« Les couturières d’Auschwitz », ou quand la mode s’est infiltrée au camp de la mort
Lucy Adlington explore le quotidien du camp et de ces prisonnières, mais aussi l’évolution de l’habillement durant la guerre et la fascination des nazis pour le chic
Survivre à Auschwitz en travaillant dans l’atelier de haute couture du camp : telle est la trame narrative du livre Les couturières d’Auschwitz : Une maison de haute couture au cœur d’un camp de la mort de Lucy Adlington, paru en mars dernier en français aux éditions Payot.
Dans cet ouvrage, dont des extraits sont disponibles sur Amazon, l’auteure britannique et historienne de l’habillement raconte comment des jeunes femmes en majorité juives et slovaques se sont retrouvées à confectionner des vêtements de luxe pour Edwig Höss, l’épouse du commandant du camp, qui voulait de la main-d’œuvre gratuite, et pour d’autres femmes de SS – y compris dans l’élite berlinoise.
Lucy Adlington explore ainsi le quotidien du camp et de ces prisonnières, mais aussi l’évolution de l’habillement durant la guerre et la fascination des nazis pour le chic, ou quand l’enfer concentrationnaire rencontre l’existence dorée des geôliers.
Elle livre aussi une enquête sur la façon par laquelle « l’aryanisation économique » a déstabilisé le secteur textile, pas seulement en Allemagne, et comment la récupération des affaires de déportés est devenue une véritable industrie de reconditionnement, au point qu’une vingtaine de trains remplis d’effets personnels repartaient quotidiennement d’Auschwitz.
Cet aspect de la Shoah est ainsi rare et peu documenté, faisant du livre un texte précieux.
En 2017, Lucy Adlington avait publié Le Ruban Rouge, un roman jeunesse qui mettait en situation de jeunes couturières adolescentes forcées de créer des vêtements pour les officiers d’un camp dont elles sont prisonnières.
Alors que ce livre de fiction a connu un succès et s’est vendu à des milliers d’exemplaires, traduits dans de nombreuses langues, peu savaient que l’histoire narrée était vraie. C’est ainsi qu’elle a décidé d’écrire Les Couturières d’Auschwitz, pour revenir de façon documentée sur cette sombre page de l’histoire. Pour l’écrire, elle a notamment pu bénéficier du précieux témoignage de Berta Berkovich Kohút, dernière survivante de l’atelier de haute-couture d’Auschwitz-Birkenau, décédée en 2021.
« Il était important de dire la vérité. Ce n’est pas qu’une histoire parmi d’autres », a expliqué Lucy Adlington au magazine Marie Claire. « J’ai ressenti tellement d’amour pour ces jeunes femmes, leur amitié et leur courage… Mais j’étais tellement en colère que cela soit arrivé à cause de la cupidité et du racisme. J’ai appris à connaître ces femmes autant que possible en tant que biographe et elles méritent d’avoir une voix, un visage et un nom. Même si elles n’ont pas travaillé dans les grandes maisons de couture à Paris, elles méritent que leur histoire soit racontée. »
« Dans tous les territoires occupés par les nazis, il y avait de la mode, même pour les Juifs », explique-t-elle. « Partout où les gens étaient sous occupation étrangère et opprimés, ils utilisaient les vêtements pour montrer leur indépendance et leur défiance. Parfois lorsque de nouveaux trains arrivaient à Auschwitz, les femmes se rassemblaient pour observer ce qui était à la mode en dehors du camp, quel est l’ourlet, la couleur du moment. Les prisonniers qui le pouvaient essayaient de trouver des moyens d’améliorer l’apparence de leurs vêtements afin qu’ils puissent garder une forme d’identité et de dignité. De minuscules détails comme un bouton ou un ruban, représentaient pour eux le monde perdu qu’ils espéraient retrouver à nouveau. Parce que la mode peut être joie et vie. »