Herzog attendu à Ankara, après 30 ans de hauts et de bas entre Israël et la Turquie
Ankara et Jérusalem, alliés stratégiques dans les années 1990, ont amorcé récemment un rapprochement après plus de dix ans de tensions
La Turquie et Israël, alliés stratégiques dans les années 1990, ont amorcé récemment un rapprochement après plus de dix ans de tensions.
Isaac Herzog, attendu mercredi en Turquie, est le premier président israélien à y effectuer une visite d’Etat depuis celle de l’ancien Premier ministre Ehud Olmert en 2008, une visite considéré comme une étape importante vers la relance des relations entre les deux pays.
Partenariat « stratégique »
En 1996, Israël et la Turquie signent un premier accord militaire, prévoyant notamment un entraînement de l’aviation des deux pays dans leurs espaces aériens respectifs.
L’accord, vivement dénoncé par plusieurs pays arabes ainsi que par l’Iran, scelle un partenariat « stratégique » entre les deux pays.
Plusieurs accords de coopération seront par la suite conclus entre la Turquie et Israël, qui remporte des contrats de modernisation d’avions de combat turcs.
En novembre 2003, des attentats suicide contre deux synagogues, le consulat et une banque britanniques à Istanbul font 63 morts et des centaines de blessés.
En novembre 2007, le président israélien Shimon Peres effectue une visite d’Etat en Turquie.
En 2008, Ehud Olmert, alors Premier ministre se rend à Ankara pour faire avancer les négociations de paix israélo-syriennes.
Coup de colère d’Erdogan à Davos
Fin janvier 2009, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan quitte avec fracas un débat au Forum économique mondial à Davos (Suisse), après un plaidoyer du président israélien Shimon Peres en faveur de l’offensive menée par son pays dans la bande de Gaza.
Il reproche à l’animateur du débat de ne pas le laisser s’exprimer.
Fin 2008, Israël avait déclenché une offensive contre Gaza, enclave palestinienne sous contrôle du groupe terroriste islamiste du Hamas, pour stopper les tirs de roquettes contre son territoire. L’opération avait coûté la vie à 1 440 Palestiniens et 13 Israéliens.
Assaut contre le Mavi Marmara
Le 31 mai 2010, des commandos israéliens mènent un assaut contre le Mavi Marmara, un navire affrété par une association humanitaire turque : neuf militants turcs sont tués. Un dixième, blessé, décède à l’issue d’un long coma.
Le ferry faisait partie d’une flottille internationale de huit bateaux chargée d’aide humanitaire pour tenter de briser les restrictions sécuritaires imposé par Israël à la bande de Gaza, instaurées pour éviter tout détournement de fonds ou de matériaux à des fins terroristes.
L’opération déclenche la colère d’Ankara qui rappelle son ambassadeur en Israël, puis réduit ses liens économiques et de défense.
En mars 2013, Israël présente ses excuses, mais les tensions sont ravivées l’année suivante par une nouvelle offensive israélienne à Gaza.
Normalisation
Fin juin 2016, Israël et la Turquie officialisent la normalisation de leurs relations après six ans de brouille. L’accord prévoit le versement de 20 millions de dollars (près de 18 millions d’euros) d’indemnités à la Turquie. En contrepartie, celle-ci abandonne les poursuites contre les ex-chefs de l’armée israélienne pour leur implication dans l’assaut.
En décembre, le premier ambassadeur turc nommé en Israël depuis 2010 présente ses lettres de créances au président Reuven Rivlin. Recep Tayyip Erdogan, devenu président, avait reçu peu auparavant celles de l’ambassadeur israélien à Ankara.
Guerre des mots
Mais fin 2017, après l’annonce par le président Donald Trump du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, le président Erdogan prend la tête de la contestation musulmane, organisant un sommet à Istanbul.
En mai 2018, il accuse Israël de « terrorisme d’Etat » et de « génocide », après que des dizaines d’émeutiers palestiniens sont tués par des tirs israéliens à la barrière frontalière entre Israël et Gaza.
Les deux pays rappellent leurs ambassadeurs.
En juillet, le président Erdogan qualifie Israël d’Etat « le plus fasciste et raciste au monde » après l’adoption par le Parlement israélien d’une loi définissant le pays comme « l’Etat-nation du peuple juif ».
