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Interview

« Les Houthis sont cinglés », un militant yéménite explique, de Tel Aviv, le conflit actuel

Luai Ahmed, qui a fui le Yémen pour la Suède après la prise de pouvoir des Houthis, milite contre le fondamentalisme islamique et depuis le 7 octobre, contre l'antisémitisme

L'activiste et journaliste yéménite et suédois Luai Ahmed à Tel Aviv, le 25 décembre 2024. (Crédit : Gianluca Pacchiani/Times of Israel)
L'activiste et journaliste yéménite et suédois Luai Ahmed à Tel Aviv, le 25 décembre 2024. (Crédit : Gianluca Pacchiani/Times of Israel)

Luai Ahmed, militant yéménite de 31 ans installé en Suède, est devenu une sorte de célébrité en Israël. Lorsqu’il s’installe pour cet entretien dans un café de Tel Aviv, une femme attablée à proximité attire son attention en lui montrant l’écran de son téléphone et s’exclame : « Je regardais justement l’une de vos vidéos ! ».
Un selfie incontournable s’ensuit.

La notoriété d’Ahmed provient de son activité prolifique sur les réseaux sociaux en faveur de l’État hébreu après le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023. Depuis, Son compte X a enregistré plus de 190 000 nouveaux followers, et plusieurs de ses vidéos sont devenues virales.

L’une d’elles, datant d’octobre 2024, où il échange avec des étudiants américains sur la guerre à Gaza tout en portant la tenue traditionnelle yéménite, a été visionnée deux millions de fois sur X.

Ahmed a quitté le Yémen en 2014, peu après que les Houthis, un groupe ethno-religieux extrémiste du nord du pays, affilié à l’islam chiite et soutenu par l’Iran, ont pris le contrôle de la capitale, Sanaa. Ce groupe a détourné à son profit la révolution pro-démocratique issue du printemps arabe de 2011, renversé le gouvernement et consolidé son emprise sur la ville.

Aujourd’hui, les Houthis dominent le nord-ouest du Yémen, contrôlant environ un tiers du territoire et deux tiers des 34 millions d’habitants. Désignés comme groupe terroriste par de nombreux pays occidentaux, ils ont isolé le Yémen sur la scène internationale, empêchant le commerce avec la majeure partie du monde et limitant l’accès à l’aide humanitaire.

Déjà parmi les pays les plus pauvres et les moins développés avant le coup d’État de 2014, le Yémen semble désormais pris dans une spirale sans fin de pauvreté et d’isolement.

Peu soucieux des souffrances des civils sous leur contrôle, les Houthis lancent depuis des mois des missiles et des drones sur Israël, affirmant agir en soutien à Gaza où la guerre contre le Hamas est toujours en cours. Récemment, ils ont intensifié leurs attaques, menant cinq bombardements nocturnes sur le centre d’Israël en huit jours. Jeudi, Tsahal a riposté par une série de frappes aériennes au Yémen, ciblant des infrastructures utilisées par les Houthis, notamment l’aéroport international de Sanaa, après plusieurs opérations similaires dans la région.

Depuis qu’il a fui Sanaa en 2014, Ahmed, ouvertement homosexuel, a obtenu le statut de réfugié en Suède, où il a ensuite acquis la nationalité suédoise. Sa famille vit toujours entre le Yémen et l’Égypte, tandis que sa mère, Amal Basha, est reconnue comme l’une des principales militantes pour les droits des femmes au Yémen.

Installé en Suède, Ahmed s’est lancé sa carrière journalistique en écrivant pour une publication locale sur l’extrémisme islamique, les droits des LGBTQ et les défis d’intégration des migrants musulmans dans la société suédoise.

Après le pogrom du 7 octobre, Ahmed a été profondément choqué par les célébrations de certains amis et membres de sa famille à l’annonce du massacre, au cours duquel plus de 1 200 personnes, en majorité des civils, ont été tuées dans le sud d’Israël, et 251 personnes kidnappées. C’est là qu’il a décidé de produire de courtes vidéos dénonçant la violence islamiste et l’antisémitisme.

