Jérusalem : Cette rue aimée des représentants du Vieux continent
Des missionnaires britanniques, des banquiers suisses, des Italiens, des Roumains et des Finnois avaient tous trouvé leur place sur la rue Shivtei Yisrael, dans la capitale
Il s’appelait l’Olivet House Hotel et, selon les annonces de l’époque, il avait été « entièrement redécoré et rénové » avec une plomberie moderne, le thé du matin et proposant – en gardant le meilleur pour la fin : de la gastronomie anglaise. Les balcons surplombaient la Vieille Ville, avec une vue ouvrant sur le Dôme du rocher et sur un bloc d’immeubles sans chauffe-eaux solaires ni antennes sur leurs toits.
L’hôtel avait été construit en 1880 par un missionnaire britannique qui s’appelait Eno George Hensman et qui avait acheté les deux structures reliées par un pont et qui devaient devenir Olivet House. En plus de la vue offerte sur la Vieille Ville, il était également possible d’apercevoir clairement le mont des Oliviers – d’où le nom de l’hôtel. C’était le lieu privilégié pour les missionnaires désireux d’effectuer un séjour prolongé.
Lorsque les Britanniques avaient pavé la route secondaire sur laquelle se trouvait l’Olivet, ils avaient baptisé la partie basse de cette dernière St. George Street, en raison d’une grande cathédrale qui se trouvait à l’angle. La section haute de la route avait été appelée St. Paul’s Road en raison de l’église anglicane charmante qui avait été construite là-bas en 1873.
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St. George Street et St. Paul’s Road avaient été ultérieurement renommées Shivtei Yisrael (« Les tribus d’Israël » en hébreu).
Aujourd’hui, l’ancien hôtel et l’église anglicane font encore partie des quelques douzaines de constructions érigées pour des desseins différents par des gouvernements étrangers, des instances religieuses ou des ressortissants étrangers sur Shivtei Yisrael Street. Parmi les pays représentés dans cette seule rue, l’Italie, la Russie, l’Angleterre, la France, la Roumanie, l’Espagne et la Finlande.
Les premiers arrivés avaient été les Russes, qui avaient acheté un terrain aux Turcs au pouvoir en 1858, qui s’étendait depuis Jaffa Road et qui devait devenir Shivtei Yisrael Street. A l’époque, à l’exception d’un complexe sur le mont Sion, il n’y avait pas un seul immeuble aux abords des murs de la Vieille Ville. Le coût total, au prix d’aujourd’hui, s’était élevé à 160 000 000 de dollars.
Appelés Nuva Yerushalma par les Russes et al-Muskubiya par les Arabes, les nouveaux bâtiments étaient destinés à accueillir les pèlerins orthodoxes en terre sainte – et ils comprenaient une cathédrale impressionnante, un consulat, un hôpital et des chambres d’hôtel simples et séparées pour les hommes et les femmes.
Vers la fin du 19e siècle, les Russes avaient ajouté un hôtel plus luxueux pour l’aristocratie, qui a rouvert ses portes en 2017 sous le nom de Sergei Palace hotel. A une époque – peut-être lorsqu’il avait été entouré par un mur – le secteur était connu sous le nom de Complexe russe.
Deux des bâtiments – l’ancien consulat russe et un hôtel pour les femmes – bordent Shivtei Yisrael Street. Des années 1950 à 1973, le consulat a accueilli le département médical de l’université. Il a été l’un des plusieurs consulats, dans toute la ville, dont les bureaux ont pu être utilisés comme salles de classe après que l’université Hébraïque du mont Scopus s’est trouvée coupée du reste de l’Etat juif en 1948. Aujourd’hui, cette structure élégante héberge un certain nombre de bureaux municipaux.
Après les Russes étaient arrivés les Anglais, en 1873. Lorsque les Britanniques s’étaient installés dans la zone, l’hôtel pour femmes avait été transformé en prison. Eparpillés parmi les prisonniers arabes, des détenus juifs – les membres de la résistance juive du pré-Etat. Après avoir été restaurés dans les années 1990, les lieux sont devenus un musée à leur mémoire.
