Jubilé d’Elisabeth I : Que faisait le grand rabbin britannique dans la cathédrale ?
Une cour rabbinique de Londres a statué, en 1970, que les Juifs pouvaient assister aux cérémonies chrétiennes sur demande de la souveraine - expliquant la présence d'Ephraim Mirvis
JTA — La plus grande partie des interprétations orthodoxes de la loi juive concluent la même chose : il est interdit aux Juifs d’entrer dans les églises, même si aucune prière n’y est en cours.
Mais alors que diable faisait le grand-rabbin britannique Ephraim Mirvis, vendredi, à la cathédrale Saint-Paul de Londres, où il s’est rendu à une messe organisée en l’honneur du 70e anniversaire de l’accession au trône de la reine Elizabeth II ?
La réponse à cette question se trouve dans un jugement rendu dans les années 1970 par le Beth Din de Londres, la cour rabbinique orthodoxe, donnant aux rabbins l’autorisation d’assister à des cérémonies religieuses chrétiennes si leur présence est requise par la souveraine.
Et la présence de Mirvis était, en effet, exigée à la cathédrale Saint-Paul, où il s’est joint à un groupe choisi de dignitaires et de religieux qui ont pris part au Jubilé de platine de la reine – une fête de quatre jours qui a célébré la souveraine restée le plus longtemps sur le trône de toute l’histoire de la Grande-Bretagne.
Mirvis a fait partie des 2 000 personnalités qui ont assisté à la messe d’action de grâce qui a eu lieu vendredi dans le cadre de la cathédrale Saint-Paul, un bâtiment massif dans le pur style baroque, joyau du diocèse de Londres.
Tous les regards étaient naturellement fixés sur le prince Harry et sur sa femme, Meghan Markle, de retour en Angleterre pour la toute première fois depuis leur départ en Californie il y a deux ans – dans un contexte de fractures familiales très médiatisées à la suite d’accusations lancées par Markle, dont la mère est Afro-Américaine, et qui avait affirmé avoir été victime de racisme de la part de membres de la famille royale.
La reine Elizabeth, âgée de 96 ans, n’a pas assisté à la messe. Dans un communiqué émis par Buckingham Palace, la cour royale a fait savoir qu’elle avait renoncé à s’y rendre « à contrecoeur » après avoir bien réfléchi « au déplacement requis », ajoutant que les festivités de la veille, lors de la première journée des célébrations, avaient entraîné chez elle « un inconfort ».
Les Juifs sont-ils autorisés à entrer dans les églises ? Cette question est au centre des débats depuis des siècles. Un grand nombre de rabbins qui ont examiné cette problématique ont conclu que les églises sont des sites de « avodah zara« , de culte des idoles, ce qui est strictement interdit par la Halakha (la loi juive). Mais d’autres, notamment des rabbins du mouvement massorti aux États-Unis, se sont inspirés d’un rabbin du 13e siècle qui avait décidé que les chrétiens n’étaient pas des idolâtres et qu’entrer dans les églises pouvait donc être autorisé – ce qui avait ouvert la porte aux relations interconfessionnelles.
Aux États-Unis, une certaine controverse avait été entraînée par la participation du rabbin Haskel Lookstein à l’office religieux qui avait été organisé pour l’investiture du président Barack Obama – le rabbin orthodoxe y avait récité une prière. Il avait été critiqué par un groupe orthodoxe mais il avait rejeté ces mises en cause en rappelant la présence de rabbins britanniques à des événements organisés à l’abbaye de Westminster.
Au Royaume-Uni, la question des événements royaux a été résolue dans les années 1970, selon Herschel Gluck, un rabbin haredi de Londres.
« Il y a un fort consensus sur le fait que les rabbins ne doivent pas entrer dans les églises », a-t-il expliqué à JTA. Il ajoute toutefois que « exception est faite quand la présence du rabbin est demandée par la souveraine ».
Les grands rabbins ont pu être, par le passé, encore plus indulgents sur ce point.
Feu Immanuel Jakobovits, qui avait été grand rabbin de Grande-Bretagne pendant 25 ans, jusqu’en 1991, avait expliqué son approche dans un livre écrit en 1995.