« La Turquie devient une sombre dictature », réplique le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Rapprochement
Mi-novembre 2021, M. Erdogan s’entretient avec le président Isaac Herzog et le Premier ministre Naftali Bennett – premier entretien entre un Premier ministre israélien et M. Erdogan depuis 2013 -, quelques heures après la libération et le retour dans leur pays d’un couple de touristes israéliens accusés d’espionnage et détenus en Turquie.
Fin novembre, M. Erdogan déclare que la Turquie envisage un rapprochement « progressif » avec Israël.
Le 18 janvier 2022, il annonce que la Turquie est prête à coopérer avec Israël sur un projet de gazoduc en Méditerranée orientale, auquel il s’était autrefois opposé.
Le 17 février, une délégation de hauts responsables turcs se rend à Jérusalem pour préparer la visite du président Herzog en Turquie, selon les autorités israéliennes. Puis une délégation israélienne se rend en Turquie le 2 mars.
Les analystes estiment que la réussite de la visite réussie permettra de franchir une étape importante pour sortir les relations bilatérales du gel.
Malgré les grands espoirs d’une éventuelle percée diplomatique au cours des réunions, il n’est pas prévu que les parties discutent ou annoncent l’installation d’ambassades à part entière dans leurs capitales respectives, a déclaré une source du ministère des affaires étrangères au Times of Israël.
À Ankara, les deux présidents « discuteront de diverses questions bilatérales, notamment des relations entre Israël et la Turquie et du potentiel d’expansion de la collaboration entre leurs États et peuples respectifs dans divers domaines », a indiqué la Résidence du Président dans un communiqué mardi.
Cette visite sera assombrie par la guerre en Ukraine. Jeudi, M. Erdogan doit accueillir à Antalya le ministre ukrainien des affaires étrangères, M. Dmytro Kuleba, et son homologue russe, M. Sergey Lavrov, pour les pourparlers de plus haut niveau entre les pays depuis l’invasion russe du 24 février.
Israël ne participe pas aux pourparlers, bien que le Premier ministre Naftali Bennett ait cherché à jouer un rôle de premier plan dans la médiation du conflit, rencontrant le président russe Vladimir Poutine samedi et téléphonant à plusieurs reprises au président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Herzog doit également se rendre à Istanbul pour des réunions avec des dirigeants de la communauté juive mercredi soir avant de rentrer en Israël jeudi après-midi.
Herzog a déclaré qu’il transmettrait à Erdogan un message de « collaboration entre les peuples et toutes les confessions pour le bien-être de l’humanité. »
Les deux parties restent prudemment optimistes quant aux chances de reprise complète des liens. Les responsables israéliens affirment qu’ils seront particulièrement attentifs à toute situation qui pourrait permettre à la Turquie de prendre Herzog au dépourvu et de l’embarrasser.
Au cours des deux dernières semaines, Herzog s’est rendu en Grèce et à Chypre pour les rassurer que le rapprochement avec la Turquie ne porterait pas atteinte aux liens d’Israël avec ses voisins méditerranéens.
La Turquie, qui souffre d’une crise économique dans son pays, a pris des mesures pour améliorer ses relations avec d’autres rivaux régionaux, tels que les Émirats arabes unis.
En début de semaine, Israël a accueilli un groupe de 100 hommes d’affaires turcs dans le but de renforcer les liens commerciaux. Selon les chiffres présentés lors d’un événement organisé à Tel Aviv à l’intention des chefs d’entreprise des deux pays, le commerce bilatéral a bondi à 6,7 milliards de dollars en 2021, soit une hausse de 35 % par rapport aux 4,9 milliards de dollars générés en 2020, mais toujours en baisse par rapport à 2018, où les échanges ont frôlé les 8 milliards de dollars.
Le président de l’Assemblée des exportateurs turcs, Gulle Ismail, a déclaré que les pays visaient à atteindre 9 milliards de dollars d’exportations l’un vers l’autre en 2022, stimulés par le vent arrière diplomatique.
« L’amélioration de nos relations politiques renforcera encore nos liens commerciaux », a-t-il déclaré à l’agence de presse turque Anadolu. « Le commerce régional créera une infrastructure très positive pour favoriser une politique régionale éloignée de la guerre. »
L’équipe du Times of Israël a contribué à cet article.