Israël-Hamas : La « neutralité », nouvelle stratégie des universités américaines
Après avoir subi les contrecoups de leurs déclarations sur le 7 octobre et sur la guerre qui a suivi, de nombreux établissements ont codifié leurs règles sur la neutralité politique
JTA – Lorsque les universités américaines avaient publié des déclarations sur le pogrom commis par le Hamas, le 7 octobre 2023, et sur la guerre à Gaza qui avait suivi, un grand nombre de ces communiqués avaient entraîné des réactions intenses, une rébellion des donateurs et, dans certains cas, la démission d’administrateurs de premier plan au sein de ces établissements. Il avait semblé qu’aucune déclaration n’avait été assez bonne pour échapper aux critiques.
C’est la raison pour laquelle de nombreuses universités ont pris une décision : elles ne s’exprimeront plus.
« La pratique consistant à émettre des déclarations revient à soutenir certains membres de notre communauté tout en ignorant d’autres populations, intentionnellement ou non », a expliqué Maud Mandel, présidente du Williams College et spécialiste en études juives, dans une lettre adressée au campus la semaine dernière, un courrier qui était consacré à sa propre décision de conserver sa neutralité après le 7 octobre – une décision qui est maintenant codifiée dans la politique de l’université. « Cela donne de la visibilité à certaines questions tout en en laissant beaucoup d’autres dans l’obscurité la plus totale ».
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Elle n’est pas la seule à prôner dorénavant discrétion et retenue. Cette semaine, l’université de Pennsylvanie, le Barnard College et les campus de l’université d’Alabama ont été parmi les derniers établissements à annoncer qu’ils institueraient une politique générale de « neutralité institutionnelle » sur les événements survenant dans le monde qui n’affectent pas directement la population étudiante, le corps professoral ou les employés plus largement. L’université de Yale a également annoncé qu’elle étudierait la possibilité d’adopter une politique similaire, en convoquant un comité formé de sept professeurs qui organiseront des séances d’écoute et qui recueilleront des témoignages sur cette question.
Ces établissements d’enseignement supérieur rejoignent environ deux dizaines d’autres qui ont d’ores et déjà codifié une politique de neutralité politique, selon l’organisation de défense de la liberté d’expression sur les campus, la FIRE, qui est elle-même favorable à de tels règlements. La plupart de ces décisions n’ont été mises en œuvre sur le terrain qu’au cours des derniers mois. Pour leur part, les responsables juifs, dont un grand nombre ont exercé des pressions pour que les universités dénoncent fermement le pogrom du 7 octobre, sont divisés sur la question.
Dans une déclaration faite auprès de la JTA, le directeur général de Hillel International, Adam Lehman, a qualifié la neutralité institutionnelle de « bonne avancée qui permettra de rendre aux campus leurs missions essentielles d’éducation, d’apprentissage et de recherche ».
Mais, a-t-il ajouté, cette politique « n’est pas la panacée qui pourra venir à bout des problèmes de harcèlement, d’intimidation et de discrimination à l’encontre des étudiants juifs ».
La liste des écoles qui ont adopté une politique de neutralité, cette année, comprend des universités d’élite – Harvard, Columbia, Stanford et l’université de Californie du Sud. Toutes sont des universités qui ont connu des troubles importants en raison des réactions au 7 octobre. Dans la liste figurent également quelques grands établissements publics, comme Syracuse et l’université du Texas. L’université de Caroline du Nord avait mis en place, pour sa part, une politique similaire au mois de juillet 2023.
« En premier lieu, l’intégrité et la crédibilité de l’institution sont compromises lorsque l’université s’exprime officiellement sur des questions qui ne relèvent pas de son domaine d’expertise institutionnelle », est-il écrit dans le communiqué de Harvard qui a été publié par un groupe de travail co-présidé par le professeur de droit Noah Feldman, spécialiste de premier plan des affaires juives américaines.
« En second lieu, si l’université et ses administrateurs prennent l’habitude de faire des déclarations officielles sur des sujets qui dépassent la fonction principale de l’université, ils seront inévitablement soumis à des pressions intenses de la part de multiples parties concurrentes sur toutes les questions imaginables qui font l’actualité ou presque », précise le communiqué.
La neutralité est également le mot invoqué en ce qui concerne les investissements des universités en Israël, des fonds qui font l’objet d’une grande attention. L’université du Minnesota a récemment déclaré que sa stratégie d’investissement « adopterait une position de neutralité » et que « les décisions portant sur les investissements continueront à être basées sur des critères financiers déjà définis dans nos dispositions politiques ».
La déclaration faite par l’université du Minnesota a explicitement rejeté la campagne en faveur du désinvestissement d’Israël qui était menée par des étudiants activistes. Jane Mayeron, la présidente du conseil d’administration, a déclaré que « il est clair que notre communauté est divisée sur le sujet ». Le Conseil d’administration dans son ensemble a, pour sa part, pris la décision de ne mettre en œuvre de politiques de désinvestissement que « dans de très rares circonstances » et uniquement « lorsqu’il existe un large consensus sur la demande au sein de la communauté universitaire qui est composée d’étudiants, de professeurs, de personnels et d’anciens étudiants ».
En annonçant leur neutralité, de nombreuses écoles n’ont pas explicitement mentionné Israël ou les mouvements de protestation dénonçant la guerre à Gaza. Bon nombre d’entre elles se sont appuyées sur le rapport Kalven, un document datant de 1967 qui avait été rédigé par l’université de Chicago et qui avait posé le cadre de la neutralité académique moderne en affirmant que « l’université est le foyer et le sponsor des critiques ; elle n’est pas elle-même la critique ».
