Le musée Wexner n’annule pas l’exposition d’une artiste palestinienne qui a semblé soutenir le Hamas
L'exposition de Jumana Manna va se poursuivre malgré ses publications sur les réseaux sociaux, alors que la fondation Wexner a coupé les ponts avec Harvard qui ne soutient pas assez Israël
JTA – Un prestigieux musée universitaire financé par le philanthrope pro-israélien Les Wexner a annoncé son intention de poursuivre l’exposition d’une artiste palestinienne auteure de messages sur les réseaux sociaux se réjouissant de l’invasion d’Israël par le Hamas, le 7 octobre dernier.
Cette décision contraste avec celle de la fondation Wexner, qui a coupé les ponts avec l’Université de Harvard car elle estime qu’elle n’a pas suffisamment soutenu Israël.
Le Wexner Center for the Arts, affilié à l’Université d’État de l’Ohio à Columbus, dans l’Ohio, a fait savoir que l’exposition en cours des œuvres de l’artiste visuelle et cinéaste Jumana Manna se poursuivrait, comme prévu, jusqu’au 30 décembre prochain.
Le centre a toutefois annulé la table ronde prévue en novembre supposée présenter Manna, en annonçant par voie de communiqué : « En raison des événements mondiaux, nous ne pensons pas que ce soit le bon moment pour avoir des conversations sur une région en guerre. » Les Wexner est le président du Conseil d’administration du musée.
Des artistes juifs tentent de convaincre le musée d’en faire plus, revenant sur les publications de Manna sur les réseaux sociaux. Une de ses publications porte le commentaire : « Vive la créativité de la résistance » au-dessus d’une image de terroristes du Hamas en route vers Israël avec un parapente, le 7 octobre, lorsque 3 000 terroristes ont envahi le territoire israélien et massacré 1 400 personnes, pour l’essentiel des civils brutalement assassinés, et fait pas moins de 240 otages. Sur une autre de ses publications, on voit un emoji au visage rieur au-dessus d’une photo d’adolescents se rendant en Israël à vélo peu de temps avant l’attaque du Hamas. Une troisième publication a semblé faire de l’ironie au sujet de la rave, près de Gaza, où le Hamas a massacré des centaines de personnes.
Manna, dont le compte Instagram est actuellement privé, a confirmé que les messages étaient les siens dans un e-mail adressé à la Jewish Telegraphic Agency, mais a déclaré qu’ils ne se réjouissaient pas de la mort de Juifs.
Elle estime qu’ils ont été sortis de leur contexte et utilisés dans le cadre d’« une campagne de trolling vindicative sur les réseaux sociaux ». Le groupe de surveillance StopAntisemitism, qui appelle l’attention sur les personnes ayant exprimé leur soutien à l’attaque du Hamas, a pointé Manna du doigt et invité ses militants à demander au musée d’annuler l’exposition.
Manna assure avoir publié « Créativité de résistance » « avant d’avoir eu connaissance de ce qui s’était passé et qui est devenu un massacre choquant, le 7 octobre dernier » et n’avoir eu pour intention que de rendre hommage à « la volonté obstinée et créative de se libérer de la captivité ». Selon elle, la publication avec l’emoji au visage rieur ne faisait pas référence aux meurtres qui allaient bientôt se dérouler, mais au « sentiment d’étonnement » des adolescents palestiniens faisant du vélo « dans les terres dont leurs grands-parents ont été expulsés ».
« Je n’approuve ni ne me réjouis du meurtre de civils, qu’ils soient Juifs, Palestiniens ou autres », a-t-elle déclaré. « Il n’a jamais été dans mon intention de banaliser la douleur ou le chagrin. »
Dans une déclaration publiée mercredi dans le journal d’art numérique Hyperallergic, Manna est revenue sur la question en répétant avoir rédigé ses premiers messages avant de savoir que des meurtres avaient eu lieu : « Au moment où j’ai publié sur Instagram, on ne savait pas encore que des centaines de personnes avaient été délibérément abattues et kidnappées. J’ai regretté mes propos lorsque les informations ont révélé l’ampleur des violences. »
Manna a également signé une lettre ouverte, publiée dans le magazine Artforum le mois dernier, qui appelait à un cessez-le-feu à Gaza sans un mot au sujet du Hamas. Le rédacteur en chef d’Artforum a été licencié la semaine dernière en raison de cette lettre, manifestement à la suite de pressions des conservateurs et collectionneurs d’art juifs et pro-israéliens.
La responsable des relations publiques du Wexner Center, Melissa Starker, a déclaré à la JTA par voie de communiqué que le musée « était un forum essentiel où les artistes partageaient des idées et où divers publics parlaient d’art et des problèmes de notre temps ».
Elle explique : « Bien que le centre soit engagé dans cette mission, il est important de comprendre que les opinions exprimées par les artistes dans leur travail leur appartiennent et ne représentent en rien les opinions du Wexner Center for the Arts, de la Wexner Center Foundation, de ses administrateurs ou de l’Université d’État de l’Ohio. Une exposition, une performance, un film, une conférence ou toute œuvre d’un artiste présentée dans le centre ne doit pas être interprété comme une approbation des publications, activités, actions ou positions de l’artiste.
Elle ajoute que l’Université d’État de l’Ohio « condamne sans exceptions tous les groupes terroristes et attaques terroristes, y compris celles perpétrées par le Hamas contre des civils israéliens, américains et autres, le week-end du 7 octobre 2023 ».
Nombreuses sont les institutions culturelles qui tentent de gérer au mieux les expositions et événements prévus, depuis l’attaque du 7 octobre dernier et la guerre qui en résulte entre Israël et le Hamas, à Gaza. Certaines ont pris le parti de ne pas donner d’écho aux expressions de soutien ou de solidarité pro-palestiniennes, s’attirant en cela la critique des membres de la communauté culturelle.
À New York, le centre culturel juif 92NY a vu plusieurs auteurs et membres de son personnel se désolidariser de sa position suite à l’annulation de la conférence d’un auteur à succès signataire d’une lettre ouverte très critique d’Israël. Toujours à New York, le Museo del Barrio a quant-à lui décidé de ne pas exposer une œuvre qu’il avait commandée et à laquelle les artistes avaient ajouté un drapeau palestinien.
Au Canada, le Musée royal de l’Ontario a modifié les déclarations des artistes accompagnant leur travail afin d’en expurger le mot « Palestine » avant de se rétracter, lorsque les artistes ont protesté.
Dans le cas du Wexner Center, la décision de poursuivre l’exposition consacrée à Manna est d’autant plus notable que l’organisation à but non lucratif créée par son président du Conseil d’administration a récemment coupé les liens avec l’Université de Harvard en raison de ce qu’elle a qualifié de manque de soutien à Israël par ses administrateurs.
Le 16 octobre dernier, la Fondation Wexner, qui a financé des programmes de leadership pour les professionnels juifs et israéliens à la Kennedy School of Government de Harvard pendant des dizaines d’années, a annoncé dans une lettre ouverte qu’elle mettait fin à son partenariat en raison de « l’échec regrettable de la direction de Harvard à prendre une position claire et sans équivoque contre le meurtre barbare de civils israéliens innocents par des terroristes ».
La doyenne de Harvard, Claudine Gay, avait en effet mis du temps à réagir à l’attaque du Hamas et plusieurs organisations étudiantes du campus avaient reproché le massacre à Israël. Gay avait fini par publier plusieurs déclarations condamnant le groupe terroriste.
Les Wexner est le président émérite du conseil d’administration de la Fondation Wexner. C’est en cette qualité qu’il a signé la lettre destinée à Harvard avec son épouse Abigail.
Le porte-parole de la Fondation Wexner n’a pas répondu aux demandes de commentaires sur ce point.
Starker a déclaré à la JTA que la fondation « n’avait aucun lien » avec le Centre des arts. Le site Internet de la fondation cite le musée, un centre hospitalier et plusieurs ONG locales, parmi les « centres d’intérêts philanthropiques de la famille Wexner », en plus de la fondation. Les Wexner est originaire de la région de Columbus.
L’artiste juive Barbara Rabkin, opposée à l’exposition de Manna en raison de ses publications sur les réseaux sociaux, a déclaré à la JTA que les Wexner devaient « encourager » leur musée « à retirer les œuvres des antisémites et reconsidérer les stratégies de financement et dénomination sur la base de ces informations, un peu comme ils l’ont fait avec Harvard ».
Rabkin pense également que le musée devrait annuler l’exposition de Manna.
« Elle a participé à la promotion et à la célébration du massacre brutal et inhumain de civils innocents par le Hamas en Israël ». « Ses publications sur les réseaux sociaux violent tout ce que l’art est censé représenter – l’élévation de l’humanité. »
L’exposition de Manna au Wexner Center, « Jumana Manna : Break, Take, Erase, Tally », est la première grande exposition aux États-Unis de l’artiste berlinoise, née à Princeton, dans le New Jersey. Elle a grandi à Jérusalem et possède la nationalité israélienne. L’exposition se compose de projections de son film de 2022 « Foragers », qui parle des cueilleurs de plantes sauvages palestiniens qui, selon la description qui en est donnée par le musée, sont « criminalisés par le gouvernement israélien au nom de la conservation de la nature ».
« Travailler avec l’équipe du Wexner Center a été un plaisir de bout en bout », confie Manna à la JTA, qui espère que la table ronde pourra être organisée à un autre moment. « Je suis triste de savoir qu’ils font l’objet de cette campagne de diffamation. »