Israël doit investir davantage dans la R&D pour la croissance du secteur technologique
L’Autorité israélienne de l’innovation affirme que l’industrie de la technologie est forte mais en proie à des défis qui nécessitent d'agir
Ricky Ben-David est journaliste au Times of Israël
L’industrie technologique d’Israël est le joyau de la couronne de l’économie, à l’origine d’une très forte croissance ces dix dernières années et d’une réputation de nation de haute technologie. Elle est toutefois en proie à de grands défis tels qu’un manque de diversité et une pénurie aiguë de talents qui pourraient sérieusement entraver sa capacité à être compétitive dans les années à venir, selon le dernier rapport de l’Autorité israélienne de l’innovation (IIA) publié mercredi.
Ces problèmes, combinés au manque d’investissements publics en R&D et à une disparité croissante entre le secteur de la technologie et les secteurs plus traditionnels, pourraient freiner Israël sur la scène mondiale dans les décennies à venir, avertit le rapport « L’état de la High-Tech en 2022 ».
« Nous faisons partie intégrante de l’écosystème mondial, et nous sommes très bien positionnés et compétitifs », s’est expliqué Sagi Dagan, vice-président de la division croissance de l’IIA, au Times of Israel lors d’un point de presse téléphonique avant la publication du rapport.
« Toutefois, nous constatons un déclin de l’infrastructure [nécessaire] à l’avenir de la haute technologie. Nous devons prendre les bonnes décisions pour l’avenir et gérer ces risques. »
Dagan a déclaré qu’Israël devait réfléchir à ce que sera son écosystème technologique en 2030-2040. « Nous voyons des menaces », a-t-il expliqué, comme la faiblesse des investissements publics en R&D en pourcentage du PIB et la baisse des ressources allouées à l’industrie et au monde universitaire pour soutenir les recherches disruptives. Les investissements publics sont généralement destinés à des projets considérés « à haut risque » dans des domaines tels que l’alimentation, la science, l’agriculture, les transports, l’énergie et l’espace pour assurer la sécurité et la croissance à long terme, là où le financement privé peut faire défaut.
Les écosystèmes technologiques concurrents comme Paris, Berlin, Singapour et Boston bénéficient d’un soutien plus important, a indiqué Dagan.
« Au fil des ans, les investissements publics dans la recherche et le développement des segments en croissance, en pourcentage du PIB, ont diminué régulièrement. La croissance de l’industrie israélienne de haute technologie face à la concurrence mondiale est menacée en raison d’investissements publics substantiellement faibles par rapport aux autres pays », ont écrit mercredi les auteurs du rapport de l’IIA.
Les chiffres donnent à réfléchir. La part du gouvernement israélien dans l’investissement dans la R&D est la plus faible de tous les pays de l’OCDE, à 9,6 % en 2019 (pour lesquels les dernières données sont disponibles) bien en dessous de la moyenne de 23,8 %, note le rapport de l’IIA. En comparaison, la part de la Corée du Sud dans les investissements en R&D était d’un peu plus de 20 %, la Suède de 24 %, la France de plus de 31 %, le Royaume-Uni de 27 % et les États-Unis de 20 %.
Dans le même temps, Israël se classe en tête du classement de l’OCDE pour les dépenses de R&D en pourcentage du PIB, à 5.4 % en 2019, soit le double de la moyenne de l’OCDE de 2.7 %. La Corée avait 4,8 %, la Suède 3,5 %, la France 2,4 %, le Royaume-Uni 1,7 % et les États-Unis également avec 3,5 % dans ce classement, selon le rapport.
En outre, la position d’Israël dans le classement de l’Indice mondial de l’innovation (GII) s’est dégradée ces dernières années, tombant à la 15e place en 2021, contre la 10e en 2019.
Dagan a déclaré que le gouvernement devait répondre à cette question importante : « Faisons-nous une analyse des risques à long terme et mettons-nous les investissements publics au meilleur endroit ? »
La taille de l’écosystème a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie pour devenir une industrie beaucoup plus grande, mais l’allocation des fonds publics ne s’est pas ajustée en conséquence, suggère Dagan.
Au cours des deux dernières années, depuis le début de la pandémie de COVID-19, deux processus importants ont eu lieu, explique-t-il. Tout d’abord, l’industrie technologique israélienne a connu une quantité énorme d’investissements – en 2021, les entreprises israéliennes ont levé plus de 25 milliards de dollars, dépassant les 10 milliards de dollars en 2020, le précédent record. Deuxièmement, le risque pour le secteur a augmenté en conséquence.
« Il y a eu beaucoup d’investissements et c’est une source de fierté ; 25 % de l’impôt sur le revenu provient de la technologie, la moitié de nos exportations sont de la technologie. Israël est un petit pays, nous n’avons pas beaucoup de ressources naturelles, nous avons un peu de gaz et un peu de phosphate de la mer Morte. Notre ressource naturelle, c’est notre cerveau, nos connaissances… que nous utilisons pour la haute technologie », explique Dagan.
