La Haute Cour pourrait annuler certaines clauses de l’accord de coalition
Les juges soulignent les clauses problématiques, telles que le gel des lois non liées au virus pendant 6 mois et l'expansion de la "loi norvégienne" prévue par Kakhol lavan
La Cour suprême de justice a indiqué lundi qu’elle pourrait annuler certaines clauses de l’accord d’unité signé par le Likud du Premier ministre Benjamin Netanyahu et Kakhol lavan de Benny Gantz, notamment celles qui élargissent la « loi norvégienne » et fixent une période de six mois pendant laquelle presque aucune législation qui n’est pas liée au coronavirus ne pourrait être avancée, et pendant laquelle il n’y aurait pas de nominations à plein temps à des postes de haut niveau.
Cependant, les juges ont semblé rejeter l’insistance des deux parties à rendre une décision rapide concernant la légitimité d’une législation ancrant les accords de partage du pouvoir entre Netanyahu et Gantz et nommant ce dernier « Premier ministre suppléant » – un poste spécialement conçu pour l’accord. Ils ont fait valoir que, comme la législation en question n’a pas encore été adoptée, et qu’une partie de celle-ci n’a même pas été soumise à la Knesset pour un vote préliminaire, ils ne pouvaient pas intervenir sur une loi qui n’existe pas.
« Le tribunal ne rend pas de décision préalable même si les parties le souhaitent. Le tribunal n’est pas une police d’assurance », a déclaré le juge Menachem Mazuz.
« Le souhait des requérants de voir tout décidé ici et maintenant ne s’applique pas à nous », a ajouté le juge Uzi Vogelman.
La cour organisait une deuxième journée d’audiences sur les recours contre l’autorisation donnée à Netanyahu de former un gouvernement alors qu’il était accusé de corruption, ainsi que contre l’accord d’unité de rotation sans précédent qu’il a conclu avec Gantz, qui exige des changements significatifs de certaines des lois fondamentales quasi constitutionnelles d’Israël, en contradiction avec le droit, la tradition et les précédents établis.
Comme la législation doit être adoptée d’ici mercredi soir – date limite pour la notification officielle au président de la nouvelle coalition – ces commentaires indiquent que la cour s’abstiendra probablement de prendre une décision sur ces clauses de l’accord jusqu’à jeudi, où une nouvelle requête pourrait être nécessaire.
De nombreux autres éléments de l’accord d’unité semblent devoir être approuvés par la cour. À différents moments des délibérations, les juges ont reproché aux représentants des plaignants d’avoir utilisé des arguments « non pertinents » de nature politique ou morale, et non juridique.
Comme le premier jour des audiences, les discussions de lundi devant un panel élargi de 11 juges ont été diffusées en direct.
Alors que les délibérations de lundi concernaient les aspects controversés de l’accord de coalition de trois ans négocié par Netanyahu et Gantz, l’audience de dimanche, d’une durée de sept heures, s’est penchée sur la question de savoir si Netanyahu devait être autorisé à diriger une nouvelle coalition au vu de son inculpation dans trois affaires de corruption – les juges laissant entendre qu’ils n’étaient pas convaincus par les plaignants.
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Le tribunal devrait rendre une décision sur ces deux questions cette semaine.
Netanyahu, au pouvoir depuis 2009, et l’ancien chef militaire Gantz se sont affrontés lors de trois élections indécises en moins d’un an. Aucun des deux hommes n’étant en mesure de former une coalition gouvernementale viable au sein du Parlement israélien, profondément divisé et comptant 120 sièges, ils ont convenu d’un accord de partage du pouvoir le mois dernier, affirmant qu’ils visaient à éviter un quatrième vote rejeté par l’ensemble du spectre politique.
Mais celui-ci fait l’objet de huit recours contestant sa validité devant la Cour suprême. Cinq de ces huit recours, présentés par des groupes de surveillance de la corruption et d’autres, font valoir que des membres de la Knesset inculpés pour corruption, comme c’est le cas de Netanyahu, ne peuvent être nommés Premier ministre.
