France : Un audit qui n’a jamais vu le jour sur les enfants juifs qui quittent l’école publique
La problématique, délicate, n’est pas nouvelle, alors qu’Emmanuel Macron avait publiquement demandé en 2019 cet audit sur l'exode des enfants juifs
En mai 2023, Pap Ndiaye, alors ministre de l’Éducation nationale français, avait annoncé avoir commandé un audit sur les élèves juifs contraints de fuir l’école publique dans certaines zones.
Cet état des lieux était demandé au conseil des sages de la laïcité, et la méthode devait consister notamment à « interroger les familles, les chefs d’établissement ; regarder l’évolution des effectifs des écoles juives, par exemple, de Seine-Saint-Denis ou du XIXe arrondissement de Paris », selon le ministre.
« Il est frappant, préoccupant et même inadmissible que dans certains quartiers les enfants juifs ne soient plus scolarisés dans les écoles publiques, non parce qu’ils souhaiteraient aller dans des écoles confessionnelles – je n’aurais rien à y redire –, mais par défaut, parce que les familles jugent que les conditions d’accueil, de bien-être et de sécurité pour leurs enfants ne le permettent plus. Est-ce qu’on peut se satisfaire d’une situation pareille ? Bien sûr que non », avait expliqué Pap Ndiaye à L’Express.
La problématique, délicate, n’était pas nouvelle. Déjà, en 2019, au dîner du CRIF, le président Emmanuel Macron avait publiquement demandé cet audit sur l’exode des enfants juifs. L’idée avait été de nouveau évoquée peu après, notamment par le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer, puis par le secrétaire d’État chargé de la vie associative, Gabriel Attal.
Pourtant, ces audits n’ont jamais vu le jour, comme l’explique un reportage de L’Express publié ce vendredi 4 octobre.
Ainsi, des années plus tard, il reste impossible de dire combien d’enfants juifs ont quitté l’école publique française par sentiment d’insécurité.
Avant même ces deux demandes, en 2023 et 2019 donc, Robert Ejnes, alors directeur-général du CRIF, déclarait en 2016 que beaucoup de Juifs français s’interrogeaient sur le futur de leurs enfants dans le pays, et que les parents retiraient les élèves des écoles publiques.
En 1970, 7 000 enfants français allaient dans des écoles juives, contre environ 35 000 en 2016 – un chiffre qui serait en forte augmentation depuis. Un nombre équivalent d’enfants juifs étaient alors inscrit dans des « écoles chrétiennes », avait déclaré Ejnes, comme dans l’école publique. Mais récemment, un nombre accru de parents semblent avoir retiré ses enfants des écoles publiques, alors que les inscriptions dans les écoles confessionnelles auraient augmenté.
En 2016, Manuel Valls, alors Premier ministre français, avait lui aussi déclaré au dîner annuel du CRIF que, « oui, les Juifs de France ont peur de porter la kippa, d’aller à la synagogue, de faire leurs courses dans un supermarché casher, d’envoyer leurs enfants à l’école publique. C’est une réalité, et une réalité que nous n’acceptons pas ».
Bernard Ravet, ancien proviseur dans deux établissements des quartiers Nord de Marseille, avait indiqué à la même époque dans un livre comment il avait dû, un jour, à contre-cœur, dissuader la mère d’un enfant juif de scolariser son fils dans son établissement.
« En l’état, je n’aurai pas pu garantir la sécurité de cet adolescent dans mon collège sans aucune mixité, où certains sont chauffés à blanc, chaque soir, via les télévisions par satellite vouant aux gémonies Israël et les Juifs », écrivait-il.
À la fin des années 1990, puis de nouveau dans un rapport de 2004 portant sur « les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires », Jean-Pierre Obin, inspecteur général de l’Éducation nationale, avait mentionné le cas de proviseurs qui avaient organisé le transfert d’élèves juifs vers le privé, faute de pouvoir en assurer la sécurité.
Mais, malgré tout cela, des données précises n’ont jamais pu être établies. Aujourd’hui, un ancien responsable du cabinet de Jean-Michel Blanquer cite auprès de L’Express un premier obstacle : la législation et l’interdiction des statistiques ethniques. « L’administration ne sait pas qui est Juif ou qui ne l’est pas. Avec le passé, faire des listes d’enfants juifs est embarrassant. C’est toujours mieux de ne pas être dans le fantasme, de chiffrer, mais on s’est heurté à la législation et à l’Histoire. »
Une excuse qui n’en serait pas une, tant les CPE, enseignants et proviseurs ont une idée de la religion de leurs élèves. En fait, l’administration semble avoir finalement redouté « de se lancer dans une enquête où le moindre mot malheureux, la moindre phrase, voire l’objet de l’étude lui-même pourrait mettre le feu à la communauté scolaire », écrit L’Express.
