Les avantages du désarmement du Hamas sont évidents – mais à quel prix ?
Les risques encourus par les otages et les pressions exercées sur les réservistes font partie des coûts d'une escalade militaire - et il y a aussi le soutien apporté par le président Trump, qui doit durer

Au cours des derniers jours est apparu un débat qui s’est instauré entre le cabinet israélien et l’establishment de la défense, avec des discussions qui ont été consacrées à la manière d’aborder la reprise des combats dans la bande de Gaza. Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, et le chef d’état-major de l’armée israélienne, le lieutenant-général Eyal Zamir, ont eu une altercation sur cette question lors d’une réunion du cabinet de sécurité, la semaine dernière. Zamir a affirmé que Tsahal ne devait pas endosser la responsabilité de la distribution des aides humanitaires à Gaza. De son côté, Smotrich a rétorqué : « Si vous n’en êtes pas capable, alors nous ferons appel à quelqu’un qui le sera ».
Malgré cet échange houleux, le débat semble principalement porter sur le calendrier, sur la portée et sur le rythme des opérations sur le terrain – bien plus qu’il ne concerne l’orientation générale de la guerre. Selon des informations, l’armée israélienne privilégie une approche plus progressive, cherchant à élargir graduellement son empreinte, et elle est réticente à l’idée de lancer une attaque de grande envergure (une alternative à laquelle de nombreux membres du cabinet accordent leur préférence, semble-t-il.) En dépit de tout cela, il apparaît que l’objectif global de l’offensive israélienne – prendre le contrôle total de Gaza et le conserver – soit partagé, pour l’instant tout du moins.
Il semble y avoir une nouvelle donnée dans les calculs faits par Israël – celle d’un changement d’orientation, avec un objectif qui est passé du renversement du Hamas au simple désarmement du groupe terroriste. Israël a rejeté la proposition qui avait été faite par la Ligue arabe au début du mois de mars, une proposition qui préconisait l’établissement d’un gouvernement de technocrates palestiniens qui prendraient le contrôle de l’enclave côtière. Un plan qu’Israël considère comme insuffisant, l’État juif estimant que si le groupe terroriste peut toujours ouvrir le feu, il ne se gênera pas pour le faire à Gaza et ce, même s’il n’est pas intégré officiellement au sein du gouvernement.
Les craintes sont que le Hamas puisse devenir aussi souverain que le Hezbollah était parvenu à l’être au Liban jusqu’à ce que ses chefs soient décimés par Israël, à l’automne dernier. En d’autres termes, aucune administration intérimaire, arabe ou palestinienne, ne sera en mesure de prendre le contrôle de Gaza si le Hamas compte encore environ 20 000 combattants armés.
Pour atteindre cet objectif de désarmement du Hamas, il semble qu’il existe un plan qui autoriserait Israël à asseoir son contrôle militaire durable sur Gaza à moyen-terme. Jusqu’à présent, le pays n’a pas réussi à renverser le Hamas, en partie grâce au contrôle exercé par le groupe terroriste sur la vie civile. Le Hamas se maintient au pouvoir en détournant les aides humanitaires et en les utilisant pour reconstituer ses ressources financières en baisse, en les vendant au marché noir, tout en s’attribuant le mérite de nourrir la population. Des sources proches du Premier ministre ont insisté sur le fait qu’en confiant la distribution de l’assistance humanitaire à Tsahal, Israël pourra « couper le Hamas de la population de Gaza ».
Pour ces responsables, il n’est pas réaliste d’attendre d’une administration intérimaire arabo-palestinienne qu’elle prenne le contrôle de la bande de Gaza tant que le Hamas n’aura pas été battu et pleinement vaincu. D’ici là, aucune force arabe ou palestinienne ne prendra le risque d’un affrontement armé avec le groupe terroriste. Dans l’ensemble, cela pourrait être réellement utile de veiller à ce que les terroristes du Hamas ne puissent pas retrouver leur mainmise sur Gaza et qu’ils ne menacent plus les Israéliens à l’avenir.
Le prix à payer par Israël
Le gouvernement israélien décidera de la meilleure manière de garantir la sécurité de son peuple. Toutefois, tout jugement politique nécessitera d’examiner soigneusement les coûts et les avantages potentiels, dans le but d’obtenir le meilleur résultat possible. Il faut absolument se poser la question : Quels seront ces coûts ?… Et si Israël fait le choix de privilégier l’objectif du désarmement du Hamas, alors les Israéliens devront s’engager dans cette nouvelle phase de la guerre en gardant les yeux bien ouverts sur ses conséquences possibles.