La loi actuelle permet à un chef de gouvernement de rester au pouvoir tant qu’il n’a pas été reconnu coupable d’un acte criminel, et que toutes les voies de recours n’ont pas été épuisées. Cependant, le cas d’un Premier ministre inculpé et prêt à former un nouveau gouvernement est considéré comme une sorte d’angle mort juridique.
Quant à l’accord de coalition, les principaux arguments contre lui concernent des dispositions spécifiques qui, selon les opposants, enfreignent la loi.
L’avocat représentant Netanyahu, Michael Rabilo, a déclaré au tribunal que la disqualification d’une seule clause pourrait entraîner l’annulation de l’ensemble de l’accord de coalition.
« L’accord est un ensemble, il comporte des freins et des contrepoids que nous devons maintenir. La disqualification d’un élément de l’accord peut entraîner l’invalidation de l’ensemble de l’accord. Dans la réalité complexe dans laquelle nous nous trouvons, je demande au tribunal d’agir avec retenue et de ne pas intervenir », a-t-il plaidé.
Selon l’accord d’unité, les six premiers mois du gouvernement seront principalement consacrés à la lutte contre le nouveau coronavirus qui a contaminé plus de 16 000 Israéliens et ravagé l’économie.
Mais après que les juges ont insisté à plusieurs reprises auprès de M. Rabilo sur les raisons pour lesquelles l’accord de coalition ne permet pas de faire avancer la plupart des législations non liées au coronavirus pendant les six premiers mois du gouvernement, l’avocat a fait marche arrière et déclaré qu’un amendement serait apporté pour rendre l’exigence moins contraignante et permettre de faire avancer d’autres législations si nécessaire.
Les juges ont également dénoncé la clause qui interdit la nomination de hauts fonctionnaires pendant les six premiers mois.
« Qu’est-ce que le coronavirus a à voir avec la nomination de hauts fonctionnaires, comme le poste de chef de la police, qui est occupé à titre intérimaire depuis un an et demi », a demandé la juge en chef Esther Hayut.
Le juge Vogelman a ajouté qu’après trois élections consécutives et 18 mois à la tête d’un gouvernement intérimaire qui ne peut pas procéder à des nominations de hauts fonctionnaires à plein temps, ces désignations ne peuvent plus attendre.
Une autre objection à la période d’urgence de six mois est venue du juge George Kara, qui a demandé : « Et si la période d’épidémie dépasse six mois ? ».
L’avocat du Likud, Avi Halevy, a répondu que si cela se produisait effectivement, le gouvernement serait obligé de prolonger la période d’urgence.
L’accord de coalition prévoit que M. Netanyahu sera Premier ministre pendant 18 mois, avec Gantz comme son « suppléant », un nouveau titre dans la gouvernance israélienne. Ils échangeraient leurs rôles à mi-parcours, Netanyahu devenant le « suppléant » du Premier ministre Gantz, ce qui ramènerait probablement les électeurs aux urnes dans 36 mois.
Mais la loi israélienne octroie traditionnellement aux gouvernements des mandats de quatre ans, une question sur laquelle se sont jetés les adversaires de l’accord.
La représentante légale de la Knesset, Avital Sompolinsky, et le représentant du bureau du procureur général, Aner Helman, ont tous deux déclaré à la Haute Cour qu’ils partageaient l’avis de plusieurs juges selon lequel la Cour ne peut pas se prononcer sur la légalité d’une législation approuvée par l’accord d’unité avant même qu’elle n’ait été adoptée.
Des questions ont également été soulevées sur le statut juridique du nouveau titre de « Premier ministre suppléant ». Netanyahu, sous le coup d’une inculpation, ne peut légalement exercer la fonction de ministre, et les juges doivent décider si le nouveau titre est acceptable pour une personne dans sa situation.
