Istanbul : Reprise du pèlerinage orthodoxe sur la tombe d’un rabbin kabbaliste
Loin d’être aussi couru – ou tapageur – qu’un autre, en Ukraine, ce tombeau fait l'objet d'un intérêt croissant, dans une ambiance de paisible camaraderie
ISTANBUL (JTA) — Des dizaines de Juifs orthodoxes se sont rassemblés sur une colline, en surplomb du détroit du Bosphore.
Au-dessus d’eux, au sommet de la colline, se trouve une base militaire turque, et en dessous, le quartier chic stanbouliote d’Ortaköy.
Le pont des Martyrs du 15 juillet, qui relie l’Europe et l’Asie, domine la perspective. Du côté asiatique du détroit se profile l’immense mosquée Çamlica.
Pourtant, rien de tout cela n’intéresse cette foule.
La colline abrite également l’un des plus grands cimetières juifs d’Istanbul, et les personnes rassemblées – venues de Turquie, des États-Unis et d’Israël – sont là pour rendre hommage au rabbin Naphtali HaKohen Katz, prolifique et influent rabbin du 17e siècle versé dans le mysticisme juif et dont le yahrzeit – anniversaire de la mort – tombait cette année le 17 janvier.
Des pèlerinages comme celui-ci, effectués par des groupes orthodoxes sur les tombes de personnalités juives vénérées en Europe, sont bien moins rares qu’on pourrait le penser et sont à l’origine d’une forme de tourisme centré sur la location de chalets.
Parmi les pèlerinages les plus importants et les plus médiatisés, citons celui d’Ouman, en Ukraine, qui attire des dizaines de milliers de personnes sur la tombe de Rabbi Nahman de Breslov chaque année à Rosh HaShana, (et non pour l’anniversaire de sa mort) même pendant l’invasion russe et celui du rabbin Elimelech Weisbaum, un des premiers dirigeants hassidiques, à Lizhensk, en Pologne, au début du printemps.
Yitzhak Friedman, Juif hassidique originaire de Lakewood, dans le New Jersey qui étudie actuellement en Israël, a déclaré à la Jewish Telegraphic Agency que ses amis et lui avaient profité du yahrzeit de Katz pour organiser un bref déplacement à Istanbul.
« Les billets n’étaient pas très chers, on nous avait dit beaucoup de bonnes choses au sujet de ce pèlerinage, alors j’y ai fait un saut pendant deux jours », dit-il.
Un autre groupe – cette fois de femmes orthodoxes originaires d’Israël – confie avoir organisé leur déplacement de manière à coïncider avec la « hilulah », terme en hébreu qui désigne ce pèlerinage.
Le pèlerinage d’Ouman est aujourd’hui un événement assez tapageur qui attire un très grand nombre de Juifs orthodoxes, se déroule sur plusieurs jours et assèche totalement l’offre de logements de cette petite ville. D’autres pèlerinages, comme celui sur la tombe de Katz, se déroule dans une atmosphère plus calme et introspective.
Les groupes y font des pauses entre les prières, à la synagogue du cimetière, pour se restaurer, avec du whisky et des collations.
Friedman confie avoir effectué plusieurs déplacements de même nature ces douze derniers mois, par exemple à Dynow, en Pologne, sur la tombe de Reb Tzvi Elimelech Spira, un des premiers dirigeants hassidiques.
Il s’est également rendu dans une Ukraine en guerre, au bout d’un long périple de plus de trente heures, pour passer Rosh HaShana à Ouman, en dépit des mises en garde des autorités israéliennes et ukrainiennes comme des dirigeants rabbiniques, cette année en raison de la guerre.
Friedman a entendu dire qu’une visite à la tombe de Katz pouvait aider à trouver « la bonne personne » ou à guérir des enfants de la maladie. Lui demande simplement le « bonheur ».
Il pense que ces effets sont liés au fait que cette tombe est bien moins fréquentée que celle d’Ouman.
« On sait qu’un tzaddik moins couru a de plus grands pouvoirs », assure Friedman, utilisant le terme en hébreu qui désigne un sage.
Un autre pèlerin, Juif hassidique de la communauté Doroger à Bnei Brak, en Israël, dit être un lointain descendant de Katz, venu accompagner pour la première fois son père qui, lui, effectue le déplacement depuis 50 ans.
