Les dessous de la requalification du meurtre de Sarah Halimi en acte antisémite
Comment le parquet et l'avocat des enfants de Sarah Halimi ont bataillé face à la juge d'instruction pour aboutir à ce retournement inattendu
La juge d’instruction en charge de l’enquête sur le meurtre de Sarah Halimi, survenu à Paris le 3 avril 2017, a retenu le 27 février dernier le caractère antisémite du crime, réclamé de longue date par le parquet et les parties civiles.
C’était la deuxième fois que la juge entendait mardi Kobili Traoré, 28 ans, hospitalisé depuis qu’il a roué de coups et défenestré sa voisine juive en avril 2017, au cours d’une « bouffée délirante » probablement provoquée par une forte consommation quotidienne de cannabis, selon l’expertise psychiatrique.
Me Alex Buchinger, avocat des trois enfants de Sarah Halmi, présente sa version de la bataille serrée l’ayant opposé à la juge d’instruction, et à l’origine de ce revirement inattendu.
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Times of Israël : Après 11 mois passés à réclamer la reconnaissance du caractère antisémite du meurtre de Sarah Halimi, la justice revient sur ses premières conclusions. Quel est votre sentiment ?
Me Alex Buchinger : J’éprouve un sentiment de satisfaction. Je le partage avec les trois enfants de Sarah Halimi que je représente. Cela fait maintenant onze mois qu’ils étaient dans l’attente de l’évidence, à savoir le caractère antisémite de son assassinat. J’ai eu les trois enfants, et son frère William qui est défendu par un confrère, ils sont satisfaits.
Cela ne ramènera pas leur sœur, mais c’est une petite consolation que la vérité soit enfin reconnue.
Lorsque l’on reprend les témoignages des voisins ameutés par les cris et les hurlements, et qui ont témoigné de ce qu’ils ont vu, quand il la traite de Sheitan [satan en arabe], lorsqu’il crie Allah Akbar, et qu’il alterne les coups et les sourates du Coran, il devient évident qu’il s’agit d’antisémitisme.
Pourquoi constate-t-on un tel délai entre la remise du rapport de l’expert-psychiatre et la requalification de la motivation en crime antisémite ?
Le rapport est arrivé le 2 septembre 2017. L’expert psychiatrique y a qualifié l’acte de délirant et d’antisémite. Il a parlé de bouffées délirantes, ce qui est vrai, en précisant que la responsabilité pénale était atténué, mais pas abolie au moment de la séquestration de l’assassinat.
La preuve c’est que, voyant les gens agglutinés dans la cour, il a tenté de simuler le suicide de Sarah Halimi en criant « une femme va se suicider ! ». L’expert a eu une bonne appréciation en parlant de responsabilité pénale. Il va donc y avoir un renvoi en cour d’assises.
Sans parler de la qualification d’acte antisémite, les premières qualifications de la mise en examen du 10 juillet 2017 par la juge d’instruction ont-elles posé problème ?
A cette date, la juge d’instruction a prononcé la mise en examen pour séquestration, non pas de Sarah Halimi, mais pour celle de la famille Diara. Cette famille habite l’immeuble voisin, c’est chez eux que Traoré s’est présenté en pleine nuit pour atteindre le balcon de Sarah Halimi.
Premier étonnement : pourquoi la juge ne parle-t-elle pas de la séquestration de Sarah Halimi à ce moment là ?
Deuxième interrogation : pourquoi les actes de tortures et de barbaries n’ont-ils pas été immédiatement retenus, alors qu’ils ont été constatés par une quinzaine de témoins au moins. Il y a même des voisines musulmanes qui ont reconnu quelle sourates a récité le meurtrier, et qui ont crié à Sarah Halimi « tenez bon, la police arrive ».
Quelles ont été les étapes menant à cette qualification tardive du caractère antisémite de l’acte de Kobili Traoré ?
Le 20 septembre 2017, le procureur de la République, c’est-à-dire le parquet, a demandé une première fois cette requalification, reconnaissant de façon claire le caractère antisémite du crime. Il a demandé à la juge d’instruction de procéder à une mise en examen supplétive de ce chef d’accusation.
Dans l’article 132-76, il est prévu des aggravations extrêmement sévères des peines, qui sont parfois doublées si le caractère raciste ou antisémite du crime est reconnu. Lorsque la peine initiale prévue est de 30 ans par exemple, elle devient une peine à perpétuité, de 20 ans on passe à 30 ans, et ainsi de suite.
