Le désespoir d’un oléiculteur palestinien après l’incendie de centaines de ses arbres
La nouvelle récolte avait redonné espoir à cet homme privé d'accès à ses terres depuis un an, mais l'incendie et l'inertie de la police, malgré des preuves, ont eu raison de lui
Eid, un oléiculteur palestinien, est manifestement très abattu, assis dans son salon des environs de Burin, en Cisjordanie. La tête entre les mains, il se demande comment il va faire pour payer ses factures et subvenir aux besoins de sa famille.
Son humeur maussade, le jour où il a reçu le Times of Israel, jeudi dernier, s’explique par le dernier revers subi dans son activité, qui est son gagne-pain : les incendies, manifestement criminels, qui ont fait partir en fumée des centaines d’arbres de ses oliveraies et de celles d’autres propriétaires, non loin de Burin, mercredi dernier.
Eid estime à 300 – sur les 900 qu’il possède – le nombre des oliviers totalement détruits, étant précisé qu’il n’a pas encore pu se rendre sur ses terres pour évaluer l’étendue des dégâts, à la fois par crainte d’attaques de la part de résidents d’implantations extrémistes et en raison des restrictions d’accès imposées par Tsahal.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Au total, il pense qu’un millier d’arbres ont été détruits ou endommagés lors de l’incident survenu dans cette communauté du nord de la Cisjordanie.
« Mercredi, nous avons enduré de très importantes pertes. Il n’y aura pas d’olives cette année », déplore-t-il. « Nous avons perdu beaucoup d’olives et d’huile d’olive cette année. »
En raison des restrictions imposées par les autorités israéliennes, exacerbées par la guerre à Gaza, cela fait un an et demi qu’Eid, à l’instar d’autres agriculteurs palestiniens, ne peut se rendre sur ses terres pour y travailler ou récolter ses olives. Il se dit quasiment à court d’argent.
« Où trouver de l’argent ? Qu’est-ce que je vais faire, qu’est-ce qu’on va manger ? »
Père de trois filles, Eid désespère de trouver de l’argent pour inscrire sa fille aînée à l’université, alors que la date limite d’inscription approche.
« Je n’ai pas un shekel pour payer l’université. Où vais-je trouver l’argent », dit-il, en rappelant la moyenne de 89 obtenue par sa fille lors de ses études secondaires.
Des images prises le matin par un agent de terrain de l’organisation Yesh Din, qui suit de près les violences des résidents d’implantations, montrent cinq individus masqués – l’un d’entre eux porteur d’une tronçonneuse – en train de quitter les oliveraies au milieu desquelles on distingue des départs de feu épars.
Eid dit ne pas avoir vu lui-même ces individus masqués allumer les feux, mais que l’un de ses voisins de Burin les a vus verser des bouteilles de liquide et les enflammer.
Les incendies ont mis du temps à prendre, mais au bout de quelques heures, ce sont des murs de fumée qui se sont élevés des oliveraies.
Dans une autre vidéo, également tournée par l’agent de terrain de Yesh Din, on voit les hommes masqués gravir la colline et entrer dans ce qui semble être un bâtiment – sans doute les dortoirs – de la yeshiva Od Yosef Hai en périphérie d’Yitzhar.
Implantation ultra-radicale située au sud-ouest de Burin, Yitzhar est l’épicentre de violences répétées envers les Palestiniens des environs et leurs possessions. Od Yosef Hai est d’ailleurs une institution radicale dont le directeur, le rabbin Yitzhak Shapira, a fait l’objet d’une enquête – sans toutefois être inculpé – pour incitation au racisme dans son ouvrage Torat Hamelech, qui parle des lois juives relatives à la guerre et des divers scénarios dans lesquels il est selon lui permis aux Juifs de tuer des Gentils.
Eid dit avoir contacté le bureau de liaison de l’Autorité palestinienne avec le coordinateur de district de Tsahal, supposé alerter la police israélienne des plaintes palestiniennes concernant des activités criminelles en Cisjordanie, mais on lui aurait dit de contacter lui-même les services de police israéliens.
Eid, qui ne parle que quelques mots d’hébreu, n’a pas appelé la police pour lui rapporter l’incident. Il explique que la police ne se déplace que rarement, pour ne pas dire jamais, même lorsque cela concerne des violences commises par des résidents d’implantations – ce qu’expriment bien des Palestiniens de Cisjordanie.
Les pompiers israéliens ont déclaré que des équipes avaient été dépêchées sur place peu de temps après midi alors qu’Eid les situe plus volontiers autour de 15 heures, au mieux, et que les incendies ont été circonscrits tard dans la soirée.
Malgré les vidéos des suspects des incendies, le porte-parole des pompiers a déclaré ne pas avoir ouvert d’enquête sur l’incident, sans invoquer de raison.
Le porte-parole de la police israélienne du district de Samarie a déclaré, pour sa part, qu’aucune enquête n’avait été ouverte sur l’incendie criminel présumé puisqu’aucune plainte n’avait été officiellement déposée. Il a ajouté qu’Aïd pouvait porter plainte au poste de police du district de Samarie.
Le règlement de police, dans sa dernière mise à jour en août 2020, permet, et même exige, l’ouverture d’une enquête lorsque la police a connaissance d’un crime.
Les tentatives de contact avec la direction de la yeshiva Od Yosef Hai afin de les interroger sur l’affaire ont été infructueuses.
A l’instar d’autres propriétaires de terres des environs de Burin, Eid a déjà été victime d’attaques répétées sur ses terres, notoirement par des résidents d’implantations ou d’avant-postes des environs, nombre d’entre eux étant des foyers d’extrémistes ultranationalistes.
La situation difficile dans laquelle se trouve Eid est encore compliquée par les sévères restrictions d’accès imposées par l’armée israélienne aux propriétaires fonciers palestiniens dont les terres sont proches des implantations ou avant-postes illégaux.
Eid possède des oliveraies à l’est de Burin, sur les pentes situées sous l’avant-poste illégal et radical de Givat Ronen, ainsi qu’à l’ouest de Burin, en dessous d’Yitzhar.
Même en temps normal, Eid, comme de nombreux Palestiniens propriétaires de terres situées à proximité des implantations, ne peut accéder à ses terres que deux fois par an, à raison d’un à deux jours à chaque fois : au printemps, pour la culture, et à l’automne, pour la récolte.
Il est de notoriété publique que ces restrictions ont été mises en place pour protéger les agriculteurs et ouvriers palestiniens des attaques des extrémistes, mais elles rendent extrêmement difficile la culture de ces terres.
Et la guerre les a privés de cette toute petite possibilité. En effet, l’armée israélienne ne lui a pas permis, pas plus qu’à de nombreux autres oléiculteurs, d’y accéder pour la récolte de 2023 ou les travaux de culture de ce printemps.
Dans les semaines à venir, il devrait pouvoir accéder à ses terres pour les besoins de la récolte de cette année. Mais l’incendie a lavé le peu d’optimisme qu’Eid et sa famille avaient pu retrouver. Sur les arbres qui ont survécu aux flammes, la perte en olives sera forcément considérable.
« Je me sens très triste et déprimé. Ces arbres, c’est mon gagne-pain. Je travaille avec les olives pour en faire de l’huile », rappelle Eid.
Il dit être victime d’attaques et d’intimidations de la part des résidents d’implantations depuis des années maintenant. Chaque fois qu’il s’est rendu sur ses terres sans passer par la coordination de Tsahal, il s’est rapidement retrouvé menacé par des résidents d’implantations armés de fusils.
Il en fait le reproche aux « résidents d’implantations religieux » et à l’actuel gouvernement israélien, avec lequel la situation s’est considérablement aggravée, dit-il.
« Bibi, Smotrich, Ben Gvir, ce sont des fils de putes, ils cherchent en permanence l’affrontement… ils veulent toute la Palestine », dit-il amèrement en évoquant les noms des plus hauts dirigeants politiques d’Israël.
Il condamne tout autant les dirigeants palestiniens extrémistes, à commencer par le chef du Hamas et cerveau du 7 octobre, Yahya Sinwar, et le chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh, qu’il tient pour responsables des problèmes que connait la région.
« De part et d’autre, ce sont des religieux. Qu’ils aillent tous se faire foutre. Nous voulons la paix », conclut-il. « Un foyer juif ici et un foyer palestinien à côté. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel