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Analyse

La chute d’Assad fracture l’axe iranien, mais le chaos qui s’ensuit pourrait frapper le reste de la région

À côté des opportunités créées par la chute du régime, les experts estiment que les risques abondent si des forces concurrentes tentent de s'emparer du pouvoir, déstabilisant davantage la Syrie

Un combattant islamiste anti-gouvernement brandissant un drapeau islamique du haut d'un char, à Damas, le 9 décembre 2024. (Crédit : Omar Haj Kadour/AFP)
Un combattant islamiste anti-gouvernement brandissant un drapeau islamique du haut d'un char, à Damas, le 9 décembre 2024. (Crédit : Omar Haj Kadour/AFP)

DOHA, Qatar – La chute de l’ancien dictateur syrien Bashar el-Assad après la prise de Damas par les forces rebelles islamistes le week-end dernier a pulvérisé le réseau d’influence de l’Iran au Moyen-Orient ; Israël, les Etats-Unis et les puissances arabes doivent désormais faire face aux risques d’instabilité et d’extrémisme posés par la mosaïque de factions qui s’apprête à le remplacer.

Le groupe sunnite islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS), l’ex-branche d’Al-Qaïda en Syrie et désigné comme organisation terroriste par les États-Unis et l’ONU, est le principal représentant des forces rebelles islamistes qui ont mis fin à 50 ans de règne dynastique brutal des Assad, père et fils.

Les pays occidentaux et arabes craignent que la coalition rebelle islamiste dirigée par HTS ne cherche à remplacer le régime Assad par un gouvernement islamiste radical ou se montre incapable de prévenir une résurgence des forces extrémistes, ont indiqué trois diplomates et trois analystes à l’agence Reuters.

« Il y a une forte crainte, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la région, concernant la vacance de pouvoir que l’effondrement soudain d’Assad pourrait provoquer, » a déclaré Abdelaziz al-Sager, directeur du Gulf Research Center, un groupe de réflexion spécialisé dans le Moyen-Orient. Sager a comparé la situation actuelle aux guerres civiles qui ont suivi le renversement du président irakien Saddam Hussein en 2003 et celui du dictateur libyen Mouammar Kadhafi en 2011.

Un diplomate occidental de haut rang dans la région, qui s’est exprimé sous le couvert de l’anonymat, a confié à Reuters qu’en raison de la fragmentation des forces rebelles aucun plan concret n’avait été établi pour gouverner la Syrie. Cette nation complexe est divisée en plusieurs communautés et groupes ethniques, chacun disposant de sa propre base de pouvoir régionale.

Le diplomate a exprimé la crainte que l’anarchie en Syrie ne favorise la prolifération de groupes terroristes tels que le sunnite État islamique (EI), qui, en 2014, avait envahi de vastes régions de la Syrie et de l’Irak pour y établir un califat islamique avant d’en être chassé par une coalition dirigée par les États-Unis.

Des personnes se réjouissant en tenant un grand drapeau de l’opposition syrienne sur la place des Omeyyades, à Damas, le 9 décembre 2024. (Crédit : Omar Haj Kadour/AFP)

Le président américain Joe Biden s’est félicité dimanche de la chute d’Assad, affirmant que ce dernier devait être « tenu pour responsable » de son régime despotique. Il a toutefois averti que cette transition représentait « autant de risques que d’incertitudes ». Dimanche, les forces américaines ont mené des dizaines de frappes en Syrie, dans le but d’empêcher le groupe terroriste de se reconstituer.

La rapidité avec laquelle Assad a été renversé, seulement deux semaines après le début de l’offensive rebelle, a pris de court de nombreux membres de la Maison Blanche. Un haut fonctionnaire américain a indiqué que Washington cherchait désormais à établir des canaux de communication avec tous les groupes rebelles islamistes, et pas seulement avec HTS.

Jusqu’à présent, Washington avait essentiellement soutenu les groupes kurdes syriens, tels que les Forces démocratiques syriennes (FDS), qui contrôlent des zones situées dans le nord-est de la Syrie.

Cependant, ces groupes kurdes sont en conflit avec l’une des principales factions rebelles victorieuses, l’Armée nationale syrienne (ANS), soutenue par la Turquie, qui s’oppose fermement à l’influence kurde dans la région.

