La place des femmes au sein de la société israélienne
En cette Journée de la femme, le Times of Israël explore les droits des femmes dans l'État juif, à travers divers angles : le sionisme, l'armée, la constitution et les féminicides
La femme dans le sionisme
Avant même la création du pays, l’idéologie sioniste reprenait la mythologie d’un mouvement égalitaire et moderne, avec des femmes pionnières labourant la terre et montant la garde. Mais, selon la chercheuse Sarai Aharoni, interviewée par le Monde diplomatique : « Même dans les premiers kibboutzim — qui demeureront marginaux —, les membres féminins étaient bien plus employés dans les cuisines, les potagers, les garderies et les buanderies collectives que dans les champs et les usines. »
Le devoir premier de la femme israélienne était alors aussi et surtout, peu après la Shoah, d’assurer la survie du peuple juif, en mettant au monde « au moins quatre enfants », demandait David Ben Gourion.
Droit de vote
Quelques années après la France, l’Italie, le Japon ou encore l’Argentine, et quatre ans avant le Liban, le droit de vote des femmes en Israël a été exprimé dès la création de l’État, en 1948, dans sa déclaration d’Indépendance, qui reconnaissait « à tous les habitants d’Israël l’égalité des droits sociaux et politiques indépendamment de leur religion, leur race ou leur sexe ».
Lutte contre les discriminations de genre
L’égalité des droits des femmes ferait ainsi l’objet d’une loi, en 1951.
Plus d’une centaine de lois ont depuis été votées, dans les années 1980 et 1990, dont celle pour l’égalité dans l’emploi en 1988, celle sur l’égalité salariale en 1996, et celle contre le harcèlement sexuel en 1998.
Néanmoins, ces lois ne permettent toujours pas aux femmes de divorcer librement, sans l’accord de leur mari, en raison de la mainmise du Grand rabbinat d’Israël sur cette question. Des femmes se retrouvent ainsi prises dans un engrenage juridique des plus complexes qui les empêchent de se remarier.
Inégalités salariales
En ce qui concerne l’égalité salariale, l’écart serait encore, malgré les lois, de 21,6 % entre hommes et femmes, selon un rapport de l’institut d’analyse Adva Center publié en 2018. Ce chiffre ferait d’Israël le quatrième pays le plus inégalitaire de l’OCDE sur ce point.
Les femmes israéliennes restent de façon générale sous-représentées dans les fonctions de direction, aussi bien dans le secteur privé que public, même si elles sont plus nombreuses depuis ces dernières années, à l’instar de Galia Maor, ancienne PDG de la Banque Leumi.
Des programmes encourageant les femmes à ouvrir de petites et moyennes entreprises ont été mis en place par les autorités.
Si la place des femmes au sein de la communauté ultra-orthodoxe pose encore problème, elles s’intègrent de plus en plus au sein de la société, étant contraintes de travailler tandis que les maris étudient. Elles doivent de plus en plus se tourner vers des métiers extérieurs à leur communauté – ces emplois, notamment dans les écoles ou les crèches, étant très prisés.
Parité en politique
Malgré ces lois, le haut niveau d’éducation et la nomination de Golda Meir en tant que Première ministre en 1969, peu de femmes accèdent encore à de hautes fonctions politiques dans le pays.
Outre la « grand-mère d’Israël », les plus connues sont : Tzipi Livni, Ayelet Sheked, Miri Regev, Pnina Tamano-Shata, Gila Gamliel, Tzipi Hotovely ou encore Orly Levy-Abekasis – des noms pour la plupart moins connus que ceux des responsables israéliens masculins.
La 23e Knesset, élue en mars 2020, compte 30 femmes députées sur 120 sièges (soit un quart) – dont Orna Barbivai, seule femme promue générale de l’armée, deuxième grade le plus élevé de l’institution, jusqu’à sa retraite militaire en 2014.
Sur 35 ministères, le gouvernement actuel compte 6 femmes à un poste de ministre (Pnina Tamano-Shata, Orly Levy-Abekasis, Omer Yankelevich, Gila Gamliel, Orit Farkash-Hacohen et Miri Regev).
Sur la dizaine de partis qui devraient entrer à la 24e Knesset suite aux élections du 23 mars 2021, un seul est dirigé par une femme : le Parti travailliste, avec Merav Michaeli. La plupart des femmes qui se présentent sont par ailleurs reléguées en bas des listes. Une trentaine de députées devraient être élues selon les estimations, comme lors des dernières élections.
La Knesset compte un comité sur le statut des femmes et pour l’égalité des genres depuis 1992. En juin dernier, des groupes féministes israéliens ont répondu avec indignation à l’annonce de la nomination d’un homme, le député Oded Forer (Yisrael Beytenu), à la tête de cette commission parlementaire.
Droit à l’avortement
L’avortement, dont les coûts sont prix en charge par l’État, a été légalisé en Israël en 1977, sous certaines conditions et selon l’avis d’un comité médical.
Ces professionnels n’approuvent généralement les IVG que sous certaines conditions : si la patiente a moins de 18 ans ou plus de 40 ans ; si la grossesse a eu lieu hors mariage ; si la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste ; si la vie de la mère est en danger ; si mener la grossesse à terme entraînerait une détresse mentale ou physique ; ou si le fœtus a de graves complications.
En 2019, 17 688 femmes ont déposé une demande d’avortement. Alors que 99,4 % d’entre elles ont été acceptées, 106 ont été refusées. Plus de la moitié des avortements ont eu lieu cette année-là car la grossesse résultait d’une relation hors mariage – première cause d’IVG.