Au début des années 2000, l’intifada a été importée en France dans le déni des autorités. On se souvient du ministre de l’Intérieur de l’époque Daniel Vaillant qui parlait alors de « délinquance ordinaire ».
Mais en 2003, deux parlementaires Jacques Barrot et Pierre Lellouche ont présenté un projet de loi qui ont prévu ses aggravations, et qui a été traduit dans le code pénal par l’article 132-76.
Aujourd’hui la logique voudrait que l’on applique cet article chaque fois qu’un acte est commis avec une intention antisémite ou raciste. Et, comme qui peut le plus peut le moins, le juge peut au cours de son instruction revenir sur ces qualifications si le caractère raciste ou antisémite n’est pas avéré par les faits.
Mais du coté de cette juge d’instruction, nous les parties civiles, avons ressenti un veritable déni. La preuve, c’est que lorsque le procureur de la république de Paris a déposé son réquisitoire supplétif demandant au juge de retenir la qualification d’acte antisémite, il est prévu un délai de réponse de cinq jours pour ce faire. Ou chose exceptionnelle, il peut refuser de le suivre. Dans ce cas, il doit rendre une ordonnance de refus motivé. Mais la juge d’instruction n’a ni suivi le réquisitoire du procureur de la République, ni fourni les motivations de ce refus, ça a été le mur du silence.
Un juge d’instruction n’est-il pas tenu de répondre au Parquet ?
Non, car le juge d’instruction est indépendant. Comme disait Napoléon c’est l’homme le plus puissant de France. Malgré tout, si l’on n’est pas satisfait, on peut saisir la chambre d’instruction.
Le 11 décembre, j’ai donc déposé sur le bureau de la juge une demande d’actes, et une demande de reconstitution des événements de cette nuit tragique. J’ai demandé à mon tour de requalifier l’acte, non seulement en un acte antisémite, mais aussi comme un assassinat précédé d’actes de tortures et de barbarie.
Normalement c’est au procureur de faire ces demandes, mais j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes. Elle n’a pas davantage réagi. Au bout d’un mois je n’avais toujours pas obtenu pas de réponse.
J’ai donc saisi le président de la chambre d’instruction de Paris d’une requête aux fins de motivation de ma demande d’acte d’instruction par la chambre d’instruction.
En d’autres termes, mon objectif était de déplacer le pouvoir de decision détenu par la juge à la juridiction d’appel qui est la chambre d’instruction.
Suite à cela la juge, à la mi-janvier, s’est enfin résignée à rendre une ordonnance. Mais de refus d’instruire car le meurtrier avait reconnu les faits.
Dès le lendemain, j’ai interjeté l’appel de cette ordonnance. De son côté, le procureur de Paris a fait appel.
Dans les semaines à venir il était donc prévu que la juge se présente devant la chambre d’instruction, face à trois magistrats, pour un mini-procès à l’issue duquel la cour rend un arrêt motivé.
Et là, coup de théâtre, la juge d’instruction décide il y a très peu de temps de refaire un interrogatoire sur le fond avec le meurtrier. A l’issue de celui-ci elle procède à une mise en examen supplétive pour la circonstance aggravante d’antisémitisme. Consciente que cette affaire allait être évoquée, elle a certainement pensé qu’il valait mieux procéder ainsi.
Quel regard portez-vous sur cette année de bataille judiciaire ?
Je côtoie la juge d’instruction depuis onze mois. Les relations n’ont pas été faciles, c’est le moins que l’on puisse dire.
Peut-être a-t-elle du mal à admettre que l’on puise faire le distinguo entre un homicide volontaire avec et sans motivations antisémites. Peut-être n’apprécie-t-elle pas cette procédure entrée dans le code pénal ?
Néanmoins cette bataille semble avoir eu quelques résultats positifs hors le cadre de ce procès. A Sarcelles, (le 31 janvier-Ndlr) le Premier ministre Edouard Philippe a évoqué une nouvelle loi qui permettrait aux victime d’actes racistes, antisémites, homophobes ou sexistes, de déposer plainte en qualifiant eux-mêmes l’acte dont ils ont été victimes.
Et ce, sans à avoir à attendre le bon vouloir du juge d’instruction, de la même manière que la justice procède en Angleterre. Et quitte au juge, si les faits ne sont pas prouvés, de revenir sur cette qualification ensuite.
Je pense que cette affaire Halimi, ces mois d’atermoiements pour faire reconnaître l’evidence, a du beaucoup jouer dans cette proposition de loi. On s’est rendu compte au niveau politique qu’il n’est plus possible que l’on doive se battre de la sorte pour faire reconnaître l’evidence.
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