La manifestation de Crown Heights ravive le spectre des émeutes raciales de 1991
Avant la manifestation de lundi à Brooklyn, on a évoqué des tensions raciales, rappels de pogroms commis dans le quartier, mais cette fois, la manifestation a fait long feu

NEW YORK – En août 1991, une voiture avec à son bord le rabbin Menachem Mendel Schneerson, très respecté chef du mouvement hassidique Habad-Loubavitch, remonte l’avenue Utica à Brooklyn. Un conducteur qui suit le cortège passe le carrefour à toute vitesse, perd le contrôle de son véhicule et finit sur le trottoir où il renverse deux enfants. Gavin Cato, 7 ans, fils d’immigrants guyanais, est tué dans l’accident et son cousin, blessé.
L’accident et ses conséquences, contestées, ont provoqué la colère des Afro-américains du quartier et donné lieu à une émeute, plusieurs jours durant, contre les Juifs des environs.
Quelques heures après l’accident, un groupe s’en est pris à Yankel Rosenbaum, 29 ans, qu’ils ont poignardé dans le dos avant de lui fracturer le crâne. L’homme est mort à son arrivée à l’hôpital.
Au cours de ces émeutes qui ont vu d’autres Juifs être blessés, on a entendu des « Heil Hitler », des magasins ont été pillés : des voitures ont été endommagées et des maisons ayant des mezouzah ont été vandalisées.
Ces émeutes restent une plaie ouverte pour la communauté juive même si les relations intercommunautaires ont été plutôt calmes ces dernières années. Jusqu’à ce que deux incidents récents ravivent le souvenir des émeutes et la crainte de nouveaux troubles raciaux dans le quartier, malgré des circonstances qui ont bien changé.
À la fin du mois dernier, un homme juif a agressé en pleine rue un Afro-américain circulant en fauteuil roulant à cause des chiens non tenus en laisse de ce dernier. Les dirigeants juifs de Crown Heights ont condamné cet incident, mais la vidéo de l’altercation a attisé les tensions. Un tract a circulé appelant à une manifestation devant le 770 Eastern Parkway, siège mondial du mouvement Habad plus connu sous le nom de « 770 », avec l’ancien bureau de Schneerson et une synagogue des plus fréquentées.
« Agressé en fauteuil roulant par des membres de la communauté juive orthodoxe. Honte à la communauté juive », pouvait-on lire sur l’un de ces tracts.

