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GB : Un réalisateur juif présente la version grand écran d’une pièce « antisémite »

Selon la critique, le drame de Caryl Churchill "Seven Jewish Children: A Play for Gaza," est largement anti-Israël. Avant la sortie de son film à New York, Omri Dayan dit y voir un appel à l'humanité...

Une photo tirée de la version cinématographique, du réalisateur Omri Dayan, du drame de 2009 de Caryl Churchill  « Seven Jewish Children: A Play for Gaza [NDLT :  Sept enfants juifs : une pièce pour Gaza] ». (Crédit : Chantal Richardson)
Une photo tirée de la version cinématographique, du réalisateur Omri Dayan, du drame de 2009 de Caryl Churchill « Seven Jewish Children: A Play for Gaza [NDLT : Sept enfants juifs : une pièce pour Gaza] ». (Crédit : Chantal Richardson)

LONDRES – Le réalisateur américano-israélien à l’origine de la version cinématographique d’une pièce « antisémite » très polémique tient à défendre cette œuvre en invitant le public à l’aborder en faisant preuve « d’ouverture d’esprit » et en « mettant de côté ses idées préconçues ».

Omri Dayan explique ainsi au Times of Israel que la pièce de théâtre écrite en 2009 par la Britannique Caryl Churchill, « Seven Jewish Children: A Play for Gaza [NDLT : Sept enfants juifs : une pièce pour Gaza] » est une « œuvre d’art politique et humaniste ».

« J’espère vraiment que ce film permettra à cette pièce d’être regardée autrement », dit-il. « J’espère que cela aidera les gens, comme cela m’a aidé… à comprendre ce que signifie être Juif, que cela leur apprendra des choses sur notre histoire et sur notre humanité, sur les manières dont nous pouvons tenter de nous améliorer. C’est tout le sens de l’art. »

Le film a été présenté en avant-première à Londres le 31 mars dernier et il sera projeté ailleurs, notamment au Royaume-Uni et à New York, en avril.

Mais ceux qui combattent l’antisémitisme sont vent debout contre cette version cinématographique d’un court métrage dramatique – dans lequel des parents juifs comme les autres évoquent ce qu’ils doivent dire à leur fille à propos des moments déterminants qui ont pu marquer l’Histoire juive et israélienne. Les sept brèves scènes de la pièce balaient les pogroms du début du XXe siècle jusqu’à la Shoah, en passant par la naissance de l’État d’Israël, la guerre des Six Jours de 1967 et la deuxième Intifada, pour se terminer avec la guerre de Gaza de 2009.

« Je ne suis pas du tout surpris », confie Dave Rich, qui est le directeur des politiques au Community Security Trust, au sujet du choix de sortir ce film à un moment où les actes antisémites au Royaume-Uni atteignent des niveaux records.

« A un moment pareil, marqué par la normalisation de l’antisémitisme au sein des politiques progressistes, nous ne devrions pas être surpris qu’une pièce antisémite, et en particulier cette pièce précise, fasse à nouveau surface », poursuit Rich, auteur de « Everyday Hate : How Antisemitism is Built into Our World [NDLT : La haine au quotidien : Comment l’antisémitisme est devenu partie intégrante de notre monde ».

Autrice de plus de 30 pièces de théâtre, Churchill, qui est aujourd’hui âgée de 86 ans, est depuis longtemps mécène de la Palestinian Solidarity Campaign [NDLT : Mouvement de solidarité avec la Palestine], un mouvement d’extrême gauche.

La pièce de Churchill avait été montée pour la première fois au Royal Court Theater de Londres en février 2009, quelques semaines seulement après la fin de l’Opération Plomb durci.

L’opération Plomb durci avait été un conflit long de trois semaines qui avait opposé les organisations terroristes palestiniennes à l’armée israélienne de 2008 à 2009 – une guerre qui, selon Israël, avait eu pour objectif de mettre un terme aux tirs de roquettes palestiniens qui prenaient pour cible Israël. Treize Israéliens et plus de 1 100 Palestiniens auraient été tués.

