes les parties du conflit et la même détermination à ne pas nous soumettre aux censeurs israéliens », a continué Roth.

Tandis que le gouvernement israélien ne veut pas que le monde puisse se focaliser sur « l’oppression » menée par son « régime colonialiste », le désir de censure ne fera « qu’intensifier la lumière » sur les implantations, a-t-il assuré.
« Initiative visant à réduire au silence le messager, l’expulsion d’Omar Shakir a eu un formidable effet boomerang. Qu’Omar soit en Israël ou hors de ses frontières… HRW est là et restera là », a continué Roth.
Le gouvernement israélien a donné à l’organisation l’opportunité d’envoyer un remplaçant, mais dans la mesure où Shakir a adhéré à la politique de HRW et n’a jamais appelé au boycott, il serait insensé de placer quelqu’un d’autre à son poste, a expliqué Roth.
« Il ne s’agit pas d’Omar, il s’agit de Human Rights Watch. Cela n’a aucun sens de remplacer Omar parce que son successeur ferait exactement la même chose que lui », a-t-il clamé.
Le ministère des Affaires stratégiques, à l’origine de l’expulsion de Shakir, a fait savoir dans un communiqué lundi qu’Israël avait le droit de décider des individus autorisés ou non à entrer sur le territoire et à obtenir des visas de travail.
« Omar Shakir, comme la cour de district et la Cour suprême l’ont déjà déterminé, est un propagateur [sic] zélé qui fait la promotion du boycott d’Israël. Quelques jours seulement avant le jugement final émis sur son cas, il avait une fois encore exprimé son soutien ouvert au boycott et à l’isolement de l’Etat d’Israël tout entier », a ajouté le communiqué.

« L’Etat d’Israël accorde une grande importance aux activités menées par les organisations de défense des droits humains et octroie, chaque année, des centaines de visas à ces mêmes organisations. HRW a toute liberté de nommer un autre coordinateur à la place de M. Shakir qui prendra en charge la protection des droits humains plutôt que de promouvoir des politiques qui nuisent aux citoyens israéliens », a conclu le communiqué.
Interrogé par un journaliste qui lui demandait si l’Etat juif était la première démocratie à expulser un militant des droits de l’Homme, Roth a répondu que « Israël est le premier gouvernement se considérant comme une démocratie qui expulse des militants des droits humains ».
Shakir, ressortissant américain d’origine irakienne, a déclaré que la communauté internationale devait tirer des conclusions de son expulsion. Il a expliqué qu’il souhaitait voir la Cour pénale internationale ouvrir une enquête officielle sur les crimes commis par toutes les parties en Israël et en Palestine, et que le commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU rende publique sa base de données des entreprises exploitées dans les implantations.
« Si le gouvernement israélien peut faire quitter son territoire à quelqu’un qui travaille sur les violations faites aux droits humains sans qu’il y ait de conséquences, alors comment parviendra-t-on à mettre un terme à ces violations ? Le message qui doit être retenu ici est que la communauté internationale doit réexaminer de zéro sa manière d’appréhender cette question », a-t-il indiqué.
Après avoir vécu en Israël pendant deux ans et demi, Shakir a noté avoir développé des « amitiés profondes » et des partenariats au sein de la société civile.
Quand le Times of Israel lui a demandé si, malgré ses griefs, il avait quelque chose de positif à dire au sujet d’Israël, Shakir a répondu que « j’ai eu la chance de visiter le pays tout entier, de voir des cités, des villes, des villages différents, de me promener, de rencontrer toutes sortes de personnes. Et c’est vraiment un lieu incroyable. Et ce serait un lieu encore bien plus incroyable si les droits humains de tout un chacun étaient respectés, si tout le monde était traité sur un pied d’égalité ».
Après la conférence de presse, Shakir est parti en direction de l’aéroport Ben Gurion, où il devait embarquer à bord d’un avion pour Stockholm, pour y rencontrer des responsables suédois. Au cours des prochains jours, il devrait s’entretenir avec des représentants d’Allemagne, de France, des Pays-Bas et du Parlement européen.
Au cours d’une interview accordée au début de la semaine à l’AFP, Roth avait déclaré que des pays tels que la Corée du Nord, le Venezuela et l’Iran avaient expulsé des employés de HRW, mais que cela n’avait été le cas d’une démocratie en bonne santé.
« Je pense que cela démontre la nature de plus en plus contenue de la démocratie israélienne », avait-il ajouté.
Il avait expliqué qu’Israël, même si le pays organise des élections et que la presse y est libre, tente « autant que possible » de réduire au silence les initiatives « qui mettent en lumière les violations faites aux droits humains qui sont au cœur de l’occupation oppressive et discriminatoire » des terres palestiniennes.
L’organisation a mis en garde contre des « conséquences dramatiques » pour les efforts diplomatiques israéliens, les groupes de défense des droits opérant dans le pays et pour la liberté politique.
Shakir s’est longtemps battu judiciairement contre son expulsion mais, au début du mois, la Cour suprême a maintenu la décision prise par le gouvernement de lui faire quitter le territoire.
L’Etat juif considère le mouvement BDS comme une menace stratégique et l’accuse d’antisémitisme – ce que nient farouchement ses militants. Ses partisans le comparent à l’isolement économique qui avait contribué à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.

« Tous ceux qui travaillent contre Israël doivent savoir que nous ne les laisserons pas vivre ou travailler ici », avait déclaré le ministre de l’Intérieur Aryeh Deri au début du mois.
La procédure à l’encontre de Shakir reposait initialement sur des déclarations faites en soutien au boycott avant qu’il ne prenne son poste au sein de HRW.
Le gouvernement avait également souligné le travail réalisé depuis qu’il avait rejoint l’organisation et notamment les critiques des implantations israéliennes en Cisjordanie.
« Ni Human Rights Watch, ni moi-même en tant que représentant n’avons jamais appelé au boycott d’Israël », a affirmé l’intéressé à l’AFP.
Mais il a expliqué que l’organisation ne posait pas de restrictions sur la liberté de parole, y compris concernant un appel au boycott.
« Il est indéniable que les boycotts, dans le monde entier, ont permis de changer des systèmes injustes, mais Human Rights Watch ne prend pas position à ce sujet », a-t-il ajouté.
L’AFP et l’équipe du Times of Israel ont contribué à cet article.