Israël en guerre - Jour 536

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Les vérités (très) dérangeantes de « The US and The Holocaust » de Ken Burns

Ce documentaire en trois épisodes évoque une partie de l'Histoire de la Seconde guerre mondiale que de nombreux Américains connaissent peu - ou choisissent d'ignorer

  • Un rassemblement nazi. Le panneau à l'arrière dit : "Kauft nicht bei Juden"- N'achetez pas aux Juifs. (Crédit : Archives nationales)
    Un rassemblement nazi. Le panneau à l'arrière dit : "Kauft nicht bei Juden"- N'achetez pas aux Juifs. (Crédit : Archives nationales)
  • Un fermier américain lit le journal à  Creek County, dans l'Oklahoma, en février 1940. (Crédit : Bibliothèque du Congrès)
    Un fermier américain lit le journal à Creek County, dans l'Oklahoma, en février 1940. (Crédit : Bibliothèque du Congrès)
  • Une famille d'immigrants regarde la statue de la liberté depuis Ellis Island, lvers 1930. (Crédit : Bibliothèque du Congrès)
    Une famille d'immigrants regarde la statue de la liberté depuis Ellis Island, lvers 1930. (Crédit : Bibliothèque du Congrès)
  • Des réfugiés juifs allemands à bord du MS St. Louis, le 29 juin 1939. (Crédit : Domaine public)
    Des réfugiés juifs allemands à bord du MS St. Louis, le 29 juin 1939. (Crédit : Domaine public)

NEW YORK — « Cela ne restera pas dans les annales des grandes choses faites par l’Amérique. Ce sera inscrit dans un livre différent », dit la professeure Deborah Lipstadt, éternelle voix de la raison, en acceptant ces faits que personne n’a jamais réellement voulu entendre – des faits que, sans aucun doute, elle n’aurait jamais voulu avoir à rappeler.

Elle évoque alors la réponse américaine à la Shoah – et, d’une certaine manière, la culpabilité partagée des États-Unis dans le génocide.

« C’est absurde », est-on en droit de penser. « Comment cela pourrait être la faute de l’Amérique ? Elle est de l’autre côté de l’océan, elle s’occupait de ses affaires et quand le temps est venu, elle a débarqué en Normandie et elle a aidé à libérer l’Europe ! »

Oui, c’est vrai. Mais nous discutons ici d’un documentaire de Ken Burns, ce qui signifie que nous voulons être sérieux ; nous ne sommes pas sur Twitter où il n’y a aucune nuance et où tout se réduit au trait d’esprit cinglant qui permettra de souligner la stupidité supposée des autres internautes. Et pour un récit aussi vertigineux que celui de la Shoah, nous devons faire face à la réalité avec honnêteté, l’observer sous tous les angles possibles. « Plus jamais ça » restera une expression vide de sens si nous ne parvenons pas à tout analyser.

Quand j’ai lu pour la première fois que Ken Burns allait réaliser un documentaire sur la Shoah, ma première pensée – je le reconnais – a été : « S’il ne l’a jamais fait dans le passé, pourquoi maintenant ? »… Burns, devenu un monstre sacré dans le monde du documentaire avec la sortie, en 1990, de « The Civil War » (il m’est arrivé de dire que c’était le plus grand documentaire américain jamais réalisé), a proposé des moments de télévision assez uniques, riches en information, depuis le début des années 1980 et il s’est intéressé à un grand nombre de sujets lourds en les abordant toujours du point de vue américain.

En plus de films consacrés à des icônes américaines telles que Thomas Jefferson, Benjamin Franklin et le pont de Brooklyn, Burns s’est penché sur des sujets culturels avec « Jazz » ou « Country Music, » avec « Baseball » ou, plus troublant, avec « The Central Park Five » et « The Vietnam War ». Il aurait pu tourner sa caméra vers la Shoah depuis longtemps maintenant mais, de manière étrange, il est finalement heureux qu’il ait attendu.