Son contenu a attiré l’attention d’organisations pro-Israël. L’une d’entre elles, Sharaka, une organisation à but non lucratif promouvant les échanges entre Israël et le monde arabe, l’a invité en Israël, où il est devenu un visiteur régulier.

Plus récemment, Ahmed a entamé une collaboration avec Builders of the Middle East, une initiative à but non lucratif sur les réseaux sociaux visant à promouvoir la tolérance et le dialogue dans la région.

Lors de ses fréquents échanges avec les Israéliens, Ahmed a appris à apprécier la spontanéité et la chaleur typiquement moyen-orientales avec lesquelles les gens l’abordent.

« Venant de Scandinavie, où la culture est si froide et où les gens sont un peu comme des momies, Israël me semble très familier. Je taquine souvent mes amis juifs en leur disant qu’au fond, ils sont ‘des Arabes d’une autre religion’, et je le mentionne dans beaucoup de mes vidéos. Les Arabes et les Juifs sont des cousins, voire des frères et sœurs. »

Le militant et journaliste à la double nationalité yéménite et suédoise Luai Ahmed pose pour un selfie avec une fan, Hagit Yerushalmi, à Tel Aviv, le 25 décembre 2024. (Crédit : Gianluca Pacchiani/Times of Israel)

Dans une interview accordée au Times of Israel mercredi, Ahmed a raconté sa vie au Yémen avant la prise de pouvoir des Houthis, l’escalade actuelle avec Israël et ses efforts pour expliquer l’État juif au monde.

L’entretien a été légèrement édité à des fins de clarté et de concision.

The Times of Israel : Tôt ce matin, vous et des millions d’autres personnes dans le centre d’Israël ont été réveillés par des sirènes déclenchées par un missile balistique tiré par les Houthis – la deuxième nuit consécutive et la quatrième en moins d’une semaine. Pardonnez le sarcasme, mais en tant que Yéménite à Tel Aviv, avez-vous eu l’impression de recevoir un « souvenir » de chez vous ?

Luai Ahmed : [rires] Mes amis israéliens se moquent toujours de moi. Ils me disent : « Vous, les Yéménites, vous nous avez encore réveillés ».

Il me semble que les Houthis sont devenus un peu une blague en Israël ; pendant longtemps, les gens les ont sous-estimés. Mais pour les Yéménites, il n’y a pas de quoi rire.

Leur objectif principal est de détruire Israël. La mort et la destruction sont leur devise.

[La bannière officielle des Houthis proclame : « Dieu est le plus grand — Mort à l’Amérique — Mort à Israël — Malédiction sur les Juifs — Victoire de l’islam. »]

Des Yéménites brandissant des fusils se rassemblent à Sanaa, la capitale dirigée par les Houthis, en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, le 5 juillet 2024. (Crédit : Mohammed Huwais/AFP)

La semaine dernière, j’ai réalisé une vidéo adressée directement aux Houthis, soulignant comment ils ont trahi le printemps arabe de 2011, en le transformant en une révolution islamique qui a plongé le Yémen dans la pauvreté et l’a isolé sur la scène internationale. Mon message était simple : aujourd’hui, vous attaquez Israël, mais bientôt, Israël ripostera, et vous en subirez les conséquences. Regardez où en est Gaza en ce moment. Vous voulez transformer le Yémen en [un autre] Gaza ?

Des millions d’enfants yéménites souffrent de malnutrition et vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les gens n’ont pas d’argent, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Au lieu de se soucier du bien-être des plus vulnérables, les Houthis distribuent les ressources aux Hachémites, les descendants du prophète Mahomet, et le reste est utilisé pour lancer des roquettes sur Israël afin de tuer des juifs. En quoi cela va-t-il aider le Yémen ? Mais pour eux, il s’agit d’une guerre de religion.

