Les Israéliens pleurent Peres, mais pas les Palestiniens
Les Israéliens évoquent un homme de paix tandis les Palestiniens parlent d'un "criminel, un boucher"

Les Israéliens se sont réveillés mercredi en deuil, avec le sentiment d’avoir perdu un proche en la personne de Shimon Peres, qui avait incarné jusqu’à ses 93 ans l’histoire et la continuité de l’Etat d’Israël.
Chez les Palestiniens, les avis étaient également unanimes, mais diamétralement opposés, en un effet de miroirs reflétant des décennies d’hostilité. Il était « un criminel de guerre » et l’homme des « massacres » aux yeux des passants interrogés par l’AFP.
Le peuple israélien se prépare à se recueillir sur la dépouille de Shimon Peres et à recevoir les dirigeants de la planète aux obsèques du prix Nobel de la paix et ancien président, figure historique décédée mercredi à 93 ans.
La vague d’émotion qui a déferlé sur Israël se prolongera jeudi quand le corps de M. Peres sera exposé pendant 12 heures à l’extérieur du Parlement à Jérusalem pour que les Israéliens disent adieu à celui que tout le monde appelait Shimon.
Le lendemain matin, les grands de ce monde se réuniront au cimetière national du mont Herzl pour mettre en terre celui que beaucoup décrivaient comme leur ami et dont ils ont salué mercredi la vision, le courage ou la ténacité dans la recherche de la paix. La convergence de ces personnalités promet à Israël un casse-tête d’organisation, de diplomatie et de sécurité.
Les drapeaux israéliens ornant les bâtiments officiels et les missions diplomatiques israéliennes dans le monde seront mis en berne à partir de jeudi matin.
הדגלים ברחבת הכנסת הורדו לחצי התורן; היו"ר אדלשטיין: הייתי אופטימי בביקורו, משוכנע שישב כמו תמיד במליאה בפתיחת המושב https://t.co/ekwsaLor0b pic.twitter.com/vka4qGovOy
— הכנסת (@KnessetIL) September 28, 2016
Dans le centre de Tel-Aviv, les larmes aux yeux, Liora Levy, une Israélienne d’une cinquantaine d’années, disait aller au travail le coeur lourd. « C’était un des meilleurs. C’est un jour terrible, un jour de peine, un jour de deuil », souffle-t-elle.
Mais ce deuil, les Israéliens le vivent sans démonstrations de douleur excessive, sans bougies ni rassemblements de militants politiques comme lors de l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin en 1995. Ils s’y étaient préparés, disent-ils, à travers les nombreuses « fausses alertes » données à chacune de ses hospitalisations cette année.
A la radio et à la télévision, les programmes se sont interrompus, alternant éditions spéciales et images d’archives des années 1950, sur fond de musiques composées dans les kibboutz ou par les « pionniers », arrivés à la création de l’Etat d’Israël en 1948. Avec elles, les Israéliens se replongent dans leur histoire, dont un pan disparait avec la mort du dernier fondateur encore en vie de l’Etat hébreu.
‘Envoyé du ciel’
« Je me sens très mal. C’était quelqu’un qui nous avait été envoyé du ciel, un très, très grand homme, qui nous faisait nous sentir grands aussi », confie Kalman Belhassan, un octogénaire qui traverse la place Rabin à Tel-Aviv.
Sur cette même place, une institutrice en sortie scolaire improvise un cours sur Shimon Peres : ministre des affaires étrangères, Premier ministre, Prix Nobel de la Paix, président et retraité très actif, fan de technologie qui avait récemment rejoint le réseau social Instagram et Snapchat.
Son parcours avait fait de lui « un exemple de vie », affirme Chemi Weber. « Dans la vie j’ai eu deux exemples : mon père et Shimon Peres, c’était un héros », explique à l’AFP ce professeur de yoga qui envisage de se rendre jeudi à Jérusalem, où le cercueil du dirigeant défunt sera exposé sur le parvis du Parlement israélien.
Mercredi, personne en Israël ne disait du mal de Shimon Peres qui était pourtant, tout comme Yitzhak Rabin à l’époque de sa mort, l’objet d’un vif ressentiment de la part de la droite nationaliste qui lui reprochait les accords d’Oslo signés avec les Palestiniens.
« Je viens d’une famille de droite, donc d’un parti complètement différent du sien, mais je le respectais. C’est quelqu’un qui a fait beaucoup pour Israël, une personnalité hors du commun », affirme Emmanuel Kipnisch, qui vit à Tel-Aviv.
« Un criminel, un boucher »
En revanche, dans les Territoires palestiniens, à Ramallah ou Gaza, personne n’en a dit du bien. Pour Hossam Qiblaoui, commerçant de 52 ans, comme d’autres, Peres était « un criminel, un boucher ».
« Il a laissé son empreinte dans de nombreux massacres, il a rendu des femmes veuves, des enfants orphelins », renchérit Tamer Daraghmeh, 47 ans, rencontré devant un restaurant de Ramallah, où siège l’Autorité palestinienne, née des accords d’Oslo.

Saber Farraj, lui, n’en revient pas que Peres puisse être présenté comme « un homme de paix ». « Comment un homme de paix pourrait-il tuer des enfants ? Comment un homme de paix se doterait-il de l’arme nucléaire ? Car c’est lui qui l’a amenée à Israël », s’emporte-t-il dans un café de Ramallah.
« Il a eu le prix Nobel de la paix mais ce n’est pas un homme de paix », assène Abdessalam al-Haou, qui vit dans la bande de Gaza. « Qu’il aille en enfer », lance Hossam al-Hajouj, depuis la petite enclave ravagée par trois offensives israéliennes depuis 2008.
Assis devant un verre de thé, Mouayyed Odeh, comédien de 28 ans, tient lui à affirmer « une vérité que, nous, Palestiniens devons reconnaître ».
« Aucun dirigeant arabe jusqu’aujourd’hui n’a fait pour son pays ce que Peres a fait pour le sien », dit-il. « Il a été l’un des fondateurs de ce qu’ils appellent l’Etat d’Israël et tout ce qu’il a fait contre les Palestiniens, il était convaincu qu’il le faisait pour son Etat et pour l’installer durablement sur cette terre ».