Une affiche déchirée du général iranien Qassem Soleimani, sous une affiche déchirée de l’ancien chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, devant l’ambassade iranienne après que les forces islamistes d’opposition ont pris le contrôle de Damas, en Syrie, le 8 décembre 2024. (Crédit : Ghaith Alsayed/AP)

Les alliés d’Assad, à Téhéran et Moscou, qui ont soutenu son régime pendant treize ans à travers un soutien militaire, humain et aérien, doivent également faire face aux profondes implications stratégiques de cette chute précipitée.

Moscou, qui a accordé l’asile à Assad et à sa famille, maintient deux importantes bases militaires en Syrie, constituant sa principale empreinte dans la région du Moyen-Orient. Sa base navale de Tartous, sur la Méditerranée, a été stratégique pour le déploiement et le retrait d’entrepreneurs militaires opérant en Afrique.

L’alliance de Téhéran avec Assad, membre de la minorité alaouite (une branche de l’islam chiite), a longtemps été le pilier de son influence dans une région majoritairement sunnite, où l’Iran chiite suscite méfiance et opposition.

La chute d’Assad a brisé un pivot essentiel de cet axe d’influence, réduisant la capacité de Téhéran à projeter sa puissance et à soutenir son réseau de milices mandataires à travers le Moyen-Orient, et plus particulièrement son grand allié, le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, au Liban. Un haut responsable iranien a confié lundi à Reuters que Téhéran avait ouvert une ligne de communication directe avec les rebelles islamistes pour « éviter une trajectoire hostile ».

De la fumée s’élevant au-dessus du gouvernorat syrien de Qouneitra après une frappe israélienne, sur une photo prise depuis le plateau du Golan, le 9 décembre 2024. (Crédit : Jalaa Marey/AFP)

Par ailleurs, la campagne militaire menée par Israël depuis un an a déjà considérablement affaibli la puissance tactique du Hezbollah et du groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza.

Assad fournissait à l’Iran un corridor crucial pour acheminer des armes au Hezbollah. Selon Jonathan Panikoff, ancien directeur adjoint du renseignement national américain pour le Moyen-Orient, la chute d’Assad pourrait entraver le réarmement du Hezbollah, et ainsi augmenter les chances de maintenir le cessez-le-feu conclu le mois dernier avec Israël.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a qualifié la chute d’Assad de « jour historique », affirmant qu’elle s’inscrit dans les coups portés par Israël contre l’Iran et le Hezbollah. Il a précisé avoir ordonné aux troupes israéliennes de sécuriser les zones longeant la zone-tampon frontalière pour garantir la sécurité du pays.

Lundi, Tsahal a mené des frappes aériennes contre des sites soupçonnés de contenir des armes chimiques et des missiles, afin d’empêcher qu’ils ne tombent entre les mains d’acteurs hostiles, a indiqué le ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar.

Pour Carmit Valensi, chercheuse principale à l’Institut d’études de sécurité nationale, un groupe de réflexion spécialisé dans la politique de sécurité israélienne basé à Tel Aviv, la chute d’Assad pourrait, malgré une période de chaos et de violence prolongée en Syrie, représenter une opportunité pour Israël.

« Malgré les inquiétudes concernant l’émergence d’éléments extrémistes près de la frontière et l’absence d’une autorité claire, les capacités militaires des rebelles, sous leurs diverses formes, ne sont pas comparables à celles de l’Iran ou de ses mandataires », a-t-elle déclaré.

Élections libres ou chaos généralisé ?

Marwan al-Muasher, vice-président chargé des recherches à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, basée aux États-Unis, a estimé que le départ d’Assad pourrait représenter une occasion unique d’instaurer une gouvernance politique inclusive. Selon lui, cela nécessiterait une transition ordonnée pour éviter que des groupes extrémistes ne profitent de la vacance du pouvoir.

Un Syrien, le drapeau de l’opposition sur le front, criant des slogans anti-gouvernement, sur une place principale de Damas, le 9 décembre 2024. (Crédit : Louaï Beshara/AFP)

Hadi al-Bahra, chef de la principale opposition syrienne à l’étranger, a indiqué à Reuters, en marge du Forum de Doha, que la Syrie devrait bénéficier d’une période de transition de 18 mois afin d’établir « un environnement sûr, neutre et calme » pour organiser des élections libres.

Bahra, président de la Coalition nationale syrienne, a précisé que la Syrie devrait rédiger une constitution dans un délai de six mois, avec un référendum comme première élection. Il a ajouté que l’opposition avait demandé aux fonctionnaires de continuer à se rendre à leur poste pendant la transition et leur avait garanti qu’ils ne subiraient aucun préjudice.