[En 2020, le gouvernement houthi a adopté une loi fondée sur une interprétation singulière de la jurisprudence islamique qui imposait une taxe de 20 % sur les activités économiques liées à l’extraction de ressources naturelles, comme la pêche et l’exploitation minière. Les fonds collectés ont été redirigés vers les Hachémites, les descendants du prophète Mahomet, qui constituent une petite partie de la population et incluent les dirigeants houthis. La mère d’Ahmed étant elle-même hachémite, cela lui a permis de bénéficier d’une certaine immunité dans ses activités militantes pour les droits des femmes.]

D’où vient alors leur obsession pour Israël ? Est-ce uniquement une question de ferveur religieuse ?

Je dis souvent que les deux « religions » du Yémen sont l’islam et la Palestine. Cela remonte à bien avant la prise de pouvoir des Houthis. Quand j’étais enfant, le drapeau palestinien était omniprésent : dans les magasins, les restaurants, partout. On voyait des pancartes appelant à sauver nos frères et sœurs palestiniens, des images de femmes en hijab pleurant avec leurs bébés.

C’est profondément ancré dans la psychologie des Yéménites. Leur haine ne se résume pas à une motivation religieuse.

La plupart des Yéménites ne soutiennent pas les Houthis, car ils ont pris le pouvoir par la force et ont considérablement détérioré les conditions de vie. Mais depuis le début de la guerre à Gaza, leur base de soutien s’est élargie, car ils attaquent Israël. Les Yéménites peuvent encore voir les Houthis comme une organisation terroriste archaïque qui a accédé au pouvoir par un coup d’État, mais ils les perçoivent aussi comme ceux qui affrontent les « méchants Juifs » et, de ce fait, les considèrent comme la fierté du Yémen.

Je vois trois raisons à leur obsession pour Israël.

Premièrement, ils n’ont rien d’autre à offrir. Ils n’ont rien construit en matière d’infrastructures et sont incapables de développer le pays de quelque manière que ce soit. Leur seule « réalisation » est cette guerre de religion. Ils savent qu’en la menant, ils gagnent l’admiration d’une grande partie du monde arabe, toujours obsédé par la Palestine.

Deuxièmement, il y a l’antisémitisme profondément enraciné dans notre société. Je vais vous donner deux exemples.

Près de la ville de Taiz, où vivait ma grand-mère, il y avait un ancien village juif abandonné après le départ des Juifs du Yémen. Les gens étant persuadés que des esprits juifs maléfiques hantaient encore la région, on nous avait interdit de nous approcher de ce village.

Je me souviens qu’à Sanaa, lorsque j’étais enfant, nous récitions des prières à la mosquée après chaque office et qu’à la fin de chaque prière, nous récitions une série de supplications à Dieu, dont, « Qu’Allah détruise Israël, tue les Juifs, fasse des sionistes des orphelins ». Pour nous, enfants, ces mots semblaient tout à fait normaux.

La troisième raison est que les Houthis sont tout simplement cinglés. Il s’agit d’un groupe religieux extrémiste prêt à sacrifier le Yémen tout entier pour les Palestiniens et pour la destruction d’Israël, même s’ils n’ont jamais rencontré de Palestinien et ne savent rien d’Israël.

Des Houthis brandissant leurs mitrailleuses lors d’un rassemblement anti-américain et anti-Israël, à Sanaa, au Yémen, le 1er novembre 2024. (Crédit : Osamah Abdulrahman/AP)

Comment s’est passée votre enfance au Yémen en tant qu’homosexuel ?

Je savais qui j’étais, mais je le cachais. Je résumerai l’attitude culturelle à l’égard des homosexuels par une anecdote. À l’âge de 16 ans, avant que les Houthis ne prennent le pouvoir, j’ai demandé à un Yéménite ce qu’il pensait des homosexuels. Nous étions assis dans un bus et il tenait un pistolet – tous les Yéménites en ont un. Je lui ai dit que j’avais un ami homosexuel et je lui ai demandé ce que je devais faire de lui. Il m’a tendu son arme et m’a dit, « prends ce pistolet et tue-le ».

Lorsque j’ai déménagé en Suède, j’ai eu du mal à expliquer ces complexités aux Suédois. Vous ne pouvez pas accueillir dans votre pays quelqu’un du Moyen-Orient et vous attendre à ce qu’il adhère aux droits des homosexuels et aux droits des femmes. J’ai beaucoup écrit sur ces questions. J’aime la Suède et je veux la sauver, sauver l’Europe.

