La 20e Knesset, une histoire de quantité plutôt que de qualité ?
Aucun autre Parlement démocratique ne dépose autant de projets de loi que les députés de la Knesset israélienne ; ce qui n'est pas une bonne chose

INSTITUT ISRAÉLIEN DE LA DÉMOCRATIE — Alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a entamé les négociations pour former une nouvelle coalition suite aux élections du 9 avril, et que les nouveaux députés de la 21e Knesset s’apprêtent à prêter serment le 30 avril prochain, quel bilan peut-on tirer du Parlement précèdent intronisé le 31 mars 2015 ?
Avec 6 600 projets de loi présentés, il a de toute évidence beaucoup œuvré avant sa dissolution le 26 décembre 2018. Problème : seuls 10 % de ces projets se sont traduits par une loi.
Les députés ont également soumis plus de 5 000 requêtes parlementaires — un chiffre si élevé qu’il est difficile de prendre ces saisines au sérieux.
L’opposition a déposé 218 motions de défiance à l’égard du gouvernement. Toutes sans succès.
Le Parlement précédent a-t-il favorisé la quantité au détriment de la qualité ? S’appuyant sur les données des archives de la Knesset et de son centre d’information et de recherche, cet article tente de répondre à la question :
Lois et projets de lois
Par rapport à d’autres Parlements du monde, la Knesset connaît une hausse du nombre de projets de lois proposés par ses députés depuis le début des années 2000, une tendance encore plus marquée dans la 20e Knesset. Au total, 6 644 projets législatifs ont été déposés, mais seuls 593 d’entre eux (9 %) se sont transformés en loi. Un examen plus approfondi permet d’établir que 57 % des projets proposés par le gouvernement et 67 % de ceux présentés par une commission parlementaire se sont traduits par une loi, contre seulement 4 % de ceux présentés par des députés.
Par conséquent, la plupart des projets déposés par les députés ne demeurent rien de plus que des « Déclarations de projets », dont le principal objectif est d’attirer l’attention du public et des médias, et pas forcément de provoquer un débat, et encore moins de se transformer en loi.

Cette pratique revêt plusieurs aspects négatifs : faire de la valeur des projets de lois proposés par des députés une farce ; nuire à la qualité et freiner la mise en application de la législation puisque la plupart du temps, les députés sont plus attentifs à la quantité et moins à la qualité des lois ; gaspiller les ressources humaines parlementaires et gouvernementales ; inonder les commissions de la Knesset de projets de lois et accroître leur charge de travail et enfin, l’incapacité du Comité ministériel sur la législation de mener des débats sérieux autour de ces si nombreux projets en raison du manque de temps accordé à de telles discussions.

Comparée aux précédentes Knesset, la 20e occupe la première place du classement en termes de nombre de projets législatifs déposés par des parlementaires. La proportion de ceux s’étant traduits législativement n’a cessé de baisser progressivement et tourne autour des 5 % seulement depuis sept Knesset.

Dans aucun autre Parlement démocratique du monde ce chiffre n’est-il aussi élevé, comme le montre le graphique suivant.

Requêtes parlementaires
Soumettre de telles requêtes est l’un des moyens les plus anciens et les plus utilisés d’agir comme garde-fou de la Knesset et du gouvernement. L’opposition exploite cet outil au maximum puisqu’il leur permet d’adresser des questions et de relever des problèmes auprès des ministres.
Il existe trois catégories de requêtes parlementaires : les questions classiques qui doivent recevoir une réponse à l’assemblée sous 21 jours. Les députés sont autorisés à en soumettre 30 par session (année parlementaire). Les requêtes directes qui doivent être traitées par écrit sous 21 jours également, 80 étant autorisées par session. Enfin les requêtes urgentes, qui doivent être débattues dans la semaine de leur soumission. Le président de la Knesset en autorise quatre par semaine.