La pièce s’était d’emblée attirée de vives critiques de la part d’une grande partie des Juifs britanniques et d’organisations communautaires, à commencer par le Board of Deputies of British Jews qui avait qualifié l’œuvre de Churchill d’ « effroyablement anti-Israël », affirmant qu’elle « dépassait les bornes [d’un] discours politique raisonnable ».

LA dramaturge Caryl Churchill assiste à la Première de « Drunk Enough To Say I Love You ? » au Forum le 16 mars 2008 à New York. (Photo de Scott Wintrow / Getty Images Amérique du Nord / Getty Images via AFP)

Dans une lettre adressée au Daily Telegraph, d’éminents Juifs britanniques, parmi lesquels les actrices Maureen Lipman et Tracy Ann Oberman, l’homme d’affaires et philanthrope Mick Davis ou encore l’universitaire Geoffrey Alderman avaient déclaré que cette pièce « diabolis[ait] les Israéliens en renforçant des stéréotypes infondés », qu’elle était « historiquement inexacte » et oublieuse de la proposition dite « La terre contre la paix » qui avait été faite par Israël après 1967. Ils avaient ajouté qu’elle omettait également le retrait de Gaza, en 2005, et les attaques de roquettes du Hamas, depuis l’enclave côtière, qui avaient déclenché la guerre de 2008-2009 et qui devaient également être à l’origine d’autres conflits ultérieurs.

La critique avait par ailleurs été mitigée vis-à-vis de la pièce.

« Seven Jewish Children n’a rien à voir avec de l’art, c’est de l’orthodoxie politique enfermée dans un carcan. Aucune surprise, aucune prise de risque. Rien que le petit monde clos, fétide, suffisant, auto-satisfait et totalement hors de propos du théâtre politique contemporain », avait écrit Christopher Hart du Sunday Times, en accusant Churchill d’un « manque d’impartialité ridicule et tout à fait prévisible ».

Churchill avait été lauréate du prestigieux European Drama Award en 2022, avant que la décision ne soit annulée lorsque le jury allemand avait été informé de son soutien au mouvement BDS, que le Parlement allemand avait qualifié d’antisémite. A l’époque, la déclaration expliquant cette volte-face évoquait « Seven Jewish Children » et relevait que la pièce pouvait « elle aussi être considérée comme antisémite ».

Tout en famille

Dayan raconte avoir découvert la pièce en se rendant en Israël en 2022 alors que les membres de sa famille évoquaient la controverse qui avait entouré le retrait du prix de Churchill. « Je me suis senti attiré par cette œuvre », explique-t-il. « Elle manie un langage concis et poétique et en même temps profondément compréhensif et réfléchi, un langage qui parle non seulement de la psychologie historique, mais aussi de la psychologie collective. »

Le tournage a finalement eu lieu en août 2023 et Dayan s’est entouré pour ce faire de son père, le scénariste et réalisateur Ami Dayan, et de sa grand-mère, l’actrice Rivka Michaeli. Il parle de leur présence comme d’ « une joie… une expérience et une collaboration merveilleuses. »

Le cinéaste Omri Dayan. (Alejandro Martínez-Campos)

« Ce dialogue inter-générationnel et intra-familial est une grande partie de ma vie, et c’est aussi ce qui m’attire dans une histoire », poursuit-il.

« C’était donc très naturel et presque normal qu’ils fassent partie de cette histoire. Cela m’a énormément aidé à recréer cette atmosphère familiale, cette chaleur que nous ressentons, cet amour inconditionnel. »

Au moment du pogrom commis par les terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023, dans le sud d’Israël, le film était en fin de montage.

« La terreur de ce jour-là, l’horreur de ce jour-là… m’a bouleversé », confie Dayan. « D’un point de vue personnel, j’ai eu besoin de prendre du recul par rapport à tout ça. Je ne voulais pas réagir dans cet état émotionnel. »

Plus de 1 200 personnes avaient été massacrées ce jour-là dans le sud d’Israël et 251 personnes avaient été enlevées et prises en otage dans la bande de Gaza – les hommes armés avaient commis des actes d’une brutalité extrême, utilisant les violences sexuelles comme arme à grande échelle. Certaines victimes avaient été mutilées, torturées.