Pourtant, le contexte est indéniablement marqué par les réponses qui avaient été apportées par les universités au pogrom du 7 octobre. Des réponses qui avaient été scrutées et souvent condamnées par les Juifs comme par les pro-palestiniens, qui avaient fait la comparaison avec les déclarations beaucoup moins ambiguës qui avaient pu être faites sur d’autres sujets – notamment sur le soutien apporté à l’Ukraine après l’invasion russe de 2022, ou sur le mouvement Black Lives Matter.
À Harvard, par exemple, la présidente de l’époque, Claudine Gay, avait été vivement critiquée pour avoir attendu quarante-huit heures avant de publier une déclaration condamnant le massacre du 7 octobre. Dans l’intervalle, plusieurs groupes étudiants avaient fait part de déclarations qui rejetaient l’entière responsabilité du pogrom visant Israël, sur Israël… Gay avait fait paraître sur internet plusieurs déclarations et vidéos condamnant le Hamas, dont une qui dénonçait l’usage de la phrase « Du fleuve à la mer » – une formule que les militants pro-palestiniens considèrent comme un appel à la libération et les militants pro-israéliens comme un appel à la destruction d’Israël. Une dénonciation qui avait entraîné des réactions négatives de la part de la communauté pro-palestinienne au sein de l’université. Elle s’était également engagée à lutter contre l’antisémitisme.
Après des mois de critiques intenses et une audience qui devait être largement tournée en dérision devant le Congrès, Gay avait démissionné de son poste en janvier. Au mois de mai, son remplaçant juif, Alan Garber, a finalement annoncé que l’université ne ferait plus de « déclarations officielles sur des questions publiques qui n’affectent pas directement la fonction principale de l’université ».
Les groupes juifs, comme c’est le cas de Hillel, sont divisés sur la question de la neutralité institutionnelle. L’Anti-Defamation League (ADL), qui avait intégré les déclarations des universités sur Israël dans ses « fiches » controversées consacrées à la question de l’antisémitisme dans les campus, a choisi de conserver sa propre neutralité, refusant toutes nos demandes de commentaire pour les besoins de cet article.
Mais d’autres militants juifs, présents sur les campus, s’opposent à toute idée de neutralité institutionnelle. Dans une interview qui a été accordée au Jewish Insider, Mark Yudof, le président du réseau pro-israélien Academic Engagement Network qui est aussi ancien président de l’université de Californie, a déclaré que le concept de neutralité institutionnelle n’était pas pertinent s’agissant d’Israël, car ce qui se passe dans ce pays affecte directement les membres de la communauté juive qui évoluent sur les campus.
« S’il y a des agressions de femmes, s’il y a des comportements racistes, si les étudiants juifs ne peuvent pas traverser le campus en toute sécurité, j’attends des présidents qu’ils prennent la parole à ces sujets et je ne veux pas que la neutralité institutionnelle puisse impliquer qu’ils ne pourront pas veiller aux intérêts des étudiants, des professeurs et du personnel plus largement », a indiqué Yudof. Au moins une présidente d’université juive, Ora Pescovitz, qui est à la tête de l’Université d’Oakland, a expliqué quelle était, elle aussi, défavorable à la neutralité.
De nombreux pro-palestiniens, sur les campus, ont dénoncé ce principe de neutralité institutionnelle. Certains affirment que les universités ont déjà prouvé leur absence de neutralité à l’égard d’Israël en raison de leur refus du mouvement de désinvestissement de l’État juif.
« Cela permet aux présidents d’université d’exclure le débat public tout en revendiquant une sorte de noblesse morale », a écrit Anton Ford, un professeur de l’université de Chicago, qui avait appelé à ce que son établissement se désinvestisse d’Israël dans une tribune qui avait été publiée dans le journal Chronicle of Higher Education, au mois de mai dernier. « Alors qu’un mouvement national de protestation bat actuellement son plein, rien ne pourrait être plus commode ».
Certaines écoles ont accompagné leur nouvelle politique de neutralité à d’autres initiatives en soutien aux étudiants juifs. Quelques jours avant d’annoncer cette nouvelle règle, la Penn a annoncé la création d’un bureau d’inclusion religieuse et ethnique. Ce bureau a été conçu pour répondre aux plaintes relatives au titre VI, telles que celles qui ont été déposées contre l’université par des étudiants juifs, au cours de ces derniers mois. Il prend aussi en charge les cas d’islamophobie.
Même les établissements qui avaient déjà adopté le principe de neutralité institutionnelle avant le 7 octobre se sont retrouvés mêlés au débat sur la question israélienne. Michael Schill, le président juif de l’université Northwestern, avait notamment condamné le Hamas après le 7 octobre, tout en utilisant la même déclaration pour apporter son soutien à une politique de neutralité institutionnelle.
À l’époque, Schill avait fait savoir qu’il s’exprimait en tant que « citoyen, Juif et être humain ».
« Je n’ai pas renoncé à ces parties de moi lorsque je suis arrivé à la présidence de Northwestern », avait-il expliqué. Quelques mois plus tard, il avait été vilipendé par des groupes juifs, dont l’ADL, qui avaient demandé sa démission parce qu’il avait négocié un accord avec les organisateurs du campement pro-palestinien qui était installé sur son campus. Northwestern a annoncé cette semaine avoir ouvert une enquête sur un membre du corps enseignant qui avait participé au campement, faisant savoir qu’elle avait annulé ses cours pour le semestre.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel