La communauté juive de Francfort lance sa hotline pour traiter les abus sexuels
Cette ligne d'assistance téléphonique sans précédent permettra de protéger 400 employés d'institutions locales ; un groupe juif national pourrait mettre en place un système plus large

BERLIN – JTA — Keren Kesselmann se sentait seule. Son collègue masculin dans une institution communautaire juive de Francfort lui avait fait des avances sexuelles, malgré ses refus. Un jour, il l’a acculée sur son lieu de travail et a tenté de l’embrasser de force.
Elle s’est précipitée vers l’une de ses collègues. « Je n’en peux plus », lui a-t-elle dit.
« Et puis je lui ai raconté ce qui s’était passé, et elle m’a dit : ‘Ô, toi aussi ?’ »
Se souvenant de la série d’événements qui s’était déroulée deux ans plus tôt, Kesselmann a déclaré : « Et c’est ainsi que les choses se sont passées. »
Après que plusieurs femmes ont témoigné en privé, l’homme a finalement été licencié.
D’une certaine manière, ces événements se sont déroulés exactement comme l’auraient souhaité les défenseurs de réponses rapides et certaines aux comportements sexuels inappropriés. Mais Kesselman et d’autres pensaient que la communauté juive de Francfort aurait pu faire encore mieux.

Elle a partagé son témoignage avec un groupe de militants juifs locaux appelé Or Tamid, qui signifie « lumière éternelle » en hébreu, et qui fait pression sur la communauté juive organisée de Francfort pour qu’elle adopte des politiques visant à protéger les victimes potentielles d’abus. Leur plaidoyer s’est inscrit dans une stratégie déjà engagée au sein de la communauté.
Suite à cela, l’organisation faîtière qui régit les institutions juives de Francfort a été la première en Allemagne à ouvrir en décembre une ligne d’assistance téléphonique pour les employés, qui peuvent ainsi signaler des cas de harcèlement et être conseillés.
Les dirigeants locaux de la communauté juive estiment que le lancement de cette ligne d’assistance, gérée par un cabinet d’avocats local, est une initiative louable.
« Je pense que c’est formidable que la communauté juive réagisse », a déclaré Avichaï Apel, l’un des deux rabbins orthodoxes de Francfort. « Et que nous ayons une organisation comme Or Tamid, qui est ouverte à l’écoute, aux négociations et au soutien des personnes dans une telle situation. »
Cette nouvelle permanence téléphonique est inhabituelle, voire sans précédent, pour les communautés juives locales, a indiqué la rabbin Mary Zamore qui, en tant que directrice exécutive du Women’s Rabbinic Network, une organisation juive du mouvement réformé, a mené une campagne pour améliorer le traitement des allégations d’abus sexuels dans les institutions américaines affiliées à ce mouvement.
« Ceux qui ont préconisé et les dirigeants qui ont créé un centre d’aide externe avec le soutien de tiers externes ont créé un outil très puissant, qui devrait être étudié par d’autres communautés », a estimé Zamore.
La nouvelle ligne d’assistance est unique parmi les 103 communautés juives organisées d’Allemagne, chacune étant connue sous le nom de « Gemeinde ». Cependant, une organisation juive nationale, le Conseil central d’aide sociale des Juifs en Allemagne ou ZWST, élabore des plans pour un système de signalement des abus qui commencerait modestement, mais qui pourrait concerner un public beaucoup plus large.
Laura Cazes, l’une des coordinatrices du ZWST, a indiqué que les plans incluraient également des efforts pour prévenir les abus avant qu’ils ne se produisent.
« Il est évidemment primordial que les organisations et les communautés en tirent des leçons », a-t-elle fait remarquer à propos des allégations d’abus.
« Si ces choses ne sont pas traitées, elles finiront par causer un énorme désordre. »
Le conseil de la communauté juive de Francfort a décidé d’ouvrir le centre avec une aide extérieure après avoir traité des cas comme celui de Kesselman par ses propres moyens, selon la directrice Jennifer Marställer.
« C’était un lourd fardeau, tant pour les personnes qui y étaient confrontées [aux abus] que pour l’employeur », a-t-elle déclaré.
Parallèlement, plusieurs Juifs locaux ont eu vent des allégations d’abus et ont été frustrés par ce qu’ils considéraient comme une inaction et un manque de transparence de la part des dirigeants de leur communauté.
« En temps normal, je ne suis pas très militante », a expliqué Daniela Shemer, une membre de la communauté dont les enfants fréquentent les écoles de celle-ci.
« Je ne pouvais pas détourner le regard et attendre que quelqu’un d’autre s’en occupe. »
Shemer, musicienne professionnelle, s’est associée à Me Haleli Shomer Shalom, qui a traité professionnellement le sujet du harcèlement et des abus sexuels, à sa collègue musicienne Roglit Ishay et à Niels Gerhardt, le mari d’Ishay et seul membre non juif, pour former Or Tamid. Ils ont rencontré des responsables communautaires pour promouvoir un programme de soutien aux victimes et de tolérance zéro envers les agresseurs.

