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Interview

Gilad Kariv : La réforme mettra les juges sous pression politique permanente

Le député démocrate avertit que la révision du système de nomination des juges, portée par la coalition, entraînera une politisation du système et affaiblira son indépendance

Jeremy Sharon

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Le député Gilad Kariv s'exprime lors d'une réunion de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice à la Knesset, le 17 mars 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Le député Gilad Kariv s'exprime lors d'une réunion de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice à la Knesset, le 17 mars 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Alors que la coalition s’apprête à à finaliser l’adoption de sa loi controversée visant à modifier le système de nomination des juges, le député Gilad Kariv met en garde contre ses implications de cette réforme qui conduirait à « marquer » les juges d’une affiliation politique dès leur nomination, les obligeant à prendre constamment en compte l’impact de leurs décisions sur ceux qu’elles pourraient contrarier.

S’exprimant auprès du Times of Israel, Kariv, membre de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, où le projet de loi a été élaboré, a également critiqué un mécanisme du projet de loi qui, selon lui, accentuerait la polarisation et la radicalisation de la Cour suprême, à un moment où Israël aurait besoin de voix modératrices.

Ses propos ont été tenus juste avant que la commission n’approuve le projet de loi, ouvrant la voie à son examen en séance plénière de la Knesset. Cette réforme, qui constitue un élément central du programme de refonte du système judiciaire de la coalition, devrait être promulguée prochainement. Si elle est adoptée, l’influence du pouvoir judiciaire sur les nominations des juges serait considérablement réduite, au profit d’un renforcement du contrôle politique.

Contrairement au système actuel, la législation accorderait aux hommes politiques un droit de veto sur les nominations aux juridictions inférieures et exclurait totalement le pouvoir judiciaire du processus de nomination des juges à la Cour suprême. Elle prévoit également une augmentation de la représentation politique au sein de la commission de sélection des juges, tout en supprimant deux sièges réservés à des membres sans affiliation partisane.

Le ministre de la Justice, Yariv Levin, et d’autres membres de la coalition affirment que, dans le système actuel, le pouvoir judiciaire exerce une influence excessive sur la nomination des juges. Selon eux, renforcer le rôle des responsables politiques permettrait de corriger un déséquilibre qui empêcherait le gouvernement de nommer les juges de son choix.

L’opposition, en revanche, dénonce un projet de loi qui politiserait considérablement le processus de nomination, et par extension, le pouvoir judiciaire lui-même. Selon elle, cette réforme porterait atteinte à l’indépendance de la justice, qui constitue le seul véritable contre-pouvoir face à l’exécutif et au législatif dans le système démocratique israélien.

Le député Gilad Kariv parle lors d’une réunion de la commission Constitution, Droit et Justice de la Knesset, le 11 août 2024. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

La commission constitutionnelle de la Knesset a approuvé mercredi matin le projet de loi en vue de son passage en séance plénière de la Knesset. Il pourrait être présenté en dernière lecture dès la semaine prochaine.

La réforme n’entrerait toutefois en vigueur qu’au début de la prochaine législature, c’est-à-dire après les prochaines élections générales.

Kariv a été l’un des critiques les plus virulents du projet de loi a dénoncé la politisation du système judiciaire qu’il estime inévitable si la loi est adoptée.

Levin (Likud) et le président de la commission de la Constitution de la Knesset, Simcha Rothman (HaTzionout HaDatit), ont refusé à plusieurs reprises de répondre aux demandes d’interview du Times of Israel pour discuter de la loi et des critiques de l’opposition.

Un pouvoir politique disproportionné

« Ce projet de loi accorde un pouvoir excessif et disproportionné aux responsables politiques dans le processus de nomination des juges en Israël », a indiqué Kariv.

« Il transforme la nomination des juges de la Cour suprême en un processus entièrement contrôlé par des acteurs politiques, alors que depuis 75 ans, la sélection repose sur un accord entre des experts juridiques et des représentants politiques siégeant à la commission de sélection des juges. »

S’il était adopté, le projet de loi supprimerait les deux représentants de l’Association du barreau d’Israël qui siègent actuellement à la commission de sélection des juges, composée de neuf membres et chargée de toutes les nominations judiciaires. Ils seraient remplacés par un avocat nommé par la coalition et un autre désigné par l’opposition.