Comment est né votre militantisme en faveur d’Israël ?

Le premier Israélien que j’ai rencontré habitait en Suède. Un jour, je me trouvais dans une pièce remplie de blonds dans un campus universitaire, quand est entrée une personne qui me ressemblait un peu. Je suis allée vers lui et me suis présentée, et il m’a dit qu’il était « Tal d’Israël ». Ma réaction immédiate a été physique : je suis tombé dans les pommes.

Tal m’a dit qu’il savait cuisiner des plats yéménites et qu’il me préparerait un jachnun [un mets traditionnel yéménite consommé par les Juifs yéménites le Shabbat].  J’étais persuadée qu’il me détestait, qu’il n’était qu’un Juif manipulateur qui essayai de gagner ma confiance pour ensuite aller dire aux Suédois que j’étais un terroriste musulman. Mais il ne l’a pas fait. Pour faire court, six mois plus tard, c’était devenu ma personne préférée dans le campus.

Après le 7 octobre, j’ai été profondément désillusionné en voyant ma famille et mes amis faire l’éloge du Hamas en les qualifiant de combattants de la liberté.  C’est alors que j’ai commencé à publier des vidéos sur mes réseaux sociaux, dans lesquelles je posais la question : « Comment pouvez-vous célébrer ou excuser l’assassinat d’êtres humains innocents ? ». Critiquer le gouvernement israélien est une chose, mais cela, c’était tout autre chose.

Toutefois, mon contenu ne correspond pas à la hasbara [diplomatie publique pro-Israël] typique. J’ai déjà fait des vidéos dans lesquelles je disais que j’étais heureux que la Suède reconnaisse l’État de Palestine, et j’ai eu beaucoup de réactions négatives. Mon argument était le suivant : il doit y avoir un État palestinien, mais pour y parvenir, nous devons déradicaliser les mosquées et les écoles afin que la cause palestinienne se concentre sur la création d’un État pour les Palestiniens, et non sur la destruction d’Israël.

J’ai également réalisé une vidéo sur un voyage dans la ville bédouine de Rahat, dans le sud d’Israël, où j’ai interviewé des habitants qui critiquaient Israël pour la discrimination dont ils sont victimes dans la société israélienne. Beaucoup de mes followers m’ont dit que je n’aurais pas dû les laisser dire cela. Mais les vidéos que je réalise avec Builders of the Middle East ne sont pas de la hasbara ; elles visent à offrir des points de vue différents.

Le militant et journaliste yéméno-suédois Luai Ahmed à Tel Aviv, le 25 décembre 2024. (Crédit : Gianluca Pacchiani/Times of Israel)

Gardez-vous l’espoir de voir un jour la paix régner au Proche-Orient ?

Ce que j’essaie d’expliquer aux Israéliens et aux Juifs au sujet des Houthis, des Yéménites et des Palestiniens, c’est que nous sommes conditionnés, dès l’enfance, à haïr les Israéliens et d’autres groupes. Ce lavage de cerveau commence dans les écoles et les mosquées.

Je pense qu’Israël devrait s’efforcer d’améliorer ses relations avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Être accepté par les principaux acteurs de la région est essentiel.

Ces dernières années, ces deux pays ont montré l’exemple que le reste du Moyen-Orient devrait suivre : ils ont supprimé des manuels scolaires tous les contenus antisémites qui figurent dans les manuels scolaires, et ils ont entrepris de lutter contre l’extrémisme qui gangrène les écoles et les mosquées.

Aujourd’hui, dans les mosquées de ces pays, les imams reçoivent un script précis pour leurs prêches du vendredi, centré sur des messages d’amour, de coexistence et sur la beauté de l’islam. Si un imam prononce un mot en dehors du script, il risque d’aller en prison. C’est une forme de dictature éclairée, mais c’est exactement ce dont nous avons besoin. C’est le seul moyen d’éliminer la toxicité qui a envahi la région et l’esprit des gens.

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