Le mémorial de la Shoah de Biélorussie sort de l’ordinaire
L’hommage est inhabituel pour l’ex-URSS, car il reconnait la souffrance individuelle, et parce que son architecte était juif
KHATYN, Biélorussie (JTA) – Même pour des Soviétiques, l’immense complexe mémorial proche de Minsk, dédié aux victimes des atrocités nazies, est différent par sa taille et son ambition.
Déployé sur plus de neuf hectares, soit environ la taille de neuf terrains de football, le mémorial de Khatyn est essentiellement la pierre tombale non pas de personnes, mais de villages entiers qui ont été décimés par les nazis en Biélorussie. Le pays est l’un des rares endroits en Europe où la brutalité allemande envers les non Juifs a égalé la sauvagerie antisémite.
Le mémorial présente la terre de chacun des 186 villages rasés par les nazis en Biélorussie – trois millions de civils ont été tués ici par les nazis, dont 800 000 Juifs – et une pierre tombale symbolique pour chaque village. Des clochers sonnent toutes les heures, pour chacune des maisons que les troupes allemandes et ukrainiennes ont brûlées dans l’ancien village de Khatyn, lors du massacre du 22 mars 1943. Et l’on trouve un monument sombre, de marbre noir, le Mur des Chagrins.
Le monument « était révolutionnaire », a expliqué Chaim Chesler, fondateur de l’association d’étude juive Limmud FSU. « Il n’y a rien qui y ressemble nulle part ailleurs dans l’ancienne Union soviétique, en termes d’échelle, de conception et de design. » Limmud FSU emmène régulièrement des visiteurs au monument.
Mais le monument de Khatyn est inhabituel, et pas seulement par sa taille et par l’échelle de la tragédie qu’il commémore.
L’architecte du complexe était Leonid Levin, un honneur inhabituel accordé à un Juif à une époque d’antisémitisme public virulent en Union soviétique. Le complexe présente également une rare représentation soviétique de la douleur individuelle, non glorifiée et la souffrance d’une personne ordinaire, une statue appelée « L’homme invaincu ».
Conçue par le sculpteur Sergei Selikhanov, l’œuvre représente Yuzif Kaminsky, le seul villageois qui a survécu au massacre nazi de Khatyn, berçant le corps de son fils mort, Adam. La famille Kaminsky n’était pas juive, mais le deuil du père représente toutes les souffrances infligées à la région, en fort contraste par rapport aux statues typiquement soviétiques de soldats rebelles ou d’une glorieuse Mère Russie.
« L’inclusion d’une telle œuvre était révolutionnaire quand mon père a pris cette décision », a expliqué la fille de Levin, Galina Levina. « D’un point de vue architectural et conceptuel, il avait des décennies d’avance sur son temps. » Leonid Levin est mort en 2014.
Les dirigeants soviétiques avaient choisi Levin avec deux autres partenaires pour diriger le projet en 1967. L’antisémitisme d’Etat avait atteint de nouveaux sommets cette année-là, après la victoire d’Israël dans la guerre des Six Jours contre les alliés arabes de Moscou.
« D’un point de vue architectural et conceptuel, il avait des décennies d’avance sur son temps »
« Je pense que c’était une reconnaissance de l’excellence de Leonid Levin, et la réalisation qu’il était le meilleur homme pour le travail », a-t-elle dit.
En 1970, Levin a remporté le prestigieux prix Lénine, la distinction civile d’excellence la plus importante décernée par l’Union soviétique, pour son travail à Khatyn. Il est l’un des rares Juifs à l’avoir reçu.
Chesler, du Limmud FSU, pense que cet hommage est « l’élément le plus incroyable de toute l’histoire » du monument de Khatyn. « Clairement, cela montre que Levin avait la confiance des dirigeants communistes biélorusses, et il a utilisé cette confiance pour faire quelque chose de vraiment grand », a-t-il dit.
Simon Lewis, historien et chercheur de l’université Freie de Berlin, qui a écrit sur le monument de Khatyn, a dit à JTA que Levin avait probablement été choisi pour ce poste parce que le gouvernement lui faisait vraiment confiance pour transmettre un message monumental et patriotique.
Cela n’a pas été offensant que Levin soit un nationaliste convaincu pour faire oublier le fait qu’il soit juif, a souligné Lewis.
« Son travail montre un engagement envers la nationalité biélorusse, dans une certaine compréhension du terme »
« Il était déjà un architecte très important avant qu’il ne fasse Khatyn, a dit Lewis de Levin, et son travail montre un engagement envers la nationalité biélorusse, dans une certaine compréhension du terme. »
Levin a dirigé des projets dans Minsk qui rendent hommage à Yanka Kupala et Yakub Kolas, deux des plus grands poètes de Biélorussie.
Pour Lewis, le cas de Levin montre comment des individus juifs, qui n’étaient pas engagés dans le sionisme ou toute autre activité désapprouvée par Moscou, pouvaient être promus par le système soviétique, malgré son antisémitisme.
Après la chute du communisme, Leonid Levin a dirigé la communauté juive de Biélorussie, et a dédié la plupart de sa carrière à des projets commémorant le génocide juif.
La statue de Kaminsky, a dit Lewis, a pu être une concession faite par Moscou à la population de Biélorussie, en reconnaissance des atrocités commises contre le pays. Un tiers de sa population est morte pendant la guerre.
Pour Galina Levina, la fille de l’architecte, cette perte lie pour toujours Juifs et Biélorusses. « Il est même approprié que l’homme qui a conçu le principal monument [de commémoration] de la tragédie du peuple biélorusse soit juif », a-t-elle dit.
Aujourd’hui, des centaines de milliers d’enfants visitent chaque année le monument de Khatyn, où le dirigeant du pays, Alexander Loukachenko, prononce ses discours des jours de commémoration.
« C’est un grand honneur que mon père ait créé le site qui est responsable du principal effort d’éducation au génocide dans le pays qu’il aimant tant », a-t-elle dit.
Quand Levin est mort, il travaillait sur un mémorial pour les victimes de Maly Trostenets, un camp d’extermination où les nazis ont tué les Juifs de Minsk, qu’il n’a jamais pu terminer. A sa mort, sa fille a repris le flambeau. Le projet a été terminé en 2015.
Elle a indiqué que le monument n’était pas seulement le dernier projet de son père, mais celui qui lui était le « plus important ».
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