« J’ai exigé des réponses de manière très ferme », a déclaré Me Shomer Shalom.
« En tant que mère, avocate, personne, être humain, être humain, juive, quel que soit le titre que vous me donnez, je voulais comprendre ce qui s’était passé. Je n’acceptais pas que cette histoire soit étouffée. »
Les dirigeants d’Or Tamid et les représentants des gemeindes reconnaissent que leurs relations ont été tendues au début, car Or Tamid faisait pression pour une action agressive.
« Mais nous l’avons construite, et nous voulons maintenir cette relation positive », a déclaré Marc Grünbaum, membre de longue date du conseil d’administration et récemment élu co-président de la gemeinde.
« Nous écoutons, et ils le savent. »
Une avancée a été réalisée lorsque Or Tamid a organisé une réunion communautaire au cours de laquelle les membres du groupe ont raconté des incidents, notamment celui d’une femme qui a quitté son poste au sein de la communauté juive après qu’une collègue qu’elle avait dénoncée pour harcèlement sexuel a avoué mais a conservé son emploi. Les autres sont restées anonymes. Cependant, Kesselman s’est levée pour s’identifier après que son histoire a été partagée.
« J’étais fier d’elle », a souligné Apel.
« Je sais que c’est très difficile pour une personne de se lever et de rendre son témoignage public. »
Le nombre d’histoires partagées lors de la réunion a convaincu Me Elishewa Patterson, avocate locale et membre de la communauté juive, qu’il y avait un réel problème.
« Après avoir entendu le nombre de femmes qui se sont manifestées, j’ai pu accepter le fait que c’était réellement vrai », a-t-elle déclaré. Elle a ensuite conseillé la communauté sur ses obligations légales envers ses employés.
Aujourd’hui, Marställer est reconnaissante qu’Or Tamid ait organisé la réunion communautaire et exigé la création d’un bureau des plaintes externe.
Tout le processus consistant à essayer de gérer ces situations sans aide extérieure « a été difficile. Vraiment difficile », a-t-elle déclaré.
« Je sais que nous avons commis des erreurs de communication et envers les employés une fois que tout a été résolu » a-t-elle ajouté.
« C’est pourquoi il est également bon qu’il y ait quelqu’un de l’extérieur qui puisse rédiger un rapport et qui ne soit pas orienté dans un sens ou dans l’autre. »
Avec le nouveau centre d’assistance, les employés peuvent appeler de manière anonyme et obtenir une aide juridique et un soutien psychologique. La communauté recevra un rapport trimestriel sur le nombre et le type d’appels reçus.
« Nous ne sommes informés d’un éventuel problème que si la personne qui contacte la communauté souhaite que celle-ci le sache », a déclaré Marställer.
Les victimes qui allèguent des abus continuent de se rendre à Or Tamid pour obtenir de l’aide, a ajouté Me Shomer Shalom. Elle a toutefois exprimé l’espoir que cela change bientôt. « Nous espérons que ce nouveau bureau gagnera la confiance des membres de la communauté et qu’Or Tamid ne sera plus nécessaire », a-t-elle déclaré.
La rabbin Zamore a souligné qu’il est essentiel de rechercher une aide extérieure et neutre. « Toutes nos communautés juives, où qu’elles se trouvent dans le monde, sont des communautés très soudées et étroitement liées. Dans des circonstances normales, c’est l’une de nos grandes forces », a-t-elle ajouté.
« Mais lorsque des membres de nos communautés sont tenus responsables d’avoir causé un grand tort, cela devient un obstacle majeur. »
Pour Kesselmann, le centre de signalement est arrivé trop tard pour lui permettre de faire face aux abus dont elle a été victime. Mais maintenant qu’il existe, elle a des conseils à donner à ses concitoyens de Francfort.
« N’attendez pas pour demander de l’aide », assure-t-elle.
« J’ai attendu bien trop longtemps. J’avais peur que cela affecte mon travail. Oui, j’avais vraiment peur […] Je ne savais pas à qui en parler. Je ne pouvais pas en parler à la maison. Je ne pouvais pas en parler au travail. Il vaut mieux y aller le plus tôt possible et en parler ouvertement. »
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