Le réalisateur Ken Burns pendant un débat du Television Critics Association Summer Press Tour, à Beverly Hills, en Californie, le 29 juillet 2019. (Crédit : Chris Pizzello/Invision/AP, File)

Pendant les trois épisodes (qui font tous un peu plus de deux heures) de « The U.S. and the Holocaust, » Burns, aux côtés de ses co-réalisatrices Lynn Novick et Sarah Botstein, présentent de manière très claire la longue liste d’actions indirectes (ou, dans de nombreux cas, d’inactions délibérées) qui auront finalement entraîné le meurtre de six millions de Juifs.

C’est très dense et rempli de récits personnels (avec notamment le témoignage de la demi-sœur d’Anne Frank), des récits dont la spécificité éclaire les problématiques plus larges en les présentant sous une nouvelle lumière. Certes, les images n’entraînent pas une réflexion des plus agréables et il est compréhensible de se placer sur la défensive, mais Burns et son équipe ne sont pas pour autant des radicaux s’épanouissant dans le bruit et la fureur. Leur approche est, comme d’habitude, posée, minutieuse – et très convaincante.

Certains points sont plus chargés d’Histoire que les autres. Adolf Hitler, est-il révélé, avait été très inspiré par les lois Jim Crow, aux États-Unis, quand il avait réfléchi à la manière de limiter les droits des Juifs en Allemagne. Il avait tiré son inspiration de la « Destinée manifeste » et de la façon dont les Amérindiens avaient été expulsés de leurs terres à l’aide de mauvais traités avant d’être placés dans des réserves.

Une famille d’immigrants regarde la statue de la liberté depuis Ellis Island, lvers 1930. (Crédit : Bibliothèque du Congrès)

De nombreuses théories liées à l’eugénisme sont nées aux États-Unis et des personnalités comme Madison Grant, qui était considéré comme un grand activiste de l’Ère progressiste, avait popularisé des croyances barbares et aidé à faire apparaître une xénophobie raciale qui devait modifier radicalement la politique d’immigration mise en œuvre par le pays.

Henry Ford, l’industriel bien-aimé, avait fait de l’antisémitisme son passe-temps favori, publiant des textes complotistes et attisant les flammes de la haine. (En regardant par ma fenêtre, je peux voir un véhicule Ford stationné en double file au bord du trottoir qui borde mon immeuble d’appartements du Queens, à New York. Ce documentaire, qui présente des citations de Ford, vous amènera très certainement à vous demander comment, à une époque où si un grand nombre de statues historiques sont déboulonnées, une entreprise qui se respecte peut encore porter son nom).

Ces informations de base sont présentées dans le style typique de Burns – avec quelques commentateurs contemporains ; un narrateur à l’accent plat, qui s’exprime avec sobriété (Peter Coyote, dans le cas qui nous occupe) ; des photos, avec des zooms arrière ou avant sur les images et des acteurs lisant des documents de l’époque et les ponctuant en donnant le nom de leur auteur (ce qui est le plus proche de la farce dans le documentaire est, peut-être, quand les téléspectateurs entendent le grand réalisateur allemand Werner Herzog prêter sa voix inimitable à Hermann Göring.)

En regardant ce long documentaire, on passe du malaise à la frustration et de la frustration à la fureur face à la brutalité croissante des abominations nazies. Ce que j’ai « aimé », c’est cette manière qu’a Burns de ne jamais dévier le regard de son parti-pris initial : Ce n’est pas un documentaire sur la Shoah, c’est un documentaire sur les États-Unis et la Shoah et ainsi, toutes les actions entreprises par les Allemands sont contre-balancées par la manière dont la Maison Blanche et le public américain avaient réagi. Et malheureusement, la majorité des Américains – et même certains Juifs américains – avaient choisi de ne rien faire. Les enquêtes d’opinion, les unes après les autres, avaient révélé la triste réalité : Venir en aide aux Juifs n’était pas une priorité. C’était même une idée impopulaire.

Les histoires de restrictions sur la distribution des visas sont bien connues, mais apprendre que les difficultés bureaucratiques étaient autant d’obstacles placés délibérément par l’administration rajoute à la douleur. Breckinridge Long – que, je suppose, nous qualifierions d’agent « de l’État profond » aujourd’hui – aura été pendant toute sa vie un bureaucrate dont l’influence était énorme et qui aura empêché des réfugiés d’obtenir un asile. Son histoire choquante est celle d’un homme qui aura eu un impact dévastateur sur la vie de trop nombreuses personnes sans jamais avoir à en répondre. Apprendre ce qu’il a fait donne envie d’exploser (même s’il est trop facile de lui attribuer toute la responsabilité de ce qui s’est passé).