Lors de la 20e Knesset, 5 756 requêtes ont ainsi été soumises, et 4 712 (81 %) d’entre elles ont été traitées. Sur celles qui n’ont pas obtenu de réponse, la majorité (18 %) attend d’être traitée par les ministères concernés, et pour quelques-unes une date de traitement a été fixée, ou bien le ministre n’a pas souhaité répondre (1 %). Soulignons que cet outil de veille a une utilité douteuse, car le délai accordé pour y répondre est assez long.
Par ailleurs, les requêtes n’ont pas d’impact concret sur ceux censés y répondre. Elles contiennent en effet des informations peu fiables (la plupart d’entre elles reposent sur des faits et données rapportés par les médias), et il est impossible de les prendre au sérieux du fait de leur quantité excessive.



Le graphique ci-dessous indique que la quantité de requêtes (ordinaires) déposées en séance avant la 20e Knesset avait connu une baisse.
Cependant, depuis 2015 le recours à cet outil n’a cessé de progresser. Il est possible que cette hausse signifie que certains députés sortants se sont montrés plus enclins à assumer leur rôle de garde-fou.

Séance de questions au gouvernement
Conformément aux Règles de procédure de la Knesset, 10 séances de questions-réponses d’une heure sont organisées par session, l’occasion pour les députés d’interroger le Premier ministre ou tout autre ministre dans son domaine de compétences.

Cependant, ce type de séance n’a eu lieu qu’à deux reprises au cours des seconde et troisième sessions de la Knesset, six fois lors de la quatrième et jamais lors de la cinquième (jusqu’à la dissolution de l’assemblée), ce qui prouve que les députés ne sont pas pleinement saisis de cette opportunité.
Débat en présence du Premier ministre
D’après la rubrique 42 des lois fondamentales d’Israël : le gouvernement établit que si 40 députés signent une requête en ce sens, le Parlement est autorisé à organiser un débat sur un sujet particulier et exiger la présence du Premier ministre. De telles requêtes ne peuvent être soumises qu’une fois par mois. Selon la réglementation de la Knesset, le Premier ministre doit assister à l’ensemble du débat. Cela constitue un véritable outil pour l’opposition.

Lors de la 20e Knesset, seuls sept débats de ce type ont été tenus, soit beaucoup moins que le nombre que les députés d’opposition auraient pu initier.
Motions de défiance
D’après la rubrique 28 des lois fondamentales : la Knesset est autorisée à déposer une motion de défiance contre le gouvernement. Elle nécessite le vote d’une majorité de députés (soit au moins 61). Ce dernier entraîne un vote de confiance au profit du gouvernement alternatif, qui présente ensuite les grandes lignes de sa politique, sa composition et la répartition des ministères entre ses membres.
Au cours de la 20e Knesset, Les Règles de procédure ont été amendées, et une ordonnance a été adoptée, laquelle stipule qu’à partir de mai 2016, le nombre de motions de défiance pouvant être déposées par l’opposition sera limité. En contrepartie, la séance de questions en présence du Premier ministre et d’autres ministres a été mise en place. Les partis d’opposition ont déposé 218 motions de ce type, lesquelles ont toutes échoué. Une comparaison avec les Knesset précédentes révèle que limiter leur nombre a effectivement réduit leur quantité.

Discours en assemblée plénière
Les députés, les ministres et vice-ministres (qui ne sont pas députés), et d’autres officiels précisés dans les Règles de procédure sont autorisés à prononcer un discours en séance plénière sur différents sujets. Lors de la 20e Knesset, c’est le parti Meretz qui en a le plus profité.

Ses députés ont prononcé en moyenne cinq fois plus de discours que ceux du Likud et de HaBayit HaYehudi, les derniers du classement en la matière.