Selon Michal Gera Margaliot, ancienne directrice exécutive du Réseau des femmes israéliennes, les femmes mariées auraient plus de difficultés à avorter, et devraient mentir – en affirmant par exemple au comité que leur grossesse résulte d’une relation extra-conjugale – pour y avoir accès.
« La loi ne reconnaît pas l’autonomie des femmes en ce qui concerne leur santé sexuelle ; elle reconnaît l’autonomie de l’État pour décider de la santé reproductive des femmes. Le comité est l’expression de l’État », a déclaré Sharon Orshalimy, conseillère en santé sexuelle et en contraception, doctorante à l’université Ben-Gourion du Néguev.
« En Israël, l’avortement est très accessible, sûr, semi-légal et financé jusqu’à l’âge de 33 ans, et pour des raisons médicales [ou viol et inceste] après 33 ans », a-t-elle ajouté. « Ce raisonnement est très conservateur, mais la pratique de l’avortement en elle-même est très libérale, et il y a un grand écart entre les deux. »
En 2017, l’association Yedid avait rapporté que 15 000 avortements environ étaient pratiqués de façon clandestine en Israël chaque année.
Droit à la contraception
Les moyens de contraception sont largement répandus en Israël. L’armée aide notamment les soldates dans ce domaine, avec des démarches de sensibilisation. Des préservatifs sont également proposés à l’achat sur toutes les bases, et les femmes peuvent demander la pose d’un stérilet durant tout leur service militaire, qui sera enlevé lorsqu’elles le quitteront. Tous les coûts médicaux sont pris en charge par l’armée.
Les femmes dans l’armée
Les femmes occupent divers rôles au sein de Tsahal, souvent aux côtés de leurs homologues masculins. 92 % des postes militaires sont ainsi ouverts aux soldates. Il existe également des unités de combat mixtes entièrement intégrées, comme les bataillons Caracal et Bardelas, qui sont chargés de protéger la frontière d’Israël avec l’Égypte et la Jordanie. Elles peuvent aussi devenir pilotes d’avion – même si la majorité des pilotes restent en pratique des hommes. Néanmoins, la présence des femmes dans les commandos de Tsahal divise toujours.
Par le passé, l’armée a insisté sur le fait qu’elle permettait à davantage de femmes de servir dans des postes de combat pour des raisons pratiques, et non pas en raison d’un programme social, en disant qu’elle avait besoin de toute la main-d’œuvre féminine et humaine disponible.
Les critiques de l’intégration du genre dans l’armée la décrivent souvent comme une expérience sociale dangereuse avec des répercussions possibles sur la sécurité nationale, tandis que les défenseurs la considèrent généralement comme une mesure nécessaire depuis longtemps, qui a déjà été mise en œuvre dans de nombreux pays occidentaux.
Les détracteurs notent que certaines exigences pour les femmes soldats de combat ont été abaissées – ce qui, selon eux, est un signe que l’efficacité est sacrifiée – et que les femmes militaires souffrent de traumatismes liés au stress à un taux plus élevé.
En janvier 2020, l’armée israélienne a annoncé qu’elle relançait son programme pilote pour permettre aux femmes de servir dans les chars, revenant sur sa décision de geler l’essai l’année dernière et l’élargissant pour inclure certains déploiements réels.
En février 2020, la Cour suprême de justice a rejeté un procès qui demandait à l’armée d’autoriser les femmes à servir dans les chars d’assaut, estimant que le programme élargi de chars d’assaut rendait ce procès inutile.
Dans une pétition déposée début janvier 2020, Osnat Levy et Noga Shina avaient affirmé que le refus de l’armée de les laisser servir comme conductrices de chars était une violation de l’égalité des droits. Un procès similaire a été intenté par Or Abramson et Maayan Halberstadt, toutes deux âgées de 19 ans, demandant la possibilité d’essayer au moins de servir dans les chars.
Le nouveau programme pilote fixera des exigences de poids et de taille plus élevées pour les femmes qui veulent servir dans le Corps de blindés. Une décision finale sur l’avenir du service féminin dans les unités de chars devrait être prise après la fin du programme pilote en 2022.
Selon un rapport parlementaire de 2013, une militaire sur huit risque de subir une forme plus ou moins grave d’agression sexuelle.
Les Israéliennes face aux féminicides
On compte déjà plusieurs féminicides sur les deux premiers mois de l’année 2021.
Au moins 20 femmes ont été assassinées en Israël par leurs conjoints ou leurs compagnons au cours de l’année 2020.
13 Israéliennes ont été assassinées en 2019 par une personne qu’elles connaissaient. En 2018, 25 femmes ont été assassinées dans de tels incidents, le nombre le plus élevé depuis des années. Beaucoup de ces femmes ont porté plainte auprès de la police avant leur mort, par souci de sécurité.
Un plan national de lutte contre la violence domestique a été approuvé en 2017 par la Knesset, mais il a été abandonné depuis, faute de financement. Les militants affirment que la majeure partie des 250 millions de shekels approuvés n’a pas encore été transférée aux autorités compétentes.
La police et les organisations de services sociaux ont également signalé une augmentation importante des plaintes pour violence domestique depuis le début de la pandémie de coronavirus.
Chaque année, une « Marche des salopes » est organisée en Israël visant à lutter et donner la culture du viol et le manque d’action de l’État.
En novembre dernier, la Knesset a donné un premier feu vert à deux projets de loi visant à apporter un soutien aux victimes de violence domestique, alors que le monde marquait la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.