Fuite des cerveaux et baisse de la productivité en Israël – rapport
Pour tous les diplômés revenant en Israël, 4,5 émigrent ; un nombre "exceptionnellement bas" d'individus constitue le moteur de l'économie, selon un rapport sur les inégalités

Israël perd certains de ses plus brillants et meilleurs cerveaux alors que les professionnels des technologies, les ingénieurs et autres universitaires quittent le pays, le privant de nombreux potentiels nécessaires pour son économie, a mis en garde un rapport.
Les chiffres présentés dans « Quitter la terre promise – Un aperçu du défi de l’émigration israélienne », diffusé par l’institution de recherche socio-économique Shoresh [racine en hébreu], un centre indépendant et non-partisan dirigé par le professeur Dan Ben-David — sont sombres.
Pour chaque Israélien diplômé de l’université arrivé en Israël en 2014, 2,6 universitaires israéliens avaient choisi de quitter le pays. En 2017, ce chiffre s’est élevé à 4,5.
Le nombre de médecins israéliens travaillant dans des pays de l’OCDE autres qu’Israël représentait 9,8 % de tous les praticiens en Israël en 2006. Ce pourcentage s’est élevé à 14 % en 2016.

Et tandis que la population israélienne a augmenté de 24 % entre 1995 et 2005 et 2006 et 2016, le nombre d’Israéliens ayant obtenu la nationalité américaine ou une carte verte a augmenté de 32 %.
Israël a une population de 9 millions d’individus mais, selon le rapport, un nombre « exceptionnellement bas » de personnes – moins de 130 000 – contribuent à conserver l’avance de l’économie et les soins de santé dans le pays. La nation dépend donc d’eux.
Ce sont les mêmes qui paient le plus d’impôts et forment le personnel des hôpitaux et la main-d’oeuvre de l’industrie technologique. Et en effet, les personnes qui se trouvent dans les deux premiers déciles de revenu fournissent 92 % des revenus issus des impôts. Le secteur technologique représente 40 % des exportations du pays mais il n’emploie que 2,7 % de sa main-d’oeuvre.
Dans l’économie globale, les flux de population entrant et sortant d’Israël sont « comme de l’oxygène pour nous. Ils sont vitaux pour que la diffusion des connaissances atteigne Israël », a commenté Ben-David dans un entretien téléphonique.
« Le problème, c’est quand les choses deviennent unilatérales et que le flux est principalement dirigé vers l’extérieur. Quand 4,5 universitaires quittent Israël lorsqu’un seul y revient, alors ça devient un problème. Quand nous avons cessé de construire des universités au niveau du Technion, de l’université Hébraïque et de l’université de Tel Aviv, même si notre population a plus que doublé en 1970, il y a eu un problème. Quand le nombre de docteurs israéliens à l’étranger continue à augmenter tandis que celui du nombre de docteurs nés à l’étranger et venus en Israël ne cesse de diminuer, alors les flux ne sont plus équilibrés ».

Le nombre total de membres appartenant à des facultés de recherche au sein des huit universités israéliennes (indépendamment du domaine de recherche) ne représente que 0,1% de la population âgée de 25 ans et plus ; le nombre de médecins ne s’élève qu’à 0,6 % de la population âgée de 25 ans et plus, et la majorité de ces médecins a été diplômée dans les universités israéliennes.
« La taille fragile de ce groupe signifie qu’une émigration critique sur le total – même si elle ne s’élève qu’à plusieurs dizaines de milliers de personnes – peut entraîner des conséquences catastrophiques pour le pays tout entier », a-t-il expliqué.
« Je ne pense pas qu’on en soit là. Toutefois nous avons clairement pris la mauvaise direction et l’ampleur du phénomène est, elle aussi, problématique », a-t-il poursuivi.
Israël, à la base, a deux économies, l’une pesant sur le fardeau de l’autre, a précise Ben-David. Et parce que ce fardeau devient trop lourd, les Israéliens à haut-niveau d’études et à fort revenu choisissent de partir, a-t-il expliqué.
« Il y a l’Israël high-tech, l’Israël des universités, le secteur médical, Israël en tant que start-up nation« , a-t-il dit. « Mais il y a un autre Israël, et cet autre Israël ne reçoit ni les outils, ni les conditions nécessaires pour travailler dans une économie moderne. Et cet autre Israël est énorme. Il n’est pas seulement important, mais sa part ne cesse de grandir – et c’est donc un poids énorme qui repose sur les épaules de ceux qui maintiennent le pays tout entier ».
Conserver une part bien plus importante des membres de la population qui produisent le plus placera l’économie dans sa totalité sur un chemin de croissance bien plus abrupt, a noté le rapport.