Ainsi, à la place, Richard Senghor, alors conseiller spécial du ministre Jean-Michel Blanquer, a, au lieu d’élaborer un « audit », plutôt cherché à apporter une réponse directe aux enfants juifs confrontés à des discriminations. Il a ainsi demandé à ce que les équipes du ministère sur le terrain interviennent dans les établissements où des problèmes ont été signalés et prôné la mise en place d’un important plan de formation des enseignants et des chefs d’établissements à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Le COVID et le confinement ont finalement mis fin à ces projets.
En 2023, après la commande de Pap Ndiaye, un groupe de travail a néanmoins vu le jour, autour de Iannis Roder, professeur d’histoire, Alain Seksig, ancien inspecteur d’académie, Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah, et d’une inspectrice d’académie. Mais, la commande n’étant pas très précise, et la question de la religion des enfants semblant toujours un large obstacle, rien n’a encore abouti. Les travaux sont néanmoins toujours en cours, le groupe auditionnant en cette fin d’année 2024 des responsables d’académie et des responsables de l’enseignement confessionnel juifs et catholiques. Un rapport devrait ainsi être publié d’ici la fin de l’année ou au tout début de 2025.
Outre cela, peu semble avoir été fait, alors que les actes antisémites ont grimpé en flèche en France ces vingt dernières années, entraînant une hausse de l’immigration en Israël et des déménagements d’une zone à une autre en France – l’alyah interne.
Dans les écoles françaises, sur l’année scolaire 2023-2024, plus de 3 600 actes racistes et antisémites ont été recensés, multipliés par près de trois sur un an, après le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023 sur le sol israélien, selon des chiffres communiqués jeudi 3 octobre 2024 par le ministère de l’Éducation nationale.
Selon le ministère, 1 670 actes à caractère antisémite (insultes et violences verbales ou physiques, inscriptions antisémites…) et 1 960 actes racistes ont été signalés sur l’ensemble de l’année scolaire dernière pour le premier degré (écoles maternelles et élémentaires) et le second degré (collèges et lycées). Les collèges sont particulièrement concernés, et les signalements s’étendent désormais à des structures et des zones géographiques qui étaient semble-t-il jusqu’alors épargnées.
« Le déclenchement du conflit israélo-palestinien [Hamas] du 7 octobre 2023 et son impact en France est évidemment à prendre en compte dans l’explication de ces chiffres, qui sont en forte hausse par rapport à l’année précédente », a précisé le ministère à la presse. La ministre de l’Éducation nationale Anne Genetet a qualifié cette hausse « d’effroyable ». C’est « inquiétant », « inacceptable » et « il faut lutter pied à pied » avec « la plus grande fermeté » contre de tels actes, a-t-elle affirmé lors d’un déplacement au collège Gabriel-Havez à Creil (Oise). « On ne peut pas laisser passer un seul acte antisémite », a-t-elle ajouté, en assurant avoir donné des « consignes extrêmement fermes » en ce sens aux recteurs.
Jeudi 3 octobre, lors d’une rencontre avec les recteurs d’académies, la ministre leur a demandé « la plus grande vigilance et une remontée la plus précise des actes antisémites – et plus largement des actes ou discours de haine – ainsi que des sanctions justes et proportionnées, en complément des actions de sensibilisation et prévention prévues par les enseignants », selon le ministère.

Genetet a également assuré que « la défense de la laïcité est un enjeu extrêmement fort », lors de sa visite dans ce collège qui avait été au cœur de l’actualité en 1989 après l’exclusion de trois jeunes filles voilées.
Sur un an, les actes antisémites ont été multipliés par plus de quatre et les actes racistes par près de deux. Lors de l’année scolaire 2022-2023, 400 actes antisémites et 870 actes racistes avait été signalés, selon les chiffres communiqués par le ministère. Au total, comparé aux 1 270 actes recensés en 2022-23, le nombre d’actes racistes et antisémites signalés a donc presque triplé l’an dernier.
En mai, le ministère de l’Éducation nationale avait fait état de 1 434 actes racistes et antisémites après le 7 octobre 2023, mais ces chiffres portaient seulement sur la période allant de décembre à mars, a-t-il précisé jeudi.
Le ministère avait alors indiqué que, selon ses remontées, le conflit israélo-arabe pouvait expliquer « une partie » de ces faits, « en raison des tensions qu’il provoque et de l’atmosphère qui en découle, les insultes étant majoritaires dans les faits recensés ».