De l’autre côté du Complexe russe, la Church Missionary Society avait construit une église étonnante portant le nom de l’apôtre Paul. Surmontée d’un clocher, l’église Saint Paul s’enorgueillit de certains éléments décoratifs qui incluent des entrées jumelles bordées par des piliers et des arches à deux versants. Au-dessus du pignon, une girouette qui annonce l’année de la construction du sanctuaire.
Fondée initialement pour être un instrument de conversion des Juifs au christianisme, la Society avait été dans l’obligation de changer de raison d’être lorsqu’il s’était avéré que peu de Juifs avaient répondu à l’appel d’abandonner leur religion. C’est à ce moment-là qu’elle devait décider de travailler avec les Arabes et c’est pour cela que l’enseigne placée sur le devant du sanctuaire est écrite en arabe.
Lorsque la guerre de l’Indépendance s’était achevée en 1948 et que les lignes de cessez-le-feu avaient divisé en deux Jérusalem, St. Paul avait été coupé de ses congrégations arabes. Le sanctuaire avait été abandonné et il était tombé dans un état de grave délabrement. Des rénovations avaient eu lieu quelques temps après ; les dernières additions faites au bâtiment, dans les années 1990, ont été des porte-drapeaux en fer forgé et une lampe à l’ancienne mode.
Ce sont les Français qui avaient ensuite construit dans la rue dès 1874 après le premier pèlerinage en terre sainte du baron français Amadeus Marie Paul de Piellat, un catholique profondément religieux. A l’époque, le seul hôpital catholique de Jérusalem se trouvait dans la Vieille Ville et son état était tellement déplorable que de Piellat avait fait construire un nouvel hôpital absolument splendide à l’angle de Shivtei Yisrael, face aux murs de la ville.
Aujourd’hui, « l’hôpital français » de Jérusalem est connu en terre sainte comme étant un hospice chaleureux et attentif aux besoins des malades en phase terminale.
En 1885, un missionnaire suisse appelé Jacob Johannes Frutiger avait construit une demeure de deux étages dans la rue et l’avait appelé Mahanaim, un nom inspiré d’un verset de la Genèse. Habitation de 40 pièces, Mahanaim aura été un centre de la culture de Jérusalem pendant des années, accueillant des concerts, des lectures et des soirées consacrées au chant. Dans ses meilleures années, le bâtiment comprenait un jardin merveilleux et une collection enviable d’objets archéologiques.
Frutiger était finalement devenu banquier – et l’un des plus riches du pays. Mais il devait se perdre en rentrant chez lui depuis son travail et commencer également à se comporter de manière étrange (a-t-il été touché par la maladie d’Alzheimer ?…). Son empire financier s’est écroulé et tous les biens appartenant à la famille ont été perdus.
La structure imposante a alors été achetée par l’Anglo-Jewish Association. L’école pour filles de l’Association a été baptisée du nom d’Evelina de Rothschild.
Menahem Ussishkin, directeur du Fonds national juif, avait vécu dans la structure de 1922 à 1927. Mais lorsqu’un séisme avait endommagé la villa du haut-commissaire britannique, Ussishkin s’était trouvé dans l’obligation de partir. Et aujourd’hui, l’endroit accueille le ministère de l’Education.
Tandis que les Russes, les Français, les Suisses, et les Britanniques s’affairaient à rendre leur présence visible à Jérusalem, l’Italie, pour sa part, rencontrait trop de problèmes chez elle pour s’occuper de cela. Au début du 20e siècle, l’Italie avait fini par se rendre compte qu’elle n’avait pratiquement aucun statut en terre sainte.
Et elle avait commencé très rapidement à remédier à cette lacune – commençant par l’Hôpital italien, un bâtiment splendide, situé à l’angle de Shivtei Yisrael Street. Sa construction avait eu lieu de 1912 à 1917 et, une fois terminés, les lieux ressemblaient aux plus grandes structures italiennes du 14e siècle. Aujourd’hui, c’est le ministère de l’Education qui y est installé.