« Prenez l’exemple d’un moteur », a expliqué Ben-David. « Nous disposons de l’ensemble des cylindres du moteur, mais nous en faisons fonctionner de moins en moins et nous avons besoin de la force de tous. On ne peut pas faire se reposer un pays entier sur les épaules de quelques-uns seulement, qui sont de moins en moins nombreux si on prend en compte la population totale ».
La productivité d’Israël se trouve loin derrière de celle des pays les plus développés, ce qui donne lieu à une disparité salariale et une pauvreté plus grandes. Nombreux sont ceux, principalement chez les ultra-orthodoxes et les populations arabes, à avoir été mis de côté par le boom du secteur de la high-tech ; le coût de la vie connaît une hausse plus rapide en Israël que dans d’autres pays développés ; les routes sont surchargées ; le système éducatif est défaillant car il n’enseigne pas à la plupart des élèves les compétences minimum requises dans une économie basée sur les nouvelles technologies ; et les hôpitaux sont victimes d’un manque de lits et de médecins.
L’étude de Shoresh indique que les prix de l’immobilier en Israël sont supérieurs de 28 % à ceux observés aux États-Unis et 66 % supérieurs à la moyenne de l’OCDE. Il faut travailler 20,5 ans pour s’acheter un logement à Tel Aviv, et 18,5 ans à Jérusalem, ce qui les place dans les cinq villes les plus chères des pays développés ; Tel Aviv se classe deuxième, juste après Londres, où 22,8 années de travail sont nécessaires avant de pouvoir s’acheter un logement, et Jérusalem occupe la cinquième place, juste après Séoul (20 ans).
L’émigration n’est pas uniquement liée aux salaires et aux emplois (pour les médecins et universitaires) ou à un besoin de se rapprocher des investisseurs et des marchés finaux (pour les cadres de la tech), selon Ben-David. Les problèmes relèvent également du mode de vie.
Si les hôpitaux et les routes sont surchargés, et « si les écoles sont miteuses, et qu’on ne perçoit aucun signe d’espoir, car les gouvernements successifs depuis 40 ans ne s’attaquent pas aux priorités nationales d’Israël, alors beaucoup de gens en tirent des conclusions », a noté Ben-David.
« Je ne suis pas d’accord avec eux. Je pense qu’ils devraient rester, se battre et faire changer les choses. Mais peu importe ce que je pense. Les gens votent avec leurs pieds ».

Pléthore de partis politiques ont quitté les gouvernements à la merci de formations plus modestes et de groupes de lobby à la fois forts et bruyants. Pour apaiser ces groupes, les fonds publics, ces dernières années, ont été utilisés pour réduire les prix des logements et élever les salaires pour la police et les personnels des prisons, entre autres programmes, ainsi que dans le secteur de la Défense. Les intérêts d’un grand nombre des circonscriptions électorales de ces groupes ne correspondent pas nécessairement à ceux de la nation dans l’ensemble. Et il est essentiel, dit Ben-David, de se concentrer sur la priorité des investissements dans l’éducation et les transports.
Les blocs de gauche et de droite ont assisté à une érosion de leurs parts de votes au cours des 40 dernières années environ, a ajouté Ben-David, tandis que celle des ultra-orthodoxes – ou Haredim – a augmenté.
« Leur part de vote a triplé depuis les années 1970 et ils sont devenus des arbitres électoraux », continue-t-il. « Ils ont été présents dans presque tous les gouvernements depuis 1977 et ils n’avaient jamais fait partie des gouvernements avant cela. En conséquence, ils ont eu une influence énorme sur la direction de l’argent – où il va et où il ne va pas… Ils le veulent pour leurs besoins propres et leurs besoins propres ne sont pas les besoins nationaux ».

Cela fait longtemps que les Haredim s’opposent à ce que leurs enfants suivent le programme au cœur de la scolarité, notamment en maths et en anglais, préférant qu’ils se focalisent sur les textes religieux. Les gouvernements israéliens – au détriment de la société – se sont pliés à leur volonté, a expliqué Ben-David.
« Et finalement, nous en arrivons à soutenir des écoles qui n’étudient pas les programmes de base entre autres choses », note-t-il.
A l’heure actuellement, un enfant sur cinq en Israël est un Haredim qui n’étudie pas le programme de base, a-t-il dit. Et alors que les haredi représentent seulement 7 % des adultes du pays, ils représentent 19 % des enfants.
« Cela a des conséquences très importantes, a-t-il dit. Dans deux générations, ils seront la moitié des enfants en Israël, donc s’ils n’étudient pas comme il faut, qui seront les docteurs ? D’où viendront les prochaines innovations de la high-tech et qui seront les professeurs quand nous en aurons besoin ? »
« Les gouvernements successifs ont accepté les demandes de haredi » de priver leurs enfants des programmes d’étude de base, a-t-il dit. Nous sommes la seule nation des pays développés qui prive ses enfants, qui permet aux parents de priver leurs enfants du programme scolaire de base – dans n’importe quel autre pays développé, la loi interdit de priver un enfant de ce dont il a besoin ».

En outre, au niveau national, il a insisté sur le fait qu’il y a besoin d’un « changement complet du système éducatif en terme de ce que nous enseignons, du niveau enseigné, qui sont les enseignants, comment nous les choisissons et comment nous les formons, comment le système est géré ».
L’investissement dans les transports publics et dans les hôpitaux est aussi nécessaire, a-t-il ajouté. Un meilleur système de transports publics permettra aux résidents en périphérie du pays d’aller sur le lieu de travail au centre sans devoir être bloqués pendant des heures dans des embouteillages. Dans le même temps, le très haut taux d’occupation des hôpitaux israéliens, le plus haut de l’OCDE, entraîne le taux de mortalité le plus haut pour les maladies infectieuses dans les pays développés.
« C’est une question de priorité nationale », a-t-il dit.
L’argent n’est pas allé dans l’éducation, les hôpitaux et les transports, a-t-il ajouté, « et ce sont les éléments qui découragent les gens ».