Les Palestiniens interdits d’une cérémonie du souvenir israélo-palestinien
Des milliers de personnes se sont rendues au service alternatif de Yom HaZikaron, en hommage aux deux parties du conflit. Des manifestants ont affronté la police, qualifié les participants de "nazis" alors que les Palestiniens se sont exprimés via vidéo depuis Beit Jala pour apporter leurs témoignages
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
Aucun Palestinien n’a participé au service du souvenir israélo-palestinien organisé à Tel Aviv dimanche soir. C’est la première fois en douze ans que les Palestiniens ont eu l’interdiction d’y assister – cela n’avait pas été le cas à l’apogée de la Deuxième Intifada.
Environ 225 Palestiniens devaient se trouver dans le public de la cérémonie qui avait lieu au Shlomo Group Arena de Tel Aviv, une alternative aux événements habituels de la Journée du souvenir organisée par les groupes ‘combattants pour la paix’ et ‘forum des familles’. Mais le Coordinateur des Activités du gouvernement dans les territoires rattaché au ministère de la Défense (COGAT) a retiré leurs autorisations de vingt-quatre heures.
Au début du mois, un adolescent palestinien était entré en Israël doté d’un tel permis d’une journée et avait agressé quatre personnes dans un hôtel de Tel Aviv avec une paire de cisailles, les blessant légèrement tous les quatre.
Après cet attentat terroriste, le COGAT a annoncé qu’il allait revoir son processus d’octroi des autorisations de vingt-quatre heures.
‘L’état clame toujours qu’il n’y a personne à qui parler mais quand il y a une opportunité d’écouter l’autre, il se bouche les oreilles’
« Au vu des changements des conditions sécuritaires et de l’abus des permis donnés aux groupes [il y a deux semaines], le Coordinateur des Activités du gouvernement dans les territoires a décidé qu’il n’est pas possible à l’heure actuelle d’émettre les autorisations réclamées », a écrit le COGAT jeudi dans sa décision.
Les organisations, aux côtés de plusieurs membres de la Knesset de gauche, ont dénoncé cette interdiction. « Nos partenaires palestiniens tentent encore d’instiller un message d’espoir au sein d’une société dévorée par le désespoir. L’état clame toujours qu’il n’y a personne à qui parler mais quand il y a une opportunité d’écouter l’autre, il se bouche les oreilles », a fait savoir le Forum des familles dans un communiqué.
Dov Khenin, du parti communiste Hadash, a qualifié la décision de « scandaleuse et politique ». Les législateurs du Meretz Zehava Galon, Michal Rozin et Issawi Frej ont également dénoncé cette décision, qualifiée de « motivée politiquement ».
Dimanche soir et lundi, Israël a fêté sa Journée du souvenir – Yom Hazikaron, en hébreu – rendant hommage au 23 544 soldats tombés au combat et aux 3 117 victimes du terrorisme.
Les sirènes ont retenti à deux occasions dans le pays, l’une à 20 heures dimanche soir et une autre à 11 heures lundi matin. Lundi soir, le pays fêtera sa Journée de l’Indépendance.
Des milliers de participants, des dizaines de manifestants
Ce sont environ 4 000 personnes qui ont assisté à la cérémonie de Tel Aviv, remplissant les gradins bondés et forçant les organisateurs à refuser du monde à l’entrée.
Mis dans l’incapacité d’entrer en Israël, les Palestiniens de Cisjordanie qui avaient prévu de participer à la cérémonie à Tel Aviv se sont réunis à Beit Jala, près de Bethléem, pour regarder sa diffusion sur un écran de télévision. Les deux Palestiniens qui devaient prendre la parole lors de cet événement ont fait leur discours par le biais de vidéos pré-enregistrées.
Alors que l’absence des participants palestiniens a été une surprise pour les organisateurs, l’opposition à la cérémonie de la part des membres de la droite israélienne n’en a guère été une.
Dans les jours menant à l’événement, les pages Facebook des groupes avaient été bombardées de commentaires et de posts de menaces, poussant les organisateurs à porter officiellement plainte auprès des forces de l’ordre.
Dimanche soir, des dizaines de militants de droite ont manifesté aux abords du site où se déroulait la cérémonie, qualifiant les participants de « Nazis », « traîtres » et « Amalek », les ennemis jurés traditionnels du peuple juif.
Durant les moments de pause, pendant la cérémonie, les appels des manifestants étaient facilement perceptibles, lancés depuis l’arrière du stade.
Au moins un manifestant a été arrêté par la police. D’autres ont simplement été éloignés de la zone par les forces de l’ordre.
Meital Ofer a été la première à prendre la parole lors de l’événement. Elle est « née au sein d’une famille en deuil » après que son oncle Yitzhak a perdu la vie pendant la guerre de Yom Kippour, le 11 octobre 1973.
Très exactement 40 ans plus tard, le 11 octobre 2013, Ofer s’est réveillée et s’est rendue compte que sa mère avait tenté de la joindre par téléphone à plusieurs reprises. « J’ai rappelé, et au téléphone, ma mère m’a dit les sept pires mots : ‘Ils ont tué papa la nuit dernière' ».
La père d’Ofer, Seraiah, ancien colonel au sein de l’armée israélienne, avait été matraqué à mort par deux terroristes palestiniens aux abords de son habitation dans la vallée du Jourdain.
Lors de leur interrogatoire, ses meurtriers avaient expliqué que sa mort était « un cadeau fait au Hamas en l’honneur de l’Aïd al-Adha, » une fête musulmane qui commençait cette soirée-là, a raconté Ofer.
« Ils l’ont assassiné parce qu’il était un colonel de réserve. Ils l’ont assassiné sans le connaître du tout, sans savoir combien il était un homme rare, sans savoir combien de gens l’aimaient, sans savoir combien il était unique dans ce monde », a-t-elle dit, laissant échapper ses larmes dans la lumière de la scène.
La voix mal assurée, Ofer a expliqué qu’elle « veut promettre à ses enfants un avenir dans cet endroit, un avenir d’une belle vie, un avenir de coexistence. Je veux leur donner de l’espoir, pas un slogan – le vrai espoir ».
Après Ofer, Seeam Nawara a parlé de son fils Nadeem, mortellement blessé par arme à feu durant une manifestation violente aux abords de Ramallah en 2014. Le garde-frontière qui lui a tiré dessus a utilisé des balles réelles au lieu des balles non-létales dont il avait l’ordre de faire usage. Une vidéo rendue publique après l’incident semblait montrer que l’adolescent avait été pris pour cible alors qu’il se tenait à distance de la manifestation et qu’il ne posait apparemment aucune menace immédiate pour la police des frontières.
Au mois de janvier, le garde-frontière, Ben Deri, a passé un arrangement avec la justice dans lequel il reconnaissait avoir utilisé des balles réelles, tout en affirmant que cela avait été accidentel.
Au cours de l’enquête sur la mort de l’adolescent, a indiqué Nawara, la famille a dû faire exhumer la dépouille de Nadeem.
« Croyez-moi : l’une des choses les plus difficiles pour un père est d’enterrer son fils. Mais c’est encore plus difficile d’exhumer son fils un mois après son enterrement », a dit Nawara en Arabe par message vidéo.
« J’aurais pu choisir la revanche ou la rage ou la haine, et pourtant, après avoir profondément réfléchi à tout cela, j’ai décidé de choisir la voie de la paix, du droit, de la non-violence et de la tolérance », a-t-il ajouté.
Après une performance musicale offerte par la chanteuse juive israélienne Achinoam Nini et la chanteuse arabe israélienne Mira Awad, c’est la Palestinienne Saadah qui est intervenue par message vidéo pour évoquer sa soeur Christine, tuée par les forces israéliennes de l’armée en 20013 parce que leur véhicule était mal identifié.
L’armée pensait que la voiture de sa famille appartenait à un responsable du Hamas et a ouvert le feu, tuant Christine, alors âgée de 12 ans et blessant le reste de la famille, dont Marian.
« Malgré l’échec des politiciens, j’espère fortement et je pense que les nations peuvent avancer d’elles-mêmes vers une victoire totale en coexistant, avec l’égalité et la justice, afin que nous puissions vivre dans l’espoir et dans la paix », a-t-elle dit en Arabe.
‘Le jour où nous pourrons nous faire complètement confiance, alors la paix viendra pour nous et nos voisins’
Roni Hirschenson, qui a aidé à fonder le Forum des Familles en 1995, s’est rappelé de la mort de ses fils Amir et Elad.
En 1995, Amir était un soldat. Il a été tué aux côtés de 20 autres militaires et d’un civil dans l’attentat à la bombe qui avait été commis à Beit Lid.
Cinq ans plus tard, son fils Elad s’est suicidé après que son meilleur ami, le sergent David Biri, a perdu la vie dans ce que certains considèrent comme le tout premier attentat terroriste de la Deuxième Intifada.
« Les meurtres ont continué pour une raison simple : Il n’y a pas la paix », a-t-il dit.
« Le jour où nous pourrons nous faire complètement confiance, alors la paix viendra pour nous et nos voisins », a ajouté Hirschenson.
En conclusion, la cérémonie s’est achevée par l’hymne national israélien – ce qui est la manière habituelle de terminer de tels services – et finalement un choeur israélo-arabe mixte a entonné une interprétation de la chanson juive « Chad Gadya », ou « une petite chèvre », avec des couplets alternant l’hébreu et l’arabe.
« Chad Gadya » se construit à chaque couplet : Il y a une petite chèvre – dit la chanson – que mon père a acheté pour deux sous, qui a été mangée par un chat, qui a été mangé par un chien, qui a été frappé par un bâton, qui a été brûlé par le feu, qui a été éteint par l’eau, qui a été bue par un taureau, qui a été tué par un boucher, qui a été tué par un ange de la mort, qui a été tué par Dieu.
Dans un couplet ajouté, le choeur de femmes entonnait : « Pourchassant et pourchassé, frappant et frappé, quand cette folie prendra-t-elle fin ? Et qu’est-ce qui a changé cette année ? J’ai changé cette année. J’étais un mouton et un enfant tranquille, maintenant je suis un tigre et un loup en chasse, j’étais une colombe et j’étais un daim, maintenant je ne sais plus qui je suis ».
« Mon père a acheté contre deux sous une petite chèvre, et maintenant tout recommence encore une fois ».