Était ensuite venu le tour du Patriarcat roumain orthodoxe, qui avait décidé d’établir une représentation à Jérusalem en 1927. Toutefois, à ce moment-là, des groupes catholiques, protestants et orthodoxes étaient d’ores et déjà propriétaires des biens chrétiens les plus importants de la ville – à l’intérieur des murs de la Vieille Ville et à proximité des lieux saints. Même si les Roumains avaient acheté des terrains près de la Vieille Ville, ils étaient situés à l’extérieur des vieux murs de Jérusalem sur St. George’s Street, qui était à l’époque presque complètement vide.
Petit à petit, c’est un quartier juif ultra-orthodoxe qui a grandi autour du patriarcat qui avait achevé la construction d’un édifice de toute beauté en 1938. Le bâtiment accueille une petite communauté d’employés ecclésiastiques et une chapelle magnifique, dotées de feuilles d’or et de peintures superbes.
Des vicaires anglicans ont vécu à l’angle de la St. Paul’s Road pendant de nombreuses années. Créé par le missionnaire et architecte allemand Conrad Schick en 1887, l’immeuble servait de maternité avant de devenir une base militaire pendant le mandat britannique.
La Felm, la mission évangélique luthérienne finnoise, avait été fondée en 1859 mais elle n’avait commencé son travail missionnaire qu’en 1924. Et finalement, en 1950, face à la nécessité d’acquérir plus d’espace pour une crèche et une école, elle a loué ce qu’on appelle aujourd’hui « la maison basse ». Et cinq années après, la mission a acheté le bâtiment en ajoutant une « maison haute » – avec une chapelle, une bibliothèque et une salle de classe.
Au cours des dernières décennies, les objectifs de la Felm ont changé et aujourd’hui, la structure offre un terrain de rencontre aux populations de toute confession. Des groupes éthiopiens, chinois et coréens se réunissent dans la « maison haute », qui accueille également un groupe interconfessionnel, et des groupes qui enseignent l’hébreu à des femmes arabophones originaires de Jérusalem-Est. La « chambre basse » vient d’être complètement rénovée et elle accueillera une grande variété de cours, de soirées interconfessionnelles et de séminaires pour tenter de promouvoir la paix. Comme l’explique la révérend Iina Matikainen, chargée de la communication, « nous voulons être amis avec tout le monde et nous voulons que tout le monde soit ami ».
La structure pittoresque située à côté avait été achetée au début du 20e siècle par l’éthiopien Empress Taito, qui l’avait louée à diverses personnes et instances. Elle est occupée maintenant par une organisation à but non-lucratif espagnole appelée Remar, fondée en 1832 par un ancien joueur espagnol pour venir en aide aux laissés-pour-compte de la société.
Tandis que Remar travaille avec des toxicomanes et des alcooliques dans 58 pays, ici, en Israël, l’organisation tente de créer une passerelle culturelle et spirituelle entre la population espagnole et la nation juive. Pour ce faire, Remar fait venir, chaque année, de larges groupes de pèlerins en Israël, accueillant également d’autres touristes depuis l’ouverture de sa chambre d’hôtes en 2007.
Avec une étoile de David sur sa façade et des messages bibliques sur les murs de la salle à manger, Remar compte six chambres d’hôtes modernes et de charme. De manière intéressante, sur certains sites internet, le nom de la chambre d’hôtes n’est pas Remar mais Tikkun Olam – un concept juif pour littéralement « réparer le monde ». Il est utilisé pour exprimer la recherche de la justice sociale et les actions susceptibles d’harmoniser le monde.
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Aviva Bar-Am est l’autrice de sept guides en anglais sur Israël.
Shmuel Bar-Am est guide touristique habilité qui propose des visites privées et personnalisées en Israël pour les individus, les familles et les petits groupes.
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