En premier lieu, il y a un risque très réel que la vie des otages restants à Gaza soit mise en péril. Netanyahu présente la pression militaire comme un bienfait sans équivalent. Toutefois, les responsables israéliens reconnaissent que parmi les 37 otages qui ont perdu la vie pendant la guerre, certains ont été involontairement tués par les frappes israéliennes. Il est donc impossible de partir du principe que les otages restants s’en sortiront vivants – d’autant plus que leur état s’est déjà détérioré, depuis un an et demi, dans les tunnels du Hamas, et que leur valeur baissera considérablement aux yeux de leurs ravisseurs s’il n’y a pas d’accord à finaliser.

En second lieu, la reprise des combats aura également de graves conséquences pour les militaires israéliens qui se trouvent sur le terrain ainsi que pour les non-combattants à Gaza. Les responsables israéliens estiment que Tsahal devra occuper la bande de Gaza pendant au moins un an, voire beaucoup plus. Ce qui augmentera de manière considérable les responsabilités des réservistes israéliens – dont un grand nombre ont servi entre 200 et 300 jours depuis le 7 octobre – dans la mesure où ils auront pour mission, entre autres, de distribuer les aides alimentaires.
Ce qui intervient à un moment où les taux, dans la réserve, sont déjà en chute libre. Alors que l’armée israélienne a officiellement fait savoir que le pourcentage des réservistes qui se présentent à l’appel est d’ores et déjà en baisse d’environ 30 %, les analystes ont avancé, de leur côté, un chiffre plus proche des 50 %. Les pétitions affirmant que cela a été une erreur d’accorder la priorité aux combats et non à la libération des otages vont probablement se multiplier de la part des réservistes. De plus, cette nouvelle série d’attaques au sein de l’enclave se déroulera dans un contexte de fractures intérieures accrues en Israël, avec des milliers de personnes qui sont descendues dans les rues pour protester contre l’échec du gouvernement à rapatrier les otages ou pour dénoncer le licenciement du chef du Shin Bet, Ronen Bar, entre autres griefs.
En ce qui concerne la population de Gaza, les responsables israéliens ont annoncé qu’ils prévoyaient d’envoyer tous les camions d’aide vers la zone humanitaire située sur la plage de Muwasi, dans le sud-ouest de la bande de Gaza, obligeant ainsi tous les Gazaouis qui étaient remontés vers le nord, pendant le cessez-le-feu, à retourner vers le sud. Israël espère créer une zone humanitaire à cet endroit pour pouvoir continuer à mener des opérations militaires dans le reste de l’enclave, et pour pouvoir assumer la responsabilité de la distribuer de l’aide alimentaire.
Néanmoins, il est loin d’être certain qu’Israël parviendra à garantir que les terroristes du Hamas soient exfiltrés de la zone. Après tout, le Hamas est une armée qui revêt son uniforme pendant le cessez-le-feu et qui le retire lors des affrontements armés. Et pourtant, les responsables israéliens insistent sur le fait qu’ils réussiront à isoler le Hamas de la population civile, sans doute encouragés par les récentes manifestations qui ont eu lieu contre le groupe terroriste dans la bande.

Il n’y a aucune garantie qu’une telle campagne sera rapide – les dix-huit derniers mois non-concluants de combats en sont la preuve. Le Hamas ne se soucie guère de sa population, de sorte que des pressions militaires accrues ne suffiront peut-être pas à convaincre les terroristes qui, jusqu’à présent, ont été prêts à assister à la destruction totale de Gaza pour en conserver le contrôle. De plus, les dix-huit derniers mois de guerre ont probablement radicalisé de nombreux civils qui accusent Israël d’avoir assumé la responsabilité de la mort de leurs proches.
Il est donc tout à fait possible qu’Israël remporte initialement des succès militaires à Gaza pour ensuite se retrouver coincé avec un contrôle militaire illimité – en faisant face à une insurrection, là aussi, sans limites. Il faut absolument garder en mémoire que le principal impact de cette nouvelle campagne intense pourrait bien être de nourrir une insurrection.
