Israël en guerre - Jour 431

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Le grand rabbin de Moscou, qui a refusé de soutenir l’invasion ukrainienne, en exil

Pinchas Goldschmidt n’a pas l’intention de retourner en Russie, où il travaillait depuis 1993 ; il aurait subi des pressions de la part des autorités pour soutenir la guerre

Le rabbin Pinchas Goldschmidt prononce un discours à Paris, en France, le 10 octobre 2018. (Crédit : Conférence des rabbins européens par l’intermédiaire de la JTA)
Le rabbin Pinchas Goldschmidt prononce un discours à Paris, en France, le 10 octobre 2018. (Crédit : Conférence des rabbins européens par l’intermédiaire de la JTA)

JTA — À la tête d’un grand groupe rabbinique européen, la Conférence des rabbins européens, Pinchas Goldschmidt se déplace régulièrement depuis Moscou, où il exerce, depuis 1993, la charge de grand rabbin de la ville.

Mais son dernier déplacement en date, deux semaines après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, s’est effectué sans perspective claire de retour. Selon sa belle-fille, il exercerait aujourd’hui ses fonctions en exil, après avoir subi des pressions de la part des autorités russes pour soutenir la guerre.

« Je peux enfin révéler que mes beaux-parents, le grand rabbin de Moscou @PinchasRabbi et la Rebbetzin Dara Goldschmidt, ont refusé de céder à la pression des autorités pour soutenir publiquement l’opération spéciale en Ukraine », a confié sur Twitter Avital Chizhik-Goldschmidt, mardi.

Chizik-Goldschmidt, journaliste à New York, a relayé un reportage du journal français Le Figaro relatant l’histoire de son beau-père, 58 ans, entre collecte de fonds en Europe, toujours accompagné de gardes du corps, et visite à son père malade en Israël, où il réside aujourd’hui.

Contacté par la JTA, Goldschmidt, devenu citoyen russe des mains du président Dmitri Medvedev en 2010, après qu’il a quitté sa Suisse natale, s’est refusé à commenter ou répondre aux questions sur un possible retour en Russie, où il a été réélu mardi à la tête de la synagogue chorale de Moscou.

Après avoir fui le pays début mai, prétextant la maladie de son père, hospitalisé à Jérusalem, il a désigné à son poste son plus proche collaborateur, David Youshouvaev – le FSB aurait depuis tenté de remplacer ce dernier par un homme de paille, sans succès jusqu’à présent, a rapporté Le Figaro.

Goldschmidt n’est pas un critique virulent de la guerre, même si Le Figaro rapporte qu’il a contacté les rabbins de Moldavie, dès la mi-février, quelques jours donc avant l’invasion, pour les avertir d’un possible afflux de réfugiés.

Le pape François salue le rabbin Pinchas Goldschmidt lors d’une rencontre internationale pour la paix à Rome, le 7 octobre 2021. (Crédit : Franco Origlia/Getty Images via la JTA)

D’autres grands rabbins russes, dont le grand rabbin du pays, Berel Lazar, sont restés en Russie en dépit des critiques qu’ils ont émises envers la guerre.

Les questions politiques avaient déjà valu quelques problèmes à Goldschmidt en Russie, par le passé.

En 2005, Goldschmidt, présent à Moscou depuis 1989, s’était soudainement vu refuser l’entrée en Russie. Il lui avait fallu plusieurs semaines avant d’être de nouveau admis sur le territoire. Les autorités n’avaient donné aucune explication officielle, mais certains responsables auraient évoqué des « questions de sécurité nationale ».

Goldschmidt s’était gardé de tout commentaire sur la question, mais l’affaire s’était produite dans le contexte d’une âpre lutte de pouvoir à l’issue de laquelle Berel Lazar et ses rabbins affiliés au Habad ont dominé la vie institutionnelle juive russe.

Goldschmidt, rabbin d’origine suisse qui n’est pas affilié au Habad, a finalement pu revenir à Moscou après cet épisode, mais sa carrière s’est concentrée sur l’Europe occidentale. Il est ainsi à la tête de la Conférence des rabbins européens depuis 2011.

Goldschmidt résiderait donc à l’heure actuelle en Israël. Les grands rabbins ashkénazes et séfarades d’Israël, David Lau et Yitzhak Yosef, ont adressé une lettre aux dirigeants des communautés juives russes leur demandant de respecter l’autorité de Goldschmidt même s’il « ne lui est pas possible de se trouver physiquement dans sa congrégation », a révélé mardi le Post.

« Le tribunal rabbinique qu’il dirigeait continue de fonctionner sous sa direction et apporte des réponses appropriées à ceux qui en ont besoin », ont-ils écrit.

À Moscou, la Fédération des communautés juives de Russie de Berel Lazar s’est distinguée des autres groupes religieux par son opposition ouverte à la guerre.

L’extérieur de la synagogue chorale de Moscou, l’une des principales synagogues de Russie et de l’ex-Union soviétique. (Crédit : Universal History Archive / Universal Images Group via Getty Images via JTA)

Berel Lazar lui-même a écrit dans un communiqué : « Arrêtez cette folie : plus personne ne doit mourir pour cela. » Il a par ailleurs critiqué le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, pour ses propos sur une prétendue judéité d’Adolf Hitler. (Par cette assertion infondée, Lavrov avait fait l’analogie entre le chef de l’Allemagne nazie et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui est Juif.)

« Il serait bon qu’il s’excuse auprès des Juifs et admette s’être trompé », a écrit Lazar à propos de Lavrov.

Il s’agit d’une manifestation d’humeur assez inhabituelle de la part de Lazar, dont il se dit qu’il est proche – voire intime – du président russe, Vladimir Poutine.

Le fait que cela se soit produit dans le contexte de la guerre en Ukraine, qui a déclenché une véritable chasse aux sorcières contre de supposés traîtres dans les deux pays, ne fait que souligner davantage les tensions autour de cette question.

L’attitude de l’organisation de Lazar est très différente de celle adoptée par l’Église orthodoxe russe, dont l’évêque en chef, le patriarche Cyrille, est un fervent partisan de la campagne de Poutine en Ukraine.

Les chefs de groupes musulmans russes, représentant des millions de fidèles, ont également approuvé la guerre, notamment Talgat Tajuddin, chef du Conseil central des musulmans spirituels de Russie, Ismail Berdiyev, chef du Centre de coordination des musulmans du Caucase du Nord, et Albir Krganov, chef de l’Assemblée spirituelle des musulmans de Russie.

Des employés des services d’urgence de la République populaire de Donetsk interviennent sur les lieux d’un incendie de véhicules bombardés, dans le district de Leninsky à Donetsk, en territoire sous contrôle du gouvernement de la République populaire de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine, le lundi 6 juin 2022. (Crédit : AP Photo/Alexei Alexandrov)

Lazar et Goldschmidt ont tous deux confirmé que des milliers de Juifs avaient quitté la Russie depuis que la guerre a éclaté. Dans une interview accordée à Deutche Welle la semaine dernière, Goldschmidt a déclaré qu’une « partie très importante » de la communauté juive russe, qui comptait 155 000 membres selon un recensement de 2020, avait d’ores et déjà quitté le pays et qu’une autre partie « songeait à le faire ».

D’autres rabbins présents en Russie se sont également exprimés publiquement sur ces départs et leur cause. Boruch Gorin, influent rabbin Habad de Moscou et porte-parole de Lazar, évoque sans ambages « un climat politique et social très inquiétant ».

Chasser les rabbins et fermer les synagogues est une chose que les autorités russes ont déjà fait par le passé, pour lutter contre la dissidence. Cela n’aiderait pas la popularité de la guerre, qui a déjà un effet de plus en plus polarisant sur la société russe.

Les rabbins Habad de Russie eux-mêmes ne sont pas intouchables sous Poutine. Huit d’entre eux au moins, tous étrangers séjournant en Russie avec des visas dits religieux, ont été expulsés depuis 2008 ou ont vu leur visa annulé ou non prolongé pour divers motifs, dont celui de constituer une menace pour la sécurité nationale.

Ces rabbins ont été chassés de Russie en dépit des protestations publiques de l’organisation de Lazar, démontrant à la fois les limites de son influence sur la politique et la vulnérabilité des Juifs et de leurs dirigeants aux caprices de la justice russe ou des politiciens qui la contrôlent.

Le président russe Vladimir Poutine lors d’une visioconférence avec les chefs des État-membres du forum économique Eurasie à Bishkek via visioconférence à Moscou, en Russie, le 26 mai 2022. (Crédit : Mikhail Metzel, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)

Punir les rabbins ou tout autre membre du clergé pour ne pas avoir suivi la ligne du parti ne serait pas une bonne idée pour Poutine, particulièrement à l’heure actuelle.

À l’extérieur et, de manière peut-être plus importante encore, à l’intérieur, son gouvernement a déclaré avoir envahi l’Ukraine le 24 février afin de la « dénazifier », évoquant ce que Poutine qualifie de collusion d’idées et de partisans d’extrême droite en Ukraine.

Gorin, le porte-parole de Lazar, a déclaré que les autorités russes n’avaient pas spécialement pris pour cible les rabbins étrangers depuis le début de la guerre.

Il a précisé à l’agence JTA n’avoir aucune connaissance de pressions exercées directement sur Goldschmidt ou sur tout autre rabbin. Il s’est dit surpris des informations données au sujet de Goldschmidt.

« Je serais très étonné que le rabbin Goldschmidt ait subi des pressions », a assuré Gorin.

Le récit de la belle-fille de Goldschmidt est bien différent. « Le chagrin et la peur de notre famille, ces derniers mois, vont au-delà des mots », a-t-elle écrit sur Twitter.

Les rabbins de la Conférence des rabbins européens ont eux affirmé leur soutien à Pinchas Goldschmidt, et leur opposition à la guerre en Ukraine. Résumant le contexte, Elie Korchia, président du Consistoire israélite de France, a déclaré au Figaro : « Tous les rabbins européens ont conscience de la situation extrêmement difficile dans laquelle se trouve Goldschmidt et ils lui ont apporté leur soutien. »

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