Le Vatican peut-il faire la lumière sur ce qui est arrivé à la Menorah ?
Une exposition sur les reliques du Temple crée un précédent sur le dialogue entre le Saint-Siège et la communauté juive de Rome
ROME – C’est lors d’une rencontre historique avec le pape Jean-Paul II en 2004 que ceux qui étaient alors les grands rabbins séfarades et ashkénazes Shlomo Amar et Yona Metzger avaient fait fi de toutes bonnes manières et diplomaties et avaient demandé ce qui était arrivé à la Menorah perdue.
C’était la première visite officielle d’une autorité religieuse d’Israël au Vatican, et à l’ordre du jour figuraient de nombreux sujet religieux et politiques sensibles. Et pourtant, les rabbins ont insisté pour aborder cette délicate question.
Moins de 10 ans avant la visite pontificale d’Amar et de Metzger, en 1996, le ministre des Affaires religieuses Simon Shetreeet avait énoncé une demande similaire à Jean Paul II. Et de nouveau, en 2004, Moshe Katsav a réitéré la question.
C’est donc sans surprise que la rumeur de la Menorah soit la première chose que le grand rabbin de Rome Ricardo di Segni mentionne dans l’interview accordée au Times of Israël au sujet de l’exposition « Menorah : Cult, History and Myth », co-organisée par les musées du Vatican et le musée juif de Rome entre le 15 mai et le 23 juin.
« Quand les gens entendent parler d’une exposition commune sur la Menorah, organisée par le Vatican et le musée juif, je suis sur qu’ils se disent : ‘enfin, ils vont la sortir de leurs coffres forts’ », plaisante-t-il, tout en précisant que la légende est bien plus populaire en dehors de Rome que dans la communauté locale.

« Les juifs romains sont, par nature, des sceptiques, et abordent l’histoire avec une certaine réserve. Cependant, mon vécu me permet de dire que cette idée est tellement ancrée dans le judaïsme mondial que les aventures de la Menorah sont toujours les premières questions que l’on entend de la part des juifs venus de l’étranger », explique Di Segni.
« Les juifs romains sont, par nature, des sceptiques, et abordent l’histoire avec une certaine réserve. »
Le candélabre en or a été capturé durant le saccage du Second Temple par les Romains en 70 de l’ère commune, et l’historien Josephus écrit qu’il a été emmené à Rome et conservé dans le Temple de la Paix de Vespasien.
Selon les intellectuels, la Menorah a été perdue définitivement lors du pillage par les Wisigoths à Rome en 410, ou lors de celui des Vandales en 455.
De nombreuses légendes ont été créées quant au sort de la Menorah.
Certains disent que le candélabre a repris la route de Jérusalem, via Carthage et Constantinople, où il a été caché. D’autres prétendent qu’il a été enterré avec Alar, le roi Wisigoth, mort brusquement à la frontière italienne, près de la ville de Cosenza, après le pillage.
Au 19e siècle, il a été question de draguer le Tibre, un fleuve à Rome, qui était une autre cachette potentielle, mais sans succès.

« La Menorah s’est évaporée, malgré les milliers de légendes qui ont tenté de préserver sa tangibilité au fil des siècles » peut-on lire dans le communiqué de presse de l’exposition.
Et bien qu’elle ne fasse aucune mention explicite de la légende du Vatican, le communiqué affirme que « l’exposition abordera toutes les légendes de manière exhaustive »
Même si, rétrospectivement, cela ne semble pas plausible, la légende sur la présence de la Menorah au Vatican était autrefois alimentée par l’Église elle-même.
« Par exemple, il y a des extraits de [rumeur] dans les écrits d’un homme d’Église du Moyen-âge. Il y avait un fondement idéologique à cela. L’Église voulait se présenter comme l’héritier légal de l’Empire romain », analyse Di Segni.
Bien que les visiteurs qui espèrent apercevoir la Menorah risque d’être déçus, cette exposition, dite historique, reste très intéressante. En effet, elle marque la première coopération de ce genre entre le Vatican et la communauté juive de Rome.
« L’idée d’une initiative commune a émergé en 2013, lors d’une réunion organisée par l’ambassade d’Israël au Vatican. À cette époque, j’avais rencontré le Professeur Arnold Nesselrath, et nous avions commencé à en discuter », raconte Alessandra Di Castro, directrice des musées juifs de Rome.
Di Castro est commissaire de l’exposition avec Nesselrath, délégué du département scientifique et des laboratoires aux musées du Vatican, ainsi qu’avec l’historien de l’Art Francesco Leon,
« Quelques années auparavant, ma défunte sœur Daniela, qui était alors directrice du musée juif, avait déjà imaginé une exposition sur la Menorah à Rome, et l’idée avait été très favorablement reçue par les Musées du Vatican », raconte Di Castro.
L’exposition sera divisée en 3 sections, et 130 pièces seront exposées.
L’une de ces sections sera dédiée à l’histoire de la Menorah depuis le premier Temple jusqu’à sa disparition. La seconde sera consacrée aux mythes et à la signification culturelle et religieuse de ce symbole jusqu’au début du 20e siècle, et la troisième section explorera le dernier siècle, à la fois dans les reproductions artistiques et dans le symbole qui a été choisi pour représenter l’État d’Israël.
« Nous sommes ravis de la réaction des musées nationaux et internationaux », affirme Di Castro. Il a évoqué les prêts conséquents de la part d’institutions telles que le musée du Louvre, la London National Gallery, le musée d’Israël, le Kunsthistorisches Museum de Vienne et le Kupferstichkabinett de Berlin.
Bien sûr, l’œuvre d’art la plus célèbre sur la Menorah reste exposée à Rome sur l’Arc de Titus. Construit en l’an 81 de l’ère commune pour célébrer la victoire de l’empereur Titus contre les juifs entre 66 et 74, le monument contient un bas-relief qui représente la procession de l’armée et du butin du Temple, avec la Menorah.
Pendant presque deux millénaires, les juifs de Rome percevaient cet arc comme un symbole de la tragédie, comme une gravure de la perte de leur indépendance et de leur exil. Certains juifs ont l’habitude d’éviter de passer sous cet arc, car leurs ancêtres auraient été forcés à le faire après la destruction du Temple à Jérusalem.
L’emplacement est empreint de symboles pour les juifs de Rome : quand l’État d’Israël a déclaré son indépendance, c’est au pied de cet arc que la communauté juive a choisi de se rassembler pour marquer la fin de l’exil et pour accueillir une nouvelle ère de liberté. Pour célébrer cet évènement, ils sont passés sous l’arc, dans la direction opposée qu’avaient empruntée leurs ancêtres défaits.
Reste à savoir si la Menorah ressemblait effectivement à celle qui est représentée sur l’arc. La base octogonale est en général attribuée à une interprétation libérale d’un ancien artiste romain, parce qu’elle inclut des animaux de la mythologie étrangers à la tradition juive.
De plus, les érudits juifs s’opposent depuis toujours sur la forme des branches de la Menorah. Certains affirment qu’elles étaient incurvées, comme sur l’arc, d’autres soutiennent qu’elles étaient obliques.
Quoi qu’il en soit, la Menorah est un symbole de l’identité juive, reprise sur les pièces de monnaies, des pierres tombales, des livres et des œuvres d’art, depuis l’antiquité et jusqu’à nos jours. De même, depuis le Moyen-âge, de nombreux artistes chrétiens l’ont représentée dans leurs travaux. L’exposition aborde également cet aspect.
« Nous nous demandons souvent comment faire progresser le dialogue interconfessionnel. Cette exposition pourrait être une perspective innovante », conclut Di Segni.
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