Puis, la semaine dernière, le ministre d’extrême droite de la Sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, a effectué une visite inopinée au 770. Des manifestants anti-Israël se sont rassemblés à l’extérieur en appelant à l’intifada et à la « résistance », au grand dam des Juifs.
On a plus tard vu des images de jeunes juifs en train de pourchasser une femme dans la rue en criant « Mort aux Arabes » en hébreu et d’un individu au visage ensanglanté, bordé d’un keffieh. Les dirigeants de la communauté Habad ont condamné ces faits de harcèlement.
Ces vidéos ont de nouveau suscité l’indignation et des appels à de nouvelles manifestations. Lundi, les manifestants se sont rassemblés au Barclays Center, à une heure de marche du 770, tandis que des contre-manifestants se rassemblaient devant la synagogue.
Les appels à la manifestation de cette semaine comportent des messages explicitement racistes, et les deux camps font référence aux émeutes de 1991, de crainte d’un regain de tensions intracommunautaires dans le quartier.
« Nous attendons que le géant endormi qu’est le Brooklyn des Caraïbes, qui a longtemps souffert d’abus et d’oppression de la part du sioniste raciste Habad Loubavitch, se soulève contre eux », a déclaré un groupe se faisant appeler Crown Heights Back sur les réseaux sociaux.
« Les Noirs de Brooklyn sont brutalement exploités via leur loyer qui participe ensuite à l’accaparement génocidaire de terres en Palestine », peut-on lire dans cette publication. « Que se passerait-il si le Brooklyn des Caraïbes faisait preuve de cette énergie féroce vybz kartel Barclays et en finissait avec ces putain de monstres !? »
NOW: Protesters are rushing to get around police lines as they march towards the Crown Heights neighborhood in Brooklyn. pic.twitter.com/MwRY52LvvL
— Oliya Scootercaster ???? (@ScooterCasterNY) April 29, 2025
La publication se termine par un emoji réveil, avant un post de suivi disant : « Les Noirs ne se laisseront pas faire indéfiniment. »
« Le sionisme est une idéologie fondée sur l’exceptionnalité et la suprématie juives », affirme un autre message publié par plusieurs groupes de protestation. « C’est la même idéologie qui justifie le génocide des Palestiniens à Gaza et force à partir nos voisins noirs les plus âgés. »
« Nous nous élevons contre ces accusations pathétiques et insensées d’antisémitisme, bien conscients que cette violence fait partie intégrante d’une logique coloniale juive-suprémaciste qui opprime la Crown Heights noire et brune », poursuit-il. « Il faut agir maintenant pour nous défendre. »
Le Comité de solidarité avec la Palestine du Bronx a déclaré : « Vous n’exercerez pas toujours votre pouvoir de propriétaires fonciers de Brooklyn la Noire et la Caribéenne qui vous sert à financer le génocide palestinien… Le temps viendra. »
Au début du rassemblement anti-Israël, l’un de ses organisateurs a, devant la foule, fait le lien entre le conflit israélo-palestinien, l’incident du fauteuil roulant, les manifestations de la semaine dernière et les émeutes de 1991. Pour lui, les émeutes ne sont pas un avertissement mais une menace.
Rally organizer speaks on why he organized tonight's protest, says that among the reasons is Troy Mcleod, a black man that was pushed from a wheelchair by two Jewish/Israeli men over a spat concerning walking his dogs without a leash. https://t.co/s7Ydp7snfa pic.twitter.com/3ZVeySId7R
— ????????????????????????ℝ???????????????????? (@L2FTV) April 29, 2025
« Le problème que nous avons est le même que le reste du monde. Ce n’est pas seulement un problème palestinien, ce n’est pas seulement un problème noir », a-t-il assuré.
« Ils ne veulent pas que nous soyons unis », a-t-il poursuivi. « En 1991, cela a été le chaos, avec des émeutes, les émeutes de Crown Heights, regardez ce que c’était. Ils ont écrasé deux enfants noirs. » Plus tard, il a déclaré : « Crown Heights est aussi un quartier noir ».
« Ils ne veulent pas de cette guerre. Ils ne veulent vraiment pas cette putain de guerre parce que ce sera tous les jours », a-t-il poursuivi.
En 1991 comme aujourd’hui, ces activistes ont mélangé communauté juive et problèmes sociaux, à commencer par les questions de logement ou d’application de la loi.
Selon Motti Seligson, porte-parole de la communauté Habad, la forte présence policière dans le quartier, avant la dernière manifestation en date, lui rappelle les événements de 1991 qu’il a connus dans son enfance.
Le rabbin Mordechai Lightstone, un autre leader de la communauté, a condamné les propos du Représentant américain Jerry Nadler relatifs aux incivilités commises par des Juifs dans le quartier, en parlant de « la même indifférence qui a permis aux émeutiers en 1991 de commettre des pogroms dans les rues de Crown Heights ».
« La manifestation de ce soir est une tentative délibérée de dresser nos voisins des Caraïbes contre nous… en utilisant l’antisémitisme intemporel de Crown Heights », a déclaré Lightstone sur X.

Malgré le spectre de 1991, les derniers troubles en date sont bien différents.
Déjà, la police est sortie en force lundi pour séparer les groupes et les tenir à bonne distance du 770. La manifestation anti-Israël s’est avérée modeste et, semble-t-il, dénuée de violences significatives. Ensuite, la communauté Habad s’est bien développée ces trente dernières années. Et enfin, le maire de New York, Eric Adams, ex-policier de son état et président de l’arrondissement de Brooklyn, entretient de bonnes relations avec les communautés juives des environs.
Seligson estime que les partisans de la communauté – juifs ou non – sont venus, mus par l’inquiétude, mais que les abords du 770 sont restés calmes, contrairement à ce qui s’est passé en 1991. Il ajoute que, cette semaine comme lors des manifestations de 1991, des personnes étrangères au quartier ont tenté d’attiser les tensions.
« Je crois que les habitants de Crown Heights, juifs ou noirs, se respectent les uns les autres. Ils forment une communauté unie », explique-t-il. « Il y a beaucoup plus d’amitiés, d’alliances et de partenariats, qui se sont construits au fil du temps. »
Depuis l’incident du fauteuil roulant, les dirigeants communautaires des deux camps ont fait en sorte d’apaiser les tensions. La manifestation prévue devant le 770 a finalement eu lieu ailleurs et le message a été redéfini en appel à la paix. Les dirigeants des deux camps ont parlé d’unité lors du rassemblement et les dirigeants de la communauté juive se sont entretenus avec l’homme victime de l’agression.
« Nous condamnons absolument toute forme de violence. Et j’aimerais terminer sur des mots de mon Rabbi, en 1991, juste après les émeutes de Crown Heights », a déclaré le rabbin Yaacov Behrman, fondateur de la Jewish Future Alliance, une organisation locale. « Nous sommes le même peuple qui vit dans la même ville avec le même Dieu. »
Le révérend Kevin McCall, l’un des organisateurs noirs, a abondé dans le sens de Behrman en ajoutant : « Nous avons déjà connu cela par le passé et nous avons à coeur de ne pas faire les mêmes erreurs. »
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