Instruire, légiférer, appliquer : discours intégral de Moshe Kantor à Yad Vashem
"A ce rythme, d'ici 30 ans, il pourrait ne plus y avoir de Juifs d'Europe", a prédit le président du Forum mondial sur la Shoah et du Congrès juif européen
Voici une retranscription, en français, de l’allocution du président du Forum mondial de la Shoah et du Congrès juif européen, le docteur Moshe Kantor, à Yad Vashem, à Jérusalem, le 23 janvier 2020.
Je voudrais commencer par exprimer ma profonde gratitude au président Reuven Rivlin qui, il y a deux ans, a vivement soutenu l’idée d’organiser la cinquième édition du Forum mondial de la Shoah à Jérusalem, avec l’étroite collaboration de Yad Vashem et du Congrès juif européen.
Je voudrais parler aujourd’hui de trois points.
Pourquoi est ce que l’antisémitisme est-il une menace pour l’humanité, et pas seulement pour le peuple juif ?
Quelle est la situation actuelle de l’antisémitisme, et notamment pour les Juifs européens ?
Quelles sont les mesures concrètes qui doivent être prises pour stopper cette menace ?
En accordant aux [Juifs] de France l’égalité des droits, Napoléon Bonaparte a dit que « l’attitude nationale à l’égard des Juifs est le baromètre de la civilisation de la société ».
Pourquoi cela ?
Historiquement, les Juifs ont toujours fait partie des citoyens les plus loyaux à leurs pays, et ont toujours fait de leur mieux pour s’intégrer et devenir des piliers de la société, à tous les égards.
Ainsi, pour tous ceux qui souhaitaient défaire le tissu sociétal, les extrémistes, de droite comme de gauche, les Juifs étaient un symbole des fondations de la société.
Le rejet des Juifs était un rejet de l’ordre mondial. Ils étaient toujours les premiers ciblés, mais jamais les derniers.
Les nazis ont anéanti un tiers du peuple juif, soit 6 millions de personnes, mais au total, plus de 60 millions de personnes ont été tuées pendant la Seconde Guerre mondiale, et le monde s’est arrêté aux portes de la déchéance.
Si les extrémistes ne se sont pas arrêtés aux portes de l’antisémitisme, ils prendront le pouvoir exécutif dans leurs pays respectifs.
Et quelle est la situation actuelle ?
Qui aurait imaginé que seulement 75 ans après la Shoah, les Juifs auraient à nouveau peur de marcher dans les rues d’Europe avec des symboles
juifs ?
Qui aurait imaginé que les synagogues seraient attaquées, les cimetières détruits, profanés, régulièrement ?
En tant que président du Congrès juif européen, je ne peux que vous dépeindre un tableau des communautés qui se cachent derrière des hauts portails et d’épaisses portes blindées.
Plus de 80 % d’entre eux ne se sentent pas en sécurité en Europe, 40 % envisagent de quitter définitivement l’Europe, et ces dernières années, 3 % d’entre eux, chaque année, ont passé ce cap.
Si nous réfléchissons un instant à ces chiffres, cela signifie qu’à ce rythme, d’ici 30 ans, il pourrait ne plus y avoir de Juifs d’Europe.
Que peut-on faire ?
Premièrement, nous devons instruire – sur la Shoah et sur les dangers de l’antisémitisme, du racisme et de la xénophobie, et ce depuis le plus jeune âge.
Deuxièmement, nous devons adopter des lois sensées et troisièmement, les appliquer.
En ce sens, nous avons tant à apprendre les uns des autres.
A titre d’exemple, l’Allemagne a adopté une loi, il y a deux ans, contre le discours raciste en ligne, s’attaquant à l’une des plus puissantes plateformes pour l’antisémitisme et le racisme aujourd’hui, Internet.
Les Etats-Unis ont récemment pris à bras-le-corps l’antisémitisme sur les campus universitaires, avec un décret qui permet de réduire les fonds alloués aux universités qui ne luttent pas contre l’antisémitisme.
La France a adopté une loi contre le boycott des personnes et des produits sur la base de la nationalité, s’attaquant ainsi à la nouvelle forme d’antisémitisme qui cible l’Etat hébreu.
Il y a quelques semaines, ils ont adopté une loi qui admet que l’antisionisme est du ressort de l’antisémitisme !
La Grande-Bretagne est un modèle sur la façon de répondre à l’antisémitisme. Elle a créé un groupe de travail, mobilisé des agences d’applications de la loi, des institutions juridiques et des organisations de la société civile, afin de coordonner et d’agir efficacement contre l’antisémitisme.
Et c’est en Russie que les chiffres de l’antisémitisme sont au plus bas, en raison d’une politique très intransigeante à l’égard de l’antisémitisme. Les incidents antisémites sont traités avec la plus grande sévérité. L’antisémitisme est donc pratiquement éliminé de l’espace public.
Ces cinq exemples positifs de leadership fort devraient être répandus partout en Europe et dans le monde.
En conclusion, nous devons assimiler juridiquement et concrètement les paroles et les actes de l’antisémitisme aux paroles et aux actes de l’extrémisme et du terrorisme.
Autrement, il sera trop tard, une fois que l’extrémisme aura pris le pouvoir exécutif, pays par pays, c’est-à-dire votre pouvoir et notre futur commun.
Nous sommes réunis aujourd’hui, unis par nos mots et notre croyance pour un futur libéré de tout antisémitisme, racisme et xénophobie. Ensemble, nous sèmerons des graines de confiance et de croyance, afin que soient exaucées nos prières de rédemption.
Je remercie chacun d’entre vous pour votre présence, votre dévotion, votre confiance et votre engagement.