La justice française enquête sur des soupçons de corruption de magistrats libanais
Le PNF a pris un réquisitoire supplétif demandant d'enquêter sur la "corruption d'un personnage judiciaire d'un Etat étranger" et d'"association de malfaiteurs" délictuelle
La justice française enquête sur des soupçons de « corruption » de magistrats libanais qui auraient visé – et échoué – à faire sortir de prison Hannibal Kadhafi dans l’espoir d’obtenir des éléments pour dédouaner Nicolas Sarkozy des accusations de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007.
Le 14 septembre, le parquet national financier (PNF) a pris un réquisitoire supplétif, révélé par Mediapart et confirmé à l’AFP de source proche du dossier, demandant à deux juges d’instruction d’enquêter sur la possible « corruption » active et passive « d’un personnage judiciaire d’un Etat étranger » et d' »association de malfaiteurs » délictuelle.
Ces deux juges financiers travaillent déjà sur la possible « subornation de témoin » fin 2020 de l’intermédiaire Ziad Takieddine, qui a retiré temporairement ses accusations visant le financement de la campagne présidentielle victorieuse de M. Sarkozy.
Dans ce dossier, dont l’AFP a eu des éléments, le nom d’Hannibal Kadhafi était déjà apparu.
En garde à vue à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclciff) début juin, Noël Dubus, un homme déjà condamné pour escroquerie, affirmait avoir « noué les premiers contacts » en décembre avec le fils de l’ancien numéro 1 libyen, détenu au Liban sans jugement depuis sa rocambolesque arrestation en décembre 2015.
Noël Dubus assurait être « mandaté par la famille » Kadhafi pour « le faire sortir de prison ».
Disque dur
Selon lui, un publicitaire mis en cause dans le dossier et soupçonné d’avoir financé ses démarches espérait en contrepartie obtenir un contrat sur la campagne d’un autre fils Kadhafi, Seif al-Islam, qui vient d’officialiser sa candidature à la présidentielle libyenne.
Les magistrats se demandent si cette tentative – avortée – de faire libérer Hannibal Kadhafi ne visait pas aussi et surtout à obtenir des éléments pour dédouaner l’ancien chef de l’Etat français, soupçonné d’avoir perçu de l’argent libyen pour sa campagne 2007.
En passant par exemple par des « archives » se trouvant dans un « disque dur » aux mains d’un autre fils Kadhafi.
Un tel « deal » pourrait sembler paradoxal, alors même que Nicolas Sarkozy a pris une part prépondérante dans la chute et la mort du « Guide de la révolution », en août 2011.
Un tel accord, « c’est pas possible » reconnaît d’ailleurs M. Dubus devant les juges. « La famille Kadhafi voit Sarkozy, (elle) le tue ».
Pourtant, la patronne de l’agence Bestimage, Michèle Marchand, proche du couple Sarkozy, va selon lui « s’intéresser à ce que je fais au Liban avec la famille Kadhafi dans le but de prouver que le document de Mediapart », publié en 2012 et évoquant un accord de Tripoli en 2006 pour financer la campagne Sarkozy « était faux ».
Au moment où M. Dubus assure l’avoir tenue au courant, fin mai, des avancées du dossier, « Mimi » Marchand a promis, selon une écoute téléphonique, à un journaliste que « d’ici dix-quinze jours », elle sera en mesure de prouver que le document libyen était faux. C’est « 12 fois béton », affirme-t-elle.
« Zébulon »
Nicolas Sarkozy était-il au courant de ces démarches ? Le 27 mai, « Mimi » Marchand écrit à « Nono » Dubus : « il a pour la première fois été moyen aimable le Z, me faisant entendre que ça marchera pas, qu’ils paieront pas les K ».
Qui est « le Z » ?, demandent les juges à Noël Dubus. « C’est ‘Zébulon’, c’est-à-dire Sarkozy », répond-il.
La patronne de Bestimage se défend devant les juges: « je mens complètement et là j’embrouille (Dubus). Ça suffit ! J’ai jamais vu Sarkozy à cette date-là. Je comprends que (Dubus) me ment et je veux savoir où il va. »
Depuis le 13 septembre, les deux juges disposent d’un procès-verbal de l’Oclciff sur cette affaire « d’une gravité majeure », récapitulant les échanges entre décembre et juin de Noël Dubus avec un contact libanais dénommé Ali S., un proche du mouvement chiite libanais Amal, allié au Hezbollah.
Au Liban, où nombre de crimes d’ampleur restent impunis et certains juges accusés d’être corrompus, Ali S. rapporte de manière plus ou moins explicite à Noël Dubus ses échanges supposés avec au moins deux magistrats libanais sur, notamment, le dossier de la libération d’Hannibal Kadhafi. M. Dubus semble lui donner des instructions.
A chaque fois, des « enveloppes » remises aux « juges » sont évoquées.
Tous ces projets vont toutefois échouer avec l’interpellation générale début juin des principaux acteurs du dossier et leur mise en examen pour « subornation de témoin », « association de malfaiteurs »…
De nombreuses vérifications restent à effectuer, d’autant que nombre des mis en cause discréditent Noël Dubus.
Ni son avocat, ni l’entourage de M. Sarkozy n’ont répondu à l’AFP.
« A l’époque, Mimi Marchand avait pris beaucoup de distance avec Noël Dubus et encore une fois, elle est totalement étrangère aux démarches qu’il a pu effectuer de son côté », a réagi son avocate, Me Caroline Toby.