Simultanément, « les risques ont également augmenté, et nous n’avons pas d’alternatives, nous devons investir dans ces domaines », assure-t-il. « Le secteur de la technologie a sauvé l’économie pendant la pandémie, que se serait-il passé si le secteur de la technologie n’avait pas été aussi fort? »
Par risques, Dagan et d’autres entendent des problèmes tels que le manque de diversité et d’inclusion dans le secteur de la technologie, où la proportion de travailleurs des communautés arabes et ultra-orthodoxes n’a pas augmenté, à 4,7 %, et les ressources humaines en-dehors du centre d’Israël ne représentent qu’environ 33 %.
« La haute technologie préserve son homogénéité en tant qu’industrie juive », et une industrie à majorité masculine, selon le rapport. « Moins de 20 % des employés salariés sont arabes, la plupart de ses employés sont des hommes non ultra-orthodoxes, les femmes représentent moins d’un tiers de tous les employés salariés de l’industrie et les hommes et les femmes ultra-orthodoxes ne représentent que 3 %. »
Le manque de diversité est également lié à une profonde pénurie de talents technologiques, le candidat idéal ayant une formation en ingénierie et développement, fraîchement sorti des unités de renseignement d’élite de l’armée israélienne.
Israël compte environ 13 000 postes non-pourvus, selon un rapport de 2021 de l’AII sur le suivi du « capital humain ». Le prochain rapport devrait être publié dans les prochaines semaines.
Un autre domaine riche de défis est celui des collaborations entre universités et industrie, car 15 % seulement d’entre elles se font avec des entreprises israéliennes. Selon l’étude, les multinationales américaines Microsoft et IBM à elles seules concentrent la moitié des collaborations.
« Davantage de partenariats entre entreprises technologiques en pleine croissance et universités donnera également aux entreprises accès à une source de main-d’œuvre de qualité, dotée de connaissances approfondies. Cela leur permettra d’accroitre leurs capacités et de continuer à être innovants et compétitifs sur le marché mondial », indique le rapport.
Ces difficultés pourront être résolues par un soutien public donnant la priorité à l’éducation, au financement des universités et des initiatives universitaires, ainsi qu’à des investissements dans le secteur de la R&D.
« Tous les défis sont liés, nous devons agir sur plusieurs tableaux », explique Dagan.
De manière plus positive, l’industrie technologique israélienne représente environ 362 000 travailleurs, soit 10,4 % de la population active israélienne, selon le rapport de l’IIA. Le taux de croissance du nombre d’employés de la haute technologie en 2021 était huit fois plus élevé que le reste de l’économie.
(En comparaison, la proportion de salariés de haute technologie en Irlande était de 9,2 %, en Suède de 5, 7%, en Allemagne de 5,3 %, aux Pays-Bas de 4,3 % et au Royaume-Uni de 5,5 %, selon les données d’Eurostat.)
L’informatique est le diplôme de premier cycle le plus populaire dans les universités israéliennes et le nombre d’étudiants inscrits dans cette matière, en partie ou en totalité, est passé à environ 10,8 % de tous les étudiants de premier cycle.
Depuis 2021, environ 40 % des étudiants de sexe masculin et 13 % des étudiantes des programmes de premier cycle étudient des sujets comme le génie civil ou mécanique, considérés comme la voie royale vers une carrière dans le secteur de la technologie, selon le rapport.
Alors que l’industrie de la technologie a connu un financement record en 2021, principalement dans le secteur des logiciels d’entreprise, de la cybersécurité et de la fintech, la valeur marchande des entreprises technologiques israéliennes au Nasdaq a chuté de près de 10% au cours des derniers mois.
La valeur des entreprises technologiques israéliennes du Tel Aviv 35 a également diminué de 9,5 %, selon le rapport, expliquant que ces tendances reflétaient une baisse des investissements privés en Israël et aux États-Unis au cours du premier trimestre de 2022, par rapport à la même période de l’année dernière.
Les économistes et experts avaient mis en garde contre une probable correction du marché en 2022, après une année exceptionnelle pour la technologie israélienne en 2021.
Le PDG de l’IIA, Dror Bin, a ajouté que les succès d’ensemble du secteur israélien de la haute technologie « rendaient moins perceptibles les défis auxquels nous pourrions être confrontés à l’avenir ».
« Le rapport montre que la prospérité de l’industrie est menacée par la surconcentration de l’industrie, à la fois géographiquement et démographiquement. En outre, en raison des investissements publics relativement faibles dans la R&D disruptive, le risque est plus élevé que les pays concurrents », a-t-il résumé dans un communiqué.
Le Dr Ami Appelbaum, président de l’IIA, a averti dans un communiqué qu’« Israël ne pouvait pas faire l’autruche et s’attendre à ce que, sans investissement à long terme dans la haute technologie, le principal secteur d’exportation de l’économie continue de dominer la scène mondiale ».