Cependant, l’opposition politique syrienne n’a que peu d’influence sur le terrain à Damas, où les groupes armés ont la mainmise, et de nombreux observateurs de la situation restent sceptiques quant à la possibilité d’une transition en douceur.

Dimanche, le chef de HTS, Abu Mohammed al-Jolani, s’est exprimé devant des foules immenses réunies dans la mosquée médiévale des Omeyyades, au cœur de Damas. Il a promis un nouveau chapitre pour la région et affirmé que la Syrie deviendrait « un phare pour la nation islamique ».

Abu Mohammed al-Jolani, chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe djihadiste dirigé par l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda, posant pour un selfie lors d’une conférence de presse, dans la région de Bab al-Hawa traversant le nord de la Syrie, le 12 mars 2024. (Crédit : Omar Haj Kadour/AFP)

Il n’est toutefois pas certain que la forme d’idéologie islamiste stricte de Jolani soit acceptée partout en Syrie, un pays où prédomine une forme plus modérée et libérale de l’islam, et qui compte une population mixte composée de chrétiens, d’alaouites, de Druzes et de Kurdes.

Les responsables occidentaux et du Moyen-Orient ont exprimé leur inquiétude quant à l’unité de la Syrie, dont les territoires clés, notamment ceux situés le long des frontières avec l’Irak et la Turquie, sont contrôlés par différentes factions et groupes ethniques. Ces divisions, exacerbées par le soulèvement sanglant de 2011, représentent une menace grandissante pour la stabilité nationale.

Les analystes et diplomates interrogés par Reuters ont mis en garde contre le risque d’un conflit généralisé, similaire à ceux ayant suivi le renversement de Kadhafi en Libye ou de Hussein en Irak. De tels affrontements impliqueraient des groupes armés aux affiliations islamistes, ethniques et idéologiques diverses, luttant pour la suprématie territoriale.

Des personnes célébrant la chute du gouvernement syrien, à Istanbul, en Turquie, le 8 décembre 2024. (Crédit : Emrah Gurel/AP)

Rivalité entre rebelles

L’opposition syrienne regroupe un large éventail de factions, allant des groupes modérés comme la ANS aux éléments djihadistes du HTS. Chacun a sa propre vision de l’avenir de la Syrie, allant de la démocratie laïque à la gouvernance islamique.

« Chacun de ces groupes rebelles rivalise pour la suprématie ; chacun veut être aux commandes. Chacun pense qu’il peut être Bashar el-Assad, et chacun fait allégeance à une puissance étrangère qui finance son groupe », a déclaré le diplomate al-Sager. « À moins que l’ONU et certains pays influents de la région ne travaillent à les unifier, ils vont s’affronter. »

Dans le nord de la Syrie, les forces soutenues par la Turquie dominent, tandis que les groupes kurdes, tels que les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenus par les États-Unis, contrôlent le nord-est.

Signe des tensions croissantes entre factions, l’ANS, soutenue par la Turquie, s’est emparée de vastes territoires, dont la ville de Tall Rifaat contrôlée par les forces soutenues par les États-Unis, et ce dès le début de la récente offensive. Dimanche, une source de sécurité turque a indiqué que les rebelles islamistes avaient également pris le contrôle de Manbij, après avoir repoussé les Kurdes.

Des combattants islamistes de l’opposition syrienne tenant un poste de contrôle, à Damas, en Syrie, le 9 décembre 2024. (Crédit : Omar Sanadiki/AP)

Certains analystes estiment toutefois qu’une transition ordonnée reste possible, les institutions gouvernementales établies à Damas étant encore capables de fonctionner.

Ils notent également que certains groupes rebelles ont acquis une expérience significative en matière de gouvernance, ayant administré des enclaves à travers la Syrie pendant plus de dix ans. L’alliance rebelle islamiste dirigée par HTS a tenu à offrir sa clémence aux membres des forces de sécurité lorsqu’elle s’est emparée d’Alep, la deuxième ville de Syrie, à la fin du mois dernier. Elle a également promis aux importantes populations minoritaires qu’elle préserverait leur mode de vie.

Cependant, Hassan Hassan, expert en groupes islamistes au Moyen-Orient basé à Washington, a noté que des inquiétudes persistaient parmi ces minorités, maintenant que les rebelles islamistes contrôlent Damas.

« L’incertitude plane sur l’avenir, en particulier concernant l’influence religieuse et l’évolution des lois islamiques », a-t-il déclaré.

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