Selon Kariv et d’autres opposants à la réforme, ces nouveaux membres deviendraient des acteurs politiques, puisqu’ils seraient directement désignés par des élus, contrairement aux représentants actuels de l’Association du barreau, qui n’ont aucune affiliation partisane et sont considérés comme des professionnels du droit familiers du système judiciaire et de ses juges.

Le président de la commission Constitution, Droit et Justice de la Knesset le député Simcha Rothman s’entretenant avec le ministre de la Justice Yariv Levin lors d’un débat au plénum de la Knesset, le 6 mars 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Les nominations aux juridictions inférieures se feraient désormais à la majorité simple, mais nécessiteraient au moins une voix de chaque camp : coalition, opposition et Cour suprême. Jusqu’à présent, aucun de ces trois groupes n’avait de droit de veto sur les nominations dans les juridictions inférieures.

Pour la Cour suprême, les nominations devraient être validées par au moins une voix de la coalition et une de l’opposition, mais ne nécessiteraient aucun vote des trois juges de la Cour suprême siégeant à la commission de sélection des juges.

Selon Kariv, la réforme renforcerait l’influence des politiques dans le processus de nomination des juges, au détriment des professionnels du droit – les trois juges de la Cour suprême et les deux avocats du barreau. Cette situation, prévient-il, conduirait les juges à prendre en compte les conséquences politiques de leurs décisions sur leur avenir, plutôt que de statuer uniquement sur le fond des affaires.

« Cela donnerait aux politiciens un droit de veto total sur toutes les juridictions inférieures, dans chaque domaine judiciaire. Tribunaux de la jeunesse, tribunaux de la circulation, tribunaux administratifs, tribunaux de la famille – aucun n’y échapperait », a-t-il expliqué.

« Cela créera une situation dans laquelle chaque juge d’Israël serait étiquetés politiquement, et où chaque juge redoutera qu’un verdict puisse lui coûter sa place. »

« Nous nous dirigeons vers une politisation totale du système judiciaire et vers la crainte éternelle des juges de tous les tribunaux de prendre une décision qui pourrait gêner quelqu’un.

Et, poursuit-il, cela créerait une réalité dans laquelle les électeurs feraient pression sur leurs représentants politiques pour opposer leur veto aux juges dont l’idéologie ne correspond pas à la leur.

« Je suis de la gauche sioniste. Si j’ai un droit de veto, mes électeurs feront pression sur moi pour que je l’utilise. Ils me diront, par exemple, ‘Vous ne pouvez pas laisser cet habitant des implantations devenir juge dans les tribunaux pour mineurs. Utilisez votre veto ».

Le juge de la Cour suprême par intérim Isaac Amit lors d’une audience pour un recours déposé par des familles d’Israéliens retenus en otage dans la bande de Gaza contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le 28 octobre 2024. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90)

Selon lui a-t-il poursuivi, cette dynamique, « conduira à une catastrophe pour tout ce qui concerne les tribunaux inférieurs. »

Kariv a également critiqué le processus législatif, affirmant que la commission constitutionnelle de la Knesset n’a jamais organisé d’audience sur la politisation du système judiciaire, malgré les avertissements des partis d’opposition, du procureur général, du conseiller juridique de la commission et de trois anciens présidents de la Cour suprême.

Le dirigeant de l’Association du Barreau d’Israël, Amit Becher, lors d’une réunion du Comité de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, le 25 novembre 2024. (Crédit : Noam Moskowitz, Bureau du porte-parole de la Knesset)

Interrogé sur la possible politisation des représentants de l’Association du Barreau, notamment en raison de l’opposition publique et affirmée de son président Amit Becher au gouvernement actuel, Gilad Kariv a tenu à distinguer idéologie juridique et affiliation partisane.

La sélection des représentants du Barreau au sein de la commission de sélection des juges est réalisée par le conseil de l’organisation, dont l’équilibre des pouvoirs dépend des élections internes au sein du Barreau.