Le jeune réalisateur dit avoir repris le montage quelques semaines plus tard, assurant que peu de choses ont changé au niveau du montage final.

« Le plus triste, dans tout ça, c’est que le dernier plan du film évoque le fait qu’il y aura encore d’autres chapitres dans cette histoire », ajoute Dayan. « Il y avait ce côté très assumé au moment du tournage, mais nous étions loin de penser que ce nouveau chapitre viendrait si tôt. »

Dans le même temps, ajoute-t-il, le film a été tourné avant le 7 octobre mais « on dirait qu’il a été filmé en réaction, parce que nous connaissons bien le chemin que nous empruntons depuis si longtemps, et pourtant nous ne faisons rien pour le changer. »

Pas une attaque contre les Juifs, simplement une critique d’Israël

La pièce originale – dont Churchill concède gracieusement les droits, sous réserve de collecter des fonds au profit de l’organisation caritative britannique Medical Aid for Palestinian – était passée de l’écriture à la représentation en moins d’un mois.

« Je l’ai écrite la semaine dernière », expliquait la dramaturge au Guardian quelques jours après le cessez-le-feu du mois de janvier 2009. « Ce n’est qu’une petite pièce de théâtre de 10 minutes, mais c’est une façon de regarder ce qui s’est passé et de collecter des fonds pour les gens qui souffrent là-bas. »

Churchill aura toujours fermement défendu son œuvre, affirmant en 2022 que sa pièce parlait de « familles désireuses de protéger les enfants et qui se demandent quoi leur dire sur ces choses terribles – les pogroms, la Shoah, le bombardement de Gaza ».

Churchill avait alors affirmé : « Cette pièce critique la manière dont les Palestiniens sont traités par Israël ; il ne s’agit pas d’une attaque contre tous les Juifs, qui sont nombreux à critiquer la politique israélienne. Israël n’est pas réductible à tous les Juifs. C’est une pièce politique qui s’est fait des ennemis politiques, qui l’accusent d’antisémitisme. »

Dayan ne pense pas que le fait que l’antisémitisme ait atteint son paroxysme au Royaume-Uni et ailleurs joue en défaveur de la sortie du film.

« Je pense qu’il est plus important que jamais de montrer au monde que nous, le peuple juif… ne sommes pas Israël », objecte-t-il. « Le judaïsme et Israël… ce n’est pas la même chose. » Mais au-delà, ajoute-t-il, il est crucial de « défendre ce en quoi nous croyons, en tant que Juifs ».

« Nous avons vécu ces atrocités et nous savons ce que c’est que d’être discriminé », ajoute-t-il. « Nous le vivons aujourd’hui encore. Et pourtant, nous défendons toujours l’Humanité parce que c’est précisément ça, être juif et avoir vécu toutes ces choses ».

Le cinéaste, qui vit à Londres, estime que la critique artistique d’Israël est trop souvent considérée comme une expression d’antisémitisme.

Une photo tirée de la version cinématographique, de la main du réalisateur Omri Dayan, du drame de Caryl Churchill de 2009 « Seven Jewish Children: A Play for Gaza ». (Crédit : Chantal Richardson)

« Cela crée un écran de fumée qui cache les voix de l’opposition à Israël, aussi bien en Israël qu’à l’extérieur », affirme Dayan, « alors qu’il y a un véritable antisémitisme à l’œuvre sous nos yeux et que nous devons mettre l’accent là où il le faut, et non sur une œuvre d’art qui en appelle à notre humanité. »

« C’est de la manipulation »

La critique ne semble pas convaincue par les arguments avancés en faveur de l’œuvre de Churchill.