Une autre question examinée a concerné une législation dite « loi norvégienne élargie », qui permettra à certains des 52 ministres et vice-ministres du nouveau gouvernement de démissionner temporairement de leur poste à la Knesset pour laisser entrer de nouveaux députés au Parlement à leur place – mais pas selon l’ordre initial de leur liste comme le dicte la loi actuelle. Cette mesure vise à permettre à Gantz de faire entrer de nouveaux membres de Kakhol lavan au Parlement tout en évitant ceux des partis Yesh Atid et Telem, ses anciens alliés de Kakhol lavan.
Interrogé lors de l’audience pour savoir si la nouvelle coalition prévoit toujours d’avancer une version élargie de la loi norvégienne, qui n’a pas encore été soumise au vote de la Knesset tout comme d’autres législations liées à l’accord d’unité, l’avocat de Kakhol lavan, Shimon Bar-On, a confirmé à la cour que c’était toujours son intention.
Les juges ont ensuite insisté auprès de ce dernier sur la légalité d’une telle législation, car elle viole la volonté des électeurs qui ont voté pour la liste dans l’ordre où elle a été présentée le jour du scrutin.
Il a présenté des arguments qu’ils ont considérés comme politiques et non juridiques.
En conséquence, la juge en chef Hayut a ordonné à Shimon Bar-On de fournir une justification juridique de cette loi dans les prochaines 24 heures, ce qu’il a accepté. Les médias en hébreu ont rapporté que par la suite, le Likud et Kakhol lavan envisageaient de modifier cette loi.
Après une pause, le tribunal a entendu les arguments des requérants, rejetant nombre d’entre eux comme « hors sujet » pour l’audience en cours.
En réponse à l’avocate Daphna Holtz-Lechne représentant les plaignants, le juge Mazuz a déclaré « Ce sont des arguments politiques, moraux, publics… des discours qui n’ont rien à voir avec le niveau juridique… et qui ne sont pas pertinents ici ».
La disposition selon laquelle l’annulation de la nouvelle législation nécessitera une majorité spéciale de 75 députés était également contestée – une clause exigée par Gantz pour empêcher Netanyahu d’annuler ultérieurement la législation avec une majorité simple de 61 parlementaires sur les 120 sièges de la Knesset et de l’empêcher d’exercer les fonctions de Premier ministre après 18 mois. À la suite des critiques des juges, Kakhol lavan et le Likud ont accepté lundi d’abaisser le seuil à 70 députés, a rapporté le site d’information Walla.
La semaine dernière, le procureur général Avichai Mandelblit a remis à la Cour son propre avis juridique, affirmant que si « certaines dispositions de l’accord de coalition soulèvent des difficultés majeures… à l’heure actuelle, il n’y a aucune raison de le disqualifier ».
Il a conseillé que les dispositions problématiques soient examinées « au stade de la mise en œuvre ».
Si les juges estiment que l’accord de coalition n’est pas valable, Israël pourrait être contraint d’organiser sa quatrième élection en moins de deux ans.
Mandelblit, qui a inculpé Netanyahu, a également soutenu qu’il n’y avait aucune base légale pour lui interdire de diriger un gouvernement.
Des milliers d’Israéliens ont participé à une série de manifestations de masse contre l’accord, tout en respectant les règles de distanciation sociale imposées en raison de la pandémie de coronavirus.
De mardi à jeudi, l’accent sera mis sur la Knesset, où la nouvelle législation sera débattue. Elle doit entrer en vigueur d’ici jeudi, car c’est la date limite à laquelle le Parlement doit nommer un Premier ministre parmi ses membres ou convoquer de nouvelles élections. Il est peu probable qu’il approuve le nouveau gouvernement si la législation garantissant l’accord de rotation entre Netanyahu et Gantz n’est pas promulgué d’ici là.