« Vous pouvez choisir des avocats ayant une approche plus activiste, par exemple en matière de défense des droits de l’homme, mais cela ne relève pas d’une position politique partisane », a soutenu Kariv. À l’inverse, les avocats appelés à remplacer les représentants du Barreau au sein de la commission auront une affiliation politique explicite, a-t-il averti.

Le député, qui présidait la commission sous le gouvernement Bennett-Lapid, affirmé avoir proposé que les changements relatifs aux nominations des juridictions inférieures soient totalement supprimés du texte législatif. Cette suggestion a cependant été rejetée par Simcha Rothman.

D’autres tentatives pour limiter la politisation du processus de nomination, comme l’exigence que les deux membres de la commission nommés par la coalition et l’opposition soient des juges à la retraite, ont également été écartées.

De petites modifications ont certes été apportées au projet initial, mais sans aucun débat en commission, a-t-il ajouté.

Le président Isaac Herzog, le ministre de la Justice Yariv Levin et le président par intérim de la Cour suprême Uzi Vogelman posent pour une photo avec des juges nouvellement nommés à la résidence du président à Jérusalem, le 23 juin 2024. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)

Kariv a insisté sur le fait que modifier le processus de nomination des juges des juridictions inférieures était inutile puisque même dans le cadre du système actuel, en pleine polarisation politique, la commission de sélection des juges dirigée par Levin lui-même a nommé des dizaines de juges dans les tribunaux d’instance, les tribunaux de district et d’autres systèmes judiciaires.

Selon Kariv, Levin prouve « que le système de nomination actuel fonctionne [puisque lui et ses collègues] sont parvenus à des accords » sur la nomination des juges des tribunaux de première instance. « Alors pourquoi changer le système ? »

Un risque d’extrémisme au sein de la Cour suprême

Kariv a également critiqué les modifications apportées au processus de nomination des juges de la Cour suprême.

Actuellement, la nomination d’un juge à la Cour suprême israélienne requiert sept voix sur neuf au sein de la commission de sélection des juges, garantissant ainsi que ni la coalition ni le pouvoir judiciaire ne peuvent imposer un candidat sans l’accord de l’autre partie.

Avec la nouvelle loi, seules cinq voix seraient désormais nécessaires, à condition qu’elles incluent au moins une voix de la coalition et une de l’opposition. Le soutien des juges de la Cour suprême siégeant à la commission ne serait plus requis.

En cas de blocage prolongé – si deux sièges restent vacants et que chaque camp oppose son veto aux nominations de l’autre pendant un an, le ministre de la Justice pourrait activer un mécanisme de sortie de crise. Dans ce cadre, chaque camp proposerait trois candidats et l’autre partie devrait en accepter au moins un.

Levin défend ces changements en affirmant que la coalition n’a pas suffisamment de contrôle sur les nominations à la Cour suprême. Il soutient également que la commission de sélection des juges dispose actuellement d’une majorité automatique en faveur des candidats libéraux.

« Vivons-nous à une époque où les faits et les chiffres n’intéressent plus personne ? », s’est exclamé Kariv, en soulignant les nombreux conservateurs qui siègent actuellement à la Cour.

Le juge de la Cour suprême Noam Sohlberg arrivant pour une audience sur l’enrôlement des hommes ultra-orthodoxes, le 8 janvier 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

« Les juges Noam Sohlberg, Yael Wilner et David Mintz sont-ils libéraux ? », a-t-il demandé en référence aux juges conservateurs de la Cour, qui, selon certains calculs, constituent désormais la majorité de la Cour.

Les trois anciens présidents de la Cour suprême, ainsi que la procureure générale, ont rejoint Kariv dans ses critiques, affirmant que la réforme créerait une Cour suprême polarisée et radicalisée.

Ils ont souligné que le compromis, jusque-là essentiel au processus de nomination des juges, disparaîtrait presque totalement. La coalition et l’opposition sauraient qu’en cas de blocage prolongé, elles pourraient attendre un an pour imposer leurs candidats les plus idéologiquement engagés et partisans.

« Ils sont en train de créer un système qui favorisera l’extrémisme au sein de la Cour suprême, et non la modération. Ce nouveau mécanisme va exacerber les divisions au sein de l’institution, alors que nous avons besoin de stabilité », a dénoncé Kariv. « Ils sont en train de déchirer la société israélienne. »

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