Les primaires à New York, un test décisif sur la place d’Israël dans le parti Démocrate
Le défi lancé par le centriste George Latimer à Jamaal Bowman, représentant en titre au Congrès et fervent critique d'Israël, est fustigé par les progressistes qui se disent outrés par l'argent offert dans le cadre de sa campagne par les groupes pro-israéliens et par les donateurs républicains
WASHINGTON (JTA) — La campagne pour les primaires du représentant Jamaal Bowman est au centre de l’attention dans la course au Congrès – les deux parties estimant qu’elle pourrait marquer un tournant pour la place qu’occupe Israël au sein du parti Démocrate.
Bowman, un progressiste qui n’épargne pas Israël de ses critiques féroces, fait face au centriste George Latimer, responsable du comté de Westchester qui, pour sa part, a fait part de son soutien à la campagne militaire menée par Israël à Gaza. Le district pour lequel ils s’affrontent – le 16e district de New York, qui englobe Manchester (ville du comté d’Ontario, dans l’État de New York) et une petite partie du Bronx – compte une importante population juive. Ces primaires ont attiré des millions de dollars en dépenses de campagne extérieures de la part des PAC (Comité d’action politique) qui revendiquent une affiliation avec le groupe de lobby pro-israélien AIPAC et d’autres organisations.
Les sondages semblent montrer que Bowman devrait s’incliner – mais l’homme continue à mobiliser ses électeurs sans relâche et il a pris la parole lors d’un large rassemblement en son honneur qui était organisé dans le Bronx, samedi. Il aime citer l’épithète qui lui a été donné, celui de « Démocrate le plus en péril de toute l’Amérique ».
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C’est une élection à fort enjeu qui est susceptible d’avoir une influence durable sur la direction que devrait emprunter à l’avenir le parti Démocrate. L’élimination des représentants en titre, lors de primaires, est un phénomène qui reste rare et qui peut signaler un glissement idéologique au sein d’un parti. Presque tous les membres de la Squad, le groupe de progressistes de la ligne dure auquel Bowman appartient, avaient renversé des personnalités démocrates bien établies lors des primaires.
Bowman avait été élu pour la première fois en 2020, l’emportant sur Eliot Engel, une figure démocrate et pro-israélienne de premier plan lors des primaires. Alors que Bowman joue aujourd’hui son fauteuil, ses critiques espèrent que si Latimer parvient à l’emporter, ce sera le signe que l’élan pris par la Squad est en train de faiblir.
Une membre de la Squad, Summer Lee, a déjà gagné les Primaires en Pennsylvanie alors qu’elle faisait face à un rival aux importants moyens financiers. Deux autres se présentent sans adversaire à battre et Alexandria Ocasio-Cortez, la voisine de Bowman à New York, devrait s’adjuger la victoire dans ses propres primaires. Cori Bush, dans le Missouri, et Ilhan Omar, dans le Minnesota, rencontrent des difficultés et les sondages sont serrés – mais sans commune mesure avec l’expérience que Bowman est actuellement en train de traverser.
« Il est en train de devenir un cas particulier », estime Halie Soifer, à la tête du Jewish Democratic Council of America, qui a apporté son soutien à Latimer – ce qui est une initiative inhabituelle de la part du groupe, qui accorde généralement son appui au représentant sortant dans la course au Congrès. « Ce sont des points de vue anti-israéliens extrêmes et, ce qui est plus important que le fait qu’il est en décalage avec la communauté juive, il s’avère qu’il est en décalage avec le parti démocrate ».
Mais même si Bowman est vaincu, ses alliés affirment que leur campagne aura un impact. Les super-stars du mouvement progressiste qui se tiennent fermement à ses côtés, comme c’est le cas du sénateur juif du Vermont Bernie Sanders ou de la représentante de New York Alexandria Ocasio-Cortez, s’efforcent d’entretenir un climat toxique autour des donateurs pro-israéliens en faisant le lien entre ces contributions financières et l’argent de Wall Street.
« Les milliardaires ne font pas que dépenser des sommes énormes d’argent pour soutenir la campagne de Latimer ; ils font également des dons à des candidats extrémistes de droite », a écrit Sanders sur X, mercredi. « Nous n’autoriserons pas les intérêts corporatistes de la classe des milliardaires à abattre des progressistes forts tels que [Jamaal Bowman]. »
Le United Democracy Project, un Comité d’action politique affilié à l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), a investi des dizaines de millions de dollars dans des publicités qui ont pris pour cible les démocrates qui critiquent d’Israël et il a versé plus de 14 millions de dollars pour des clips qui s’en prennent directement à Bowman et qui saluent la candidature de Latimer.
Mettre en lumière les dons réalisés par l’UDP peut s’avérer être une stratégie efficace dans tous les États-Unis pour éloigner les Démocrates de l’AIPAC, déclare Sophie Ellman-Golan, porte-parole du groupe Jews for Racial and Economic Justice qui soutient la candidature de Bowman, à un moment où les progressistes critiques d’Israël doivent affronter les initiatives prises par les groupes pro-israéliens qui tentent de les mettre hors-jeu.
Elle souligne les éléments qui prouvent qu’un grand nombre des donateurs des super-PACs sont des investisseurs milliardaires de Wall Street qui apportent leur appui aux Républicains et dont les politiques et les investissements, au-delà de la question d’Israël, sont rédhibitoires pour les progressistes.