« C’est un exemple parfait du ‘Deux poids, deux mesures’ et des soupçons presque innés qu’ont les grands manitous de la pensée progressiste envers les Juifs », estime Rich. « Jamais Caryl Churchill n’aurait réagi à la violence islamiste en imaginant ce que des parents musulmans pourraient bien dire à leurs enfants, la Royal Court n’aurait jamais monté pareille pièce, pas plus que le Guardian n’y aurait ajouté sa touche. »

« Mais quand cela nous concerne, nous, les Juifs, alors nous sommes traités comme une sorte de groupe étranger que l’on peut malmener comme dans une sorte d’étude anthropologico-psychiatrique », poursuit-il. « Et bien sûr, ils s’attendent à ce qu’on les croie lorsqu’ils disent que par ‘Juif’, ils entendent la critique d’Israël. C’est ni plus ni moins de la manipulation. »

La scène finale, sur fond de guerre à Gaza, déroule un monologue qui « accumule les tropes antisémites » :

Dave Rich, responsable des politiques au Community Security Trust de Grande-Bretagne. (Avec l’aimable autorisation de CST)

« Dis-lui qu’ils veulent que leurs enfants soient tués pour que les gens aient pitié d’eux », dit un membre de la famille. « Dis-lui que je ne suis pas désolé pour eux, dis-lui de ne pas être désolée pour eux, dis-lui que c’est de nous dont il faut avoir pitié, dis-lui qu’ils ne peuvent pas nous parler de la souffrance. Dis-lui que nous sommes durs, désormais… Dis-lui que ce sont des animaux qui vivent maintenant dans les décombres, dis-lui que je m’en moque qu’ils soient anéantis… Nous sommes les élus, et quand je regarde un de leurs enfants couvert de sang, qu’est-ce que je ressens ? Dis-lui que tout ce que je ressens, c’est la joie de ne pas être à sa place. »

Le Dr David Hirsh, directeur général du London Center for Antisemitism [ NDLT : Centre londonien pour l’antisémitisme], est tout aussi critique envers cette pièce qui, de son avis, « présente les Juifs comme des personnes qui endoctrinent leurs enfants pour qu’ils soient indifférents à la souffrance des non-Juifs, en donnant le sentiment que cette pratique névrotique est à l’origine de la persistance du conflit entre Israël et ses voisins ».

« Les Juifs ont longtemps été accusés d’assassiner des enfants non juifs », rappelle Hirsch. « Aujourd’hui, il est considéré comme légitime d’accuser Israël d’assassiner délibérément des enfants non juifs par milliers. Les accusations de crimes rituels sont de retour. »

Une photo tirée de la version cinématographique d’Omri Dayan du drame de Caryl Churchill de 2009 « Seven Jewish Children: A Play for Gaza ». (Crédit : Chantal Richardson)

À l’occasion de la Première de la pièce, en 2009, le romancier britannique Howard Jacobson l’avait qualifiée de « petite pièce à huis-clos pétrie de haine ».

« Une fois que vous vous aventurez sur le territoire du ‘peuple élu’ – avec tous les anciens préjugés que charrie cette phrase mal comprise – une fois que vous répétez sous une autre forme les accusations médiévales envers des Juifs supposés se repaître du meurtre de petits enfants, vous avez franchi la ligne », avait-il écrit dans le journal The Independent. « Toutes ces horreurs du passé. La haine des Juifs, pure et simple. »

Howard Jacobson, auteur et chroniqueur, lauréat du Booker Prize. (Crédit photo : Jenny Jacobson)

Dayan assure que l’idée selon laquelle la pièce véhicule des tropes antisémites est « totalement scandaleuse ».

« J’invite les gens à dépasser cet inconfort initial que nous avons tous », suggère Dayan. « Malheureusement, tout ce qui touche Israël et la Palestine est intrinsèquement politique de nos jours… Mais c’est aussi quelque chose qu’il faut remettre en question. Il s’agit d’une œuvre destinée à nourrir et à protéger les prochaines générations. »

« Il s’agit de parler de la douleur que nous, en tant que peuple juif, avons endurée et d’y remédier et j’espère que nous saurons faire de ces traumatismes des leviers pour magnifier notre humanité, et non pour l’amoindrir », conclut-il.

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