Discours d’une minute
Les lundis et mardis matins, les députés sont autorisés à s’exprimer pas plus d’une minute sur le sujet de leur choix. Tout député peut recourir à cet outil, non limité en quantité, tant qu’il n’excède pas leur temps de parole autorisé et qu’il ne s’exprime qu’une fois par séance.
Bien que ces discours ne constituent pas un instrument de veille et que les députés officiant comme ministre ou vice-ministres peuvent aussi y recourir, les partis d’opposition s’en sont largement saisis lors de la 20e Knesset.

Le graphique suivant illustre à quel point le nombre de discours d’une minute prononcés lors de la 20e Knesset a été supérieur aux précédentes Knesset. Dans l’ensemble, le recours à cet outil connaît une hausse constante depuis 2003.

Des dix députés ayant prononcé le plus de discours d’une minute, cinq appartiennent à la Liste arabe unie, et seul un était membre de la coalition (Anat Berko).

Motions à l’ordre du jour
Les députés n’occupant pas de fonction ministérielle peuvent proposer d’ajouter n’importe quel sujet à l’ordre du jour de la Knesset. Même si les parlementaires les déposent à titre personnel, une quantité limite a été fixée pour chaque parti (elle est déterminée à chaque séance par la commission de la Knesset). En outre, les députés peuvent demander au présidium de la Knesset d’inscrire leur motion à l’ordre du jour comme urgente (une seule possible par semaine et par député). Contrairement aux motions classiques, celles urgentes ne sont pas comptabilisées dans le nombre de motions autorisées pour chaque parti. C’est le présidium de la Knesset qui en détermine le nombre autorisé.

C’est Dov Khenin de la Liste arabe unie qui a le plus recouru à cet outil.

Sanctions du comité d’éthique de la Knesset
Le comité d’éthique est encadré par la rubrique 13 de la Loi sur l’immunité des membres de la Knesset, leurs droits et obligations, datant de 1951. Quatre députés désignés par le président du Parlement siègent dans ce comité – deux de la coalition et deux de l’opposition. Le président nomme également le responsable du comité.
Ces membres orientent les députés, donnent des directives et répondent aux requêtes de députés en termes d’éthique, jugeant les députés ne respectant pas les règles d’éthique, ou les lois enfreignant de tels principes, notamment occuper illégalement une autre fonction, dépasser le nombre d’absences autorisées ou la non-déclaration de capital. Le comité approuve également les voyages des députés à l’étranger qui ne sont pas financés par la Knesset ou sont autofinancés, tels que les déplacements pour donner une conférence par exemple. Dans le cadre de ses responsabilités, le Comité peut décréter différentes sanctions à l’égard d’un député : un simple commentaire, un avertissement, un rappel à l’ordre, ou une réprimande sévère. De la même façon, il peut restreindre son activité parlementaire.
Lors de la Knesset sortante, le comité a jugé nécessaire de sanctionner 29 députés, certains plus d’une fois. Au total, 48 sanctions ont été décrétées, 12 d’entre elles consistaient en des suspensions de séance pour des périodes allant de 10 jours à six mois, et neuf autres étaient des suspensions de salaires d’une durée de 1 à 7 jours. Par ailleurs, le comité a également attribué des avertissements et de sévères réprimandes. Six de ces sanctions ont concerné des députés officiant comme ministres, parmi lesquelles deux résultaient d’une absence du ministre au nombre minimum de séances obligatoires.
La suspension d’activité parlementaire semble être la sanction la plus grave, puisqu’elle empêche le député concerné de réaliser l’essence-même de ses fonctions – à savoir servir le public. Lors de la 20e Knesset, sept députés ont ainsi été sanctionnés de la sorte. Les trois députés suspendus le plus longtemps sont : Oren Hazan du Likud (37 semaines au total), Basel Ghattas de la Liste arabe unie (26 semaines) et Jamal Zahalka de la même formation (13 semaines). Ayman Odeh et Hanin Zoabi, de la Liste arabe unie, ainsi que Stav Shafir et Michal Rozin de l’Union sioniste ont chacun été suspendus une semaine.