« C’est une alliance conservatrice, une alliance idéologique qui, de mon point de vue, ne crée par d’alliances improbables mais qui crée plutôt des alliances très probables », explique-t-elle. « Et l’argent de l’AIPAC arrive donc avec un prix qui n’était pas à payer auparavant ».
Les responsables de l’UDP et de l’AIPAC déclarent que les donateurs républicains versent des fonds parce qu’ils sont pro-Israël, pas parce qu’ils pensent pouvoir persuader des démocrates à approuver des politiques conservatrices.
« Nos donateurs se focalisent sur un seul sujet et ils placent la relation tissée entre Israël et les États-Unis avant l’esprit partisan », explique Patrick Dorton, le porte-parole de l’UDP. Une source proche de l’AIPAC souligne un article paru dans Politico qui signalait que la majorité des donateurs favorables à l’AIPAC qui finançaient les campagnes des candidats démocrates étaient eux-mêmes des membres du parti.
Les groupes juifs qui se sont mobilisés en faveur de Latimer espèrent également transmettre un message plus large : Ils disent que Bowman est l’exemple type des limites que peuvent avoir les campagnes anti-israéliennes, en particulier dans un district comptant une population juive substantielle.
Bowman accuse Israël de « génocide » et il a douté des informations portant sur les violences sexuelles qui ont été commises par le Hamas après et pendant son attaque sur le sol israélien, le 7 octobre – près de 1 200 personnes avaient été massacrées et plus de 250 personnes avaient été prises en otage, un assaut sanglant qui avait déclenché la guerre à Gaza.
Mais Bowman a aussi fait savoir qu’il prévoyait de soutenir le mouvement de boycott anti-israélien et il accuse régulièrement ses critiques pro-israéliens de le fustiger par racisme.
« On ne peut pas s’exprimer en faveur de Gaza », a-t-il affirmé lors du talk-show « The Breakfast Club, » une émission diffusée sur une station de radio new-yorkaise, le 30 mai. « Vous commencez à défendre les Afro-américains et les Arabes américains et on va vous attaquer. »
Ce type de pamphlet est un handicap dans une course électorale, estime Mark Mellman, à la tête du groupe Democratic Majority for Israel, qui dirige un PAC qui a apporté son soutien à Latimer. Et c’est quelque chose qui ne se vérifie pas seulement à New York City, dit-il, évoquant des campagnes dans l’Ohio, au Texas et dans l’Illinois où des critiques fervents d’Israël se sont inclinés lors des primaires.
« La leçon à tirer est, de mon point de vue, qu’être pro-israélien est une politique judicieuse – voire une opinion politique judicieuse », continue Mellman. « Et nous l’avons constaté pas seulement dans cette course. Nous l’avons constaté à de très nombreuses reprises, élection après élection ».
Les progressistes alliés à Sanders continueront à dire, pour leur part, que l’argent pro-israélien équivaut à un alignement sur les républicains – et qu’il présente un danger pour la démocratie américaine.
Billionaires are not only spending huge amounts of money to support Latimer’s campaign, they are also making donations to right-wing, extremist candidates.
We will not allow the corporate interests of the billionaire class to take down strong progressives like @JamaalBowmanNY. pic.twitter.com/rBK5NkoZal
— Bernie Sanders (@BernieSanders) June 19, 2024
Ellman-Golan, dont le groupe est lié au nouveau mouvement « Reject AIPAC », note qu’un autre comité d’action politique proche de l’importante organisation de lobby pro-israélienne, l’AIPAC PAC, a soutenu plus de cent républicains qui avaient choisi de ne pas reconnaître l’élection du président Joe Biden dans leur vote, le 6 octobre 2021, lorsque des émeutiers avaient pris d’assaut le Capitole américain, tentant de renverser les résultats du scrutin à la Maison Blanche.
« Il n’y a aucune prétention d’esprit bipartisan qui puisse cacher ce qui est réellement en train de se passer ici », affirme-t-elle.
Marshall Wittmann, porte-parole de l’AIPAC, indique que les candidats soutenus par son PAC représentent l’Amérique mainstream sur la question israélienne, indépendamment des différences qu’ils peuvent avoir par ailleurs. Le groupe soutient également des dizaines de démocrates, notamment certains candidats qui avaient voté en faveur de l’accord nucléaire qui avait été conclu avec l’Iran et auquel l’AIPAC était complètement opposée.
« Nos donateurs reflètent le consensus mainstream et bipartisan en soutien à notre alliance avec Israël – contrairement à nos détracteurs », écrit-il dans un courriel.
Mellman indique que la stratégie consistant à dire que les candidats pro-israéliens sont alignés sur les républicains se heurte à un mur s’agissant de groupes tels que le sien, qui n’apporte son soutien qu’à des démocrates. Le DMFI, fait-il remarquer, a soutenu la refonte majeure des infrastructures par Biden en temps réel, en 2021 ; Bowman a voté contre.
« Il y a deux mots dans notre nom qui sont importants », déclare-t-il. « L’un est ‘Israël’. Le second est ‘Démocrate’. Nous croyons au parti démocrate ; nous croyons en un agenda démocrate. Nous critiquons Jamaal Bowman parce qu’il est défavorable à Israël et parce qu’il ne soutient pas non plus un ordre du jour démocrate. »
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