« Après des consultations avec le Beth Din de Londres, je prends part moi-même occasionnellement à des services religieux lors de cérémonies royales ou étatiques en tant que représentant de la communauté juive », avait-il écrit dans son ouvrage. « Mais je n’y participe jamais activement, pas plus que je ne porte de tenue exceptionnelle. Et il s’avère que mes hôtes chrétiens montrent habituellement de la compréhension et du respect à l’égard de cette attitude qui est la mienne et de ma réserve. »
Il n’avait pas écrit qu’une invitation royale était, pour lui, une condition préalable et nécessaire à sa présence.
Une partie de la raison du consensus qui s’est formé autour de cette question peut être liée à la présence de la famille royale dans le culte juif au Royaume-Uni.
Depuis 1801, année où les premiers siddourim – ou livres de prière – ont été imprimés, les Juifs britanniques récitent une prière saluant la reine à Shabbat et lors des autres jours fériés dans le cadre de Shacharit, l’office de prière du matin.
La formulation actuelle de la prière, qui date de 1962 – soit dix ans après l’arrivée sur le trône d’Elizabeth II – commence ainsi : « Notre souveraine, la reine Elizabeth (II), Elizabeth la reine-mère ; Philip, Duc d’Edinburgh ; Charles, prince de Galles et toute la famille royale… Que le suprême Roi des rois dans sa miséricorde préserve la vie de la reine, qu’Il la garde et qu’Il la délivre des difficultés et des chagrins. »
Mirvis, le grand rabbin, avait par ailleurs écrit une prière particulière pour le Jubilé : « Soixante-dix ans ont passé depuis que sa majesté la reine a accédé au trône. Aux côtés de nos concitoyens, nous prions avec ferveur pour qu’elle puisse être bénie d’une vie qui durera encore de nombreuses années, afin qu’elle puisse continuer à apporter honneur et gloire à la couronne et à son peuple. »
La relation des Juifs avec la royauté britannique n’a pas toujours été de tout repos. En 1290, Edward I avait signé un édit prévoyant l’expulsion de tous les Juifs du royaume. Ils n’étaient pas revenus avant le 17e siècle, même si la politique qui avait entouré la levée de-facto de ces expulsions reste contestée.
Et plusieurs siècles après, certaines personnalités juives parmi les plus connues de la Grande-Bretagne ont été largement présentes au Jubilé – que ce soit devant les caméras ou en coulisses.
Marie van der Zyl, présidente de l’organisation-cadre des communautés juives britanniques, le Board of Deputies of British, était au premier rang. Elle portait une robe d’un bleu sombre ainsi que – conformément au code vestimentaire officieux – un chapeau assorti décoré d’un élégant tissu en satin blanc.
Pour la majorité des Britanniques, le principal événement des célébrations du Jubilé est encore à venir avec un défilé de militaires et de danseurs, le Platinum Jubilee Pageant, qui a lieu le dimanche 5 juin au palais de Buckingham.
Événement gratuit, il offrira « tout le plaisir et tout le spectacle d’un défilé et d’un carnaval international » avec « des arts des rues, du théâtre, de la musique, du cirque, du carnaval et des costumes qui rendront hommage au sens constant du devoir de sa majesté, à son amour du monde de la nature et à son dévouement à l’égard du Commonwealth », a noté le site internet de l’événement.
Et l’homme responsable de cette magie est David Zolker, un londonien juif de 36 ans, directeur artistique de spectacle et principal producteur des festivités du Jubilé.
Il a notamment travaillé sur le mariage, en 2011, de Kate Middleton et du prince William et sur la cérémonie de rétrocession de Hong Kong à la Chine, en 1997.
Il n’aurait jamais pu connaître cette carrière sans son éducation juive, quoique pluraliste, qui lui a été donnée par ses parents et par ses années d’études à l’école juive King David de Manchester, a-t-il confié au Jewish Chronicle.
« Je suis reconnaissant à mes parents d’avoir passé ce coup de fil », a-t-il déclaré en évoquant son école, « parce que cela m’a ouvert les yeux sur la communauté au sens plus large et que cela m’a donné une image plus vaste de ce à quoi ressemble la société ».
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