Ce qui m’a frappé, cela a été de réaliser ce qui suit : Si vous examinez le but qui était initialement poursuivi par les nazis – qui était de tuer tous les Juifs du monde, ce qui était probablement un rêve – cet objectif était une tâche si vaste qu’il en frôlait le ridicule. Ils voulaient seulement qu’ils partent. Et le paradoxe est qu’alors que les nazis s’étendaient, en particulier à l’Est, là où de si nombreux Juifs vivaient, ils ont découvert que personne ne les prendrait chez eux. Les nazis rassemblés à la conférence de Wannsee en ont pris acte. Si personne d’autre ne voulait des Juifs, alors il fallait les tuer.

Je raconte les grandes lignes ici mais ce qui fait de « The U.S. and the Holocaust » une telle réussite, d’après moi, c’est que si cette équation basique de notre tragédie m’est connue depuis des années, son absurdité ne m’avait jamais sauté aux yeux de manière si claire jusqu’à aujourd’hui.

A LIRE : Comment, en pleine Shoah, la presse et des Juifs américains ont tu la Solution finale

Seules les œuvres importantes sur la Shoah ont cet effet : « Shoah », de Claude Lanzmann et les films qui ont suivi ; des livres comme « Treblinka » de Jean-François Steiner et même des films de fiction comme « La Liste de Schindler » sont susceptibles de vous présenter quelque chose que vous saviez déjà, mais qui apportent un nouvel éclairage qui fait force de révélation. Pour les Américains, ce nouveau film est de cette importance. Et c’est d’autant plus le cas pour les Américains qui ignorent tout du Télégramme Riegner ou du Rapport Karski.

Des réfugiés juifs allemands à bord du MS St. Louis, le 29 juin 1939. (Crédit : Domaine public)

Comme dans tout examen a posteriori de la Shoah, nous pouvons aujourd’hui interpeller les Européens qui avaient tourné le dos à leurs voisins Juifs et dire que jamais, ô grand jamais, cela ne nous serait arrivé. On ne va pas se leurrer. Stanley Milgram avait démystifié ce conte de fées au début des années 1960. Et l’opportunité de ce documentaire, la raison pour laquelle c’est une « bonne » chose qu’il sorte maintenant, c’est que les préjugés violents contre les Juifs au lendemain de Charlottesville, au lendemain de la synagogue Tree of Life, ne sont pas exclusivement théoriques en Amérique.

Je ne pontifie pas : c’est bien le message dit et répété par Burns et ses co-réalisatrices dans le dernier épisode, avec un examen des paradoxes qui hantent la psyché humaine. Les mouvements MAGA et QAnon sont bourrés d’antisémites aussi vils que tous les antisémites qui ont existé dans l’Histoire et pourtant, ils soutiennent un politicien dont le conseiller le plus proche et le plus fiable, qui est aussi son gendre, est Juif. Ce qui n’a absolument aucun sens mais, comme le fait remarquer Deborah Lipstadt, l’antisémitisme lui-même est insensé. Comme elle l’explique, ces gens-là pensent que les Juifs sont tous des capitalistes cupides mais qu’ils encouragent et soutiennent aussi les communistes. Les deux, vraiment ? Comment est-ce possible ?

C’est ridicule, bien sûr, mais c’est moins important que de s’attaquer au fait que, d’une certaine manière, ces accusations collent à la peau et que l’antisémitisme augmente. Il est déterminant que des artistes et des historiens comme Ken Burns, Lynn Novick, et Sarah Botstein utilisent leurs talents pour éveiller les consciences et leur faire reconnaître les faits avant qu’il ne soit trop tard. Il y a beaucoup de nouveaux « contenus » diffusés dans le monde chaque semaine, mais Burns attire encore un large public. Et voir « The U.S. and the Holocaust » s’avère essentiel.

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