Enfin, en supposant que le gouvernement de Netanyahu ait l’intention d’intensifier les combats et d’occuper Gaza pendant une période prolongée, quel est le plan d’Israël s’agissant de s’assurer que l’État juif conservera bien le soutien des États-Unis ? Alors que le président Trump a déclaré que « l’enfer » éclaterait si le Hamas ne libérait pas les otages, il n’est pas certain que ce soit là un chèque en blanc qui permettrait à l’État juif de rester à Gaza sans aucun projet de dépôt des armes. Un point qui est d’autant plus important que Trump est connu pour son impatience dans les dossiers de guerres éternelles.
Pour que le désarmement du groupe terroriste par le biais d’une action militaire réussisse (si un tel objectif est possible), il est primordial de définir un objectif plus large pour la bande de Gaza post-Hamas. En l’absence d’un plan clair qui déterminera qui gouvernera Gaza, Israël risque de s’isoler davantage sur la scène internationale. Définir l’objectif du désarmement comme moyen d’ouvrir la voie à un avenir où l’enclave serait gouvernée par des Arabes – et non par les Israéliens – donnerait aux visées actuelles d’Israël une plus grande légitimité aux yeux du monde.
Le Liban est un bon exemple : Les premiers signes d’un désarmement réussi du groupe terroriste soutenu par l’Iran au sud-Liban sont en train de faire leur apparition – mais un tel phénomène peut aujourd’hui être constaté parce que la guerre avec Israël a été suivie d’actions légitimes du gouvernement de Beyrouth à l’encontre d’un groupe qui, selon lui, avait pris le pays en otage depuis des décennies.
De la même manière, Israël devrait aujourd’hui se fixer l’objectif de remettre Gaza entre les mains d’une sorte de coalition gouvernementale arabe lorsque les armes se seront tues. Ce qui refléterait également un but plus large, celui de faire comprendre qu’Israël ne cherche pas à annexer ou à occuper Gaza, d’autant plus que de nombreux Israéliens considèrent le maintien d’une présence juive à Gaza comme un handicap plutôt que comme un atout.
Plus précisément, il pourrait être utile que l’Autorité palestinienne fasse son retour à Gaza. Israël pourrait conditionner le retour de l’Autorité palestinienne à Gaza à une réforme de cette dernière, voire à une collaboration avec les États arabes du Golfe, comme les Émirats arabes unis, dont le système éducatif comporte des programmes de lutte contre la radicalisation.
Jusqu’à présent, Israël n’est pas disposé à accepter la présence de l’Autorité palestinienne à Gaza. Toutefois, le gouvernement de Netanyahu n’a pas été en mesure d’élaborer une stratégie pour le « jour d’après », ses membres de la droite dure cherchant à exercer un contrôle illimité sur la bande de Gaza et ce, malgré l’opposition de l’establishment de la défense à cette perspective.
Alors que les négociations sur les otages sont actuellement dans l’impasse, Israël intensifie déjà ses attaques à Gaza et les perspectives d’une escalade significative augmentent. Le gouvernement de Netanyahu privilégie clairement la défaite du Hamas sur le champ de bataille par rapport à d’autres objectifs et il prendra ses décisions en conséquence. Toutefois, pour obtenir un large soutien, Israël doit montrer que le pays a soigneusement évalué ses options. Si Israël choisit de reprendre l’offensive, alors il faut réfléchir sérieusement à la manière de le faire sans s’enliser dans une occupation militaire israélienne à durée indéterminée, sans se trouver confronté à une insurrection et sans s’aliéner le président Trump.
Netanyahu s’enorgueillit depuis longtemps de sa capacité à convaincre le public israélien. Pourtant, un véritable leadership exige qu’il soit aussi explicite sur les risques redoutables qui l’attendent que sur les avantages escomptés d’un retour à la guerre.
——-
David Makovsky travaille à l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient, où il dirige le projet Koret sur les relations israélo-arabes. Il a travaillé au cabinet du secrétaire d’État en 2013-2014 en tant que conseiller sur les négociations israélo-palestiniennes et il est professeur-adjoint d’études sur le Moyen-Orient à l’École des hautes études internationales (SAIS) de l’université Johns Hopkins depuis 2000. Il anime le podcast Decision Points, qui se concentre sur Israël, les États-Unis, le Moyen-Orient et la guerre actuelle.
Simone Saidmehr est assistante de recherche pour le projet Koret sur les relations israélo-arabes à l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel