Football écossais, une vieille rivalité sur fond de drapeaux israéliens et palestiniens
Qu'elle soit l'expression de l'opposition entre catholiques et protestants ou d'un réel soutien à la cause palestinienne, les Juifs écossais aimeraient que cette pratique cesse
LONDRES (JTA) – Ce week-end a marqué le premier match “Old Firm” de la saison de football écossais, d’après le surnom donné à la rivalité entre les Celtics et les Rangers, deux des clubs les plus célèbres du pays, tous deux originaires de Glasgow.
Les équipes s’affrontent plusieurs fois par saison, et lors de chacun des matchs, même si quelques milliers de Juifs seulement vivent à Glasgow, drapeaux israéliens et palestiniens fleurissent dans les tribunes.
En Écosse, football et sociologie sont depuis toujours étroitement liés, et nombre d’équipes écossaises sont les dépositaires d’identités, politiques et histoires parfois conflictuelles.
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Mais le phénomène des drapeaux israéliens et palestiniens, qui a émergé il y a une quinzaine d’années, place les fans juifs écossais au cœur d’un clivage politique auquel ils aimeraient pouvoir échapper le temps d’un match de football.
« Nous voulons que cela s’arrête », exprime Paul Edlin, du Glasgow Jewish Representative Council. « Les clubs n’aiment pas ça, mais ils ne font rien pour s’y opposer. »
La présence de drapeaux dans les tribunes, que ce soit dans le stade Ibrox des Rangers ou le Celtic Park, est chose commune, bien davantage qu’en Angleterre, où le lien entre football et politique est beaucoup moins fort.
Lors des matchs des Celtics et des Rangers, drapeaux tricolores irlandais et Union Jacks britanniques sont tellement habituels qu’ils sont acceptés et reconnus comme des substituts aux bannières des clubs.
« Il n’y a aucune raison de brandir des drapeaux – israéliens ou palestiniens – lors des matchs de football », ajoute Edlin.
Plusieurs équipes écossaises ont des liens historiques avec les communautés protestantes et catholiques locales, produit de plus d’un siècle de division religieuse.
Le Celtic, fondé en 1887 par des immigrants catholiques irlandais désargentés, est profondément attaché à ses racines irlandaises et ses fans ont toujours été liés à des causes politiques, protestant contre la discrimination anti-catholique en Écosse et soutenant l’autonomie politique irlandaise.
De nombreux fans du Celtic ressentent une profonde solidarité avec la région de la mer d’Irlande et certains, en particulier les quelques centaines de fans de la “Brigade verte”, font le parallèle entre le nationalisme irlandais et la question palestinienne. (Le sentiment pro-palestinien est très répandu dans la société irlandaise, y compris au sein de son gouvernement.)
« Pour ce groupe, le Celtic est lié au républicanisme irlandais. Ils pensent parler au nom du Celtic », explique Lord Ian Livingston, membre juif du Parlement britannique et ancien membre du conseil d’administration du Celtic.
« A partir du moment où vous dites être du côté des opprimés contre les forts, avec les forces anti-impérialistes contre l’impérialisme, le saut est vite fait. »
À Glasgow, la Brigade verte a réuni des milliers de livres pour des organisations caritatives palestiniennes et soutient depuis 2019 une académie de football en Cisjordanie, appelée Aida Celtic, basée dans le camp de réfugiés d’Aida près de Bethléem.
Livingston, membre du Parti conservateur, était considéré comme un dirigeant controversé parmi les partisans libéraux de l’équipe, et il a démissionné de l’équipe en 2017, victime de la pression.
Lorsque les fans du Celtic ont commencé à adopter des drapeaux palestiniens à la fin des années 2000, au stade Ibrox des Rangers – où un portrait de la reine trône dans le vestiaire de l’équipe locale – la réaction instinctive de certains fans a été de brandir des drapeaux israéliens au milieu des Union Jack et des croix nord-irlandaises.
« C’est un petit groupe, certes, mais je n’aime pas ça. Cela me met mal à l’aise, et cela ne devrait pas se passer ainsi », ajoute Livingston, membre du Parti conservateur. « On ne devrait pas davantage voir de drapeaux israéliens à Ibrox parce qu’il ne s’agit pas de politique. La plupart des gens vous diront que cela n’a rien à voir avec le football. »
Une trentaine de Juifs assiste régulièrement aux matchs du Celtic, et la visibilité croissante de la Brigade verte a attiré l’attention des autorités. L’UEFA, l’Union des associations européennes de football, a infligé à plusieurs reprises une amende à l’équipe pour avoir brandi le drapeau palestinien.
Le Conseil représentatif juif s’est plaint au Celtic lorsque la Brigade verte a hissé des centaines de drapeaux palestiniens avant un match spécial en hommage à Scott Brown, légende du Celtic, en mai 2021. Le club a réagi et fait retirer les drapeaux, jugés « inacceptables » .
« Cela ne facilite pas les choses pour les fans juifs du Celtic », regrette Gerard Minster, 52 ans, fan juif inconditionnel du Celtic, avant le match de samedi, qui verra son équipe vaincre les Rangers par 4-0.
« Chaque fois qu’il y a des problèmes en Israël et en Palestine, cela recommence. C’est parfois compliqué, mais c’est ainsi. Cela ne me décourage pas de soutenir le Celtic. »
L’émergence des drapeaux, témoins par procuration de la rivalité entre le Celtic et les Rangers, est probablement moins une question de politique israélienne et palestinienne que le reflet de problèmes sectaires beaucoup plus profonds en Écosse.
Le Celtic et les Rangers ont tous deux accueilli des joueurs israéliens, dont beaucoup sont très appréciés. Nir Bitton, par exemple, a quitté le club, après neuf ans passés au Celtic Park, ovationné par 60 000 fans debout dans les gradins, en mai dernier. (L’autre joueur israélien, Liel Abada, reste lui au Celtic.)
La division entre catholiques et protestants a quasiment disparu en Angleterre, mais elle a survécu en Écosse, et beaucoup pensent que les rivalités footballistiques contribuent à la maintenir.
« C’est toujours quelque chose d’important », explique David Kaplan, fan juif du Heart of Midlothian, club d’Édimbourg historiquement lié aux protestants.
« Chaque club en Écosse a une affiliation religieuse. Même s’ils ne le disent pas, c’est la vérité. »
Cela fait des quelque 5 000 Juifs d’Écosse une bizarrerie dans le paysage du football écossais. Libérés du bagage religieux et culturel de leurs pairs chrétiens, de nombreux Juifs peuvent choisir librement l’équipe qu’ils souhaitent soutenir.
« Les Juifs ont l’impression d’être pris en otages », ajoute Harvey Kaplan du Scottish Jewish Archives Centre à Glasgow. « Les Juifs avaient probablement moins de soucis parce que… protestants et catholiques étaient pris dans leur rivalité. »
Historiquement, la plupart des Juifs soutiennent les Rangers and Hearts, petit nom donné au Heart of Midlothian.
Lorsque les Juifs sont arrivés d’Europe de l’Est à la fin du 19e et au début du 20e siècle, leurs enfants ont souvent adopté l’équipe de leurs amis et camarades de classe. La plupart d’entre eux ont scolarisé leurs enfants dans des écoles protestantes, rappelle Kaplan, plus ouvertes que les écoles catholiques, souvent réservées qu’aux catholiques.
« A leur place, vous auriez été fan des Rangers », ajoute-t-il.
Toutefois, un nombre non négligeable de Juifs a commencé à soutenir le Celtic, à la fin des années 1960, lorsque Third Lanark, équipe du sud de Glasgow composée d’un grand nombre de joueurs juifs, a fait faillite. Le Celtic, alors à son apogée, remporte neuf titres de champion consécutifs et la Coupe d’Europe en 1967. Les fans de Third Lanark decident de prendre le train en marche.
Si Third Lanark avait survécu, il aurait pu devenir une équipe réputée pour son fan club juif, un peu comme Tottenham en Angleterre. Dans les années 1920 et 1930, Third Lanark, qui était situé à proximité d’un quartier juif, a même fait jouer l’un des rares footballeurs professionnels juifs écossais, Sam Latter. Pas plus tard qu’en 1960, le Jewish Chronicle indiquait qu’un quart des 6 000 personnes qui se pressaient au stade Third Lanark étaient des Juifs.
En Angleterre, l’empreinte juive sur le terrain est plutôt minime, et en Écosse, encore plus.
Bien que des blogs de fans du Celtic ou des Rangers ravivent de temps à autres la question de tel ou tel joueur juif prometteur, il demeure que la plupart sont des joueurs irlandais ou écossais avec des noms à consonance vaguement juive.
(Un célèbre joueur juif écossais resté dans les mémoires est Joe Abraham, né dans le Lanarkshire, devenu le tout premier footballeur professionnel juif de haut niveau en Grande-Bretagne, après des débuts pour le club de Glasgow Partick Thistle en 1897.) Une poignée de joueurs israéliens sont venus exercer leur métier en Angleterre et en Écosse, et le Celtic – au sortir d’une décennie de domination – les a attirés.
Aujourd’hui, la communauté juive d’Écosse est en déclin – elle est passée de 20 000 au début des années 1960 à peut-être même moins de 5 000 – et il n’y aura peut-être pas « une autre génération » de joueurs et de fans, explique Minster.
Les problèmes qui préoccupent les Juifs écossais – dont la jeunesse est inexorablement attirée, sans perspective de retour, par les opportunités économiques offertes par les capitales juives britanniques que sont Londres et Manchester – se posent à toutes les petites communautés juives du Royaume-Uni.
« Ce qui va se passer n’aura que peu d’impact, la communauté juive est si modeste », explique le ministre. « Je peux donner le nom d’une vingtaine – une trentaine, au maximum – d’abonnés juifs à Hearts aujourd’hui. Un seul d’entre eux vit à Édimbourg. »
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