Katz est né en 1649, dans ce qui est aujourd’hui Ostrovo, en Ukraine. À l’âge de 14 ans, il est capturé et vendu comme esclave par les Tatars, des Musulmans turcs de Crimée, également présents dans le sud de l’Ukraine. Il parvient à s’échapper, quelques années plus tard, et retourne à Ostrovo, où il devient rabbin, avant d’être envoyé à Posen, dans ce qui est aujourd’hui la Pologne et où il devient un spécialiste de la littérature kabbalistique.
Ses luttes ne s’arrêtent pas aux Tatars.
Plus tard, Katz est appelé à Francfort, dans ce qui est aujourd’hui l’Allemagne, pour servir la communauté. Lorsqu’un incendie se déclare dans la ville, en 1711, on l’accuse d’avoir utilisé des charmes kabbalistiques pour entretenir le feu et on l’emprisonne à la demande des dirigeants de la ville.
À sa sortie de prison, il trouve refuge à Prague, où il se querelle avec un autre professeur de la Kabbale, fidèle à Shabtai Zvi, un faux messie, et enfin à Wroclaw.
Après une vie faite de luttes en Europe, Katz tente d’émigrer en Terre Sainte mais son périple prend fin à Constantinople, où il meurt en 1718. Il est enterré par la communauté juive locale dans le cimetière d’Ortaköy.
Depuis lors, sa tombe est un lieu de pèlerinage, explique le Mendy Chitrik, rabbin d’Istanbul affilié au mouvement hassidique Habad-Loubavitch et lui aussi lointain descendant de Katz, qui a contribué à la restauration de sa tombe en 2005.
« Par le passé, de grands rabbins sont réputés avoir fait le pèlerinage », explique Chitrik, notamment le Baal Shem Tov – fondateur du judaïsme hassidique – Rabbi Nachman de Breslov et d’autres.
« J’ai accompagné de grands rabbins venus anonymement prier sur sa tombe », ajoute Chitrik.
« Certains arrivent en jet privé pour une journée et repartent aussitôt. »
Il y a des visiteurs tout au long de l’année, mais le moment le plus couru est celui du yahrzeit de Katz, le 24 Tevet du calendrier hébraïque.
Ces dernières années, l’évènement a réuni jusqu’à 300 personnes, affirme Albert Elvaşvili, président de la communauté juive d’Ortaköy chargée de la gestion du cimetière.
« Pour nous, famille Ortaköy Ets Ahayim, il est de notre devoir, de génération en génération, de maintenir cette communauté en vie et de recevoir des visiteurs du monde entier pour ce pèlerinage », confie Elvaşvili à la JTA.
Ets Ahayim [« l’arbre de la vie » en hébreu] est le nom de la synagogue d’Ortaköy.
« Nous sommes une petite communauté et avons toujours besoin de l’aide de tous pour prendre soin de ce site et de cette fondation, qui est une partie très importante du patrimoine juif turc historique et juif mondial, mais nous attendons avec impatience de voir de nombreux visiteurs chaque année, même si nous sommes peu nombreux », a-t-il ajouté.
Il note toutefois que la fréquentation fluctue en fonction des relations israélo-turques, tout comme le tourisme israélien en Turquie, qui a atteint un niveau record cette année.
La plus grande crise a eu lieu avec la pandémie de COVID-19, qui a causé une forte contraction du nombre de pèlerins.
Aujourd’hui, les pèlerins semblent avoir retrouvé le chemin d’Ortaköy : plusieurs bus de pèlerins originaires de différents pays se sont succédés tout au long de la journée.
« À la faveur du réchauffement des relations israélo-turques, je pense qu’il y aura encore plus de touristes israéliens et que la Turquie deviendra plus attrayante pour les Juifs et notamment les religieux », assure Chitrik.
« Ils viendront plus nombreux, non seulement sur la tombe de Naphtali Katz le 24 Tevet, mais également sur celle du rabbin Chaim Palachi à Izmir, le 19 Shevat, ou celle de Rabbi Yehudah Rozanes, le 26 Nissan, comme sur celles d’autres rabbins enterrés ici dans des cimetières turcs. »
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