Israël en guerre - Jour 472

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L’incroyable œuvre posthume du réalisateur de « Shoah » fait écho à Pittsburgh

Le cinéaste Claude Lanzmann est décédé en juillet dernier, mais une nouvelle œuvre, "Shoah : Four Sisters", sur ses débuts à New York, est incroyablement d'actualité

Claude Lanzmann pose pour les photographes lors de la première du film "L'homme qui a tué Don Quichotte" lors de la cérémonie de clôture du 71e festival international du film à Cannes, le samedi 19 mai 2018. (Photo par Vianney Le Caer/Invision/AP)
Claude Lanzmann pose pour les photographes lors de la première du film "L'homme qui a tué Don Quichotte" lors de la cérémonie de clôture du 71e festival international du film à Cannes, le samedi 19 mai 2018. (Photo par Vianney Le Caer/Invision/AP)

NEW YORK – Claude Lanzmann est peut-être décédé en juillet de cette année, mais son travail est toujours vivant. Et il provoque encore des réactions fortes et pleines d’émotion.

Le plus grand chroniqueur de la Shoah sur pellicule, Lanzmann, a fait don à Yad Vashem et au United States Holocaust Memorial Museum en 1996 de 220 heures additionnelles d’images de son œuvre maîtresse « Shoah » de 1985. Ils sont toujours en cours de référencement.

« Shoah » a nécessité 11 ans de travail et, au fil de ces années, Lanzmann a réalisé d’autres films complets à partir de séquences initialement destinées à son documentaire de neuf heures et demi.

Quatre interviews remarquables réalisées par Lanzmann pour « Shoah » ne correspondaient pas tout à fait au thème. Ce sont des histoires de survivants, et « Shoah », de par sa conception, se veut un examen implacable de la destruction et de la mort, sans issue. Mais les entretiens sont liés d’une certaine manière, car il s’agit d’histoires (conversations individuelles avec Lanzmann) sur des femmes d’une ingéniosité, d’une endurance et d’une chance extraordinaires.

Ces entretiens, d’une durée de 52 à 89 minutes, sont regroupés pour former le film en deux parties « Shoah : Four Sisters ». Les films ont été projetés au New York Film Festival l’an dernier, mais leur sortie en salle aura lieu le 14 novembre avec Cohen Media Group. (Quad Cinema, le théâtre de répertoire à Manhattan, propriété de Cohen, sera le cadre d’une rétrospective complète de Lanzmann qui se déroule depuis le 9 novembre jusqu’au 20 novembre. Si vous êtes à New York, faites un effort pour y aller ; certains de ces films ne sont actuellement pas disponibles ni en streaming, ni en DVD).

Le cinéaste Claude Lanzmann est équipé d’un micro caché pour enregistrer le témoignage d’un nazi, vers 1978. (Avec l’aimable autorisation du United States Holocaust Memorial Museum/Yad Vashem)

Le Streicker Center du Temple Emanu-El dans l’Upper East Side de New York a organisé cette semaine une projection spéciale de la plus longue et, à mon avis, la plus dévastatrice des quatre interviews, sous-titrée The Hippocratic Oath [Le Serment d’Hippocrate].

Avant que l’histoire de la survivante Ruth Elias ne soit dévoilée, quelques conférenciers ont pris la parole. Tout d’abord, le rabbin Joshua Davidson a commencé en évoquant les récentes fusillades à Pittsburgh, qualifiant l’antisémitisme de « plus vieille haine du monde ». Puis, l’ambassadeur de France aux Etats-Unis, Gérard Araud, a commencé par un « erev tov », (« bonsoir » en hébreu), et a parlé de l’antisémitisme en France et a dit combien le président français Emmanuel Macron « est conscient du problème et déterminé à le combattre tout comme la négation de la Shoah ».

Après Araud, l’intellectuel français Bernard-Henri Lévy est monté sur le podium et, lisant un discours sur son iPhone, a fait vibrer les murs du Streicker Center avec un vibrant hommage à Claude Lanzmann, le comparant à Orphée, Dante et Homère.

« Il s’est intéressé aux ténèbres, et nous ne comprendrons peut-être jamais pourquoi », a dit Lévy, laissant entendre que l’œuvre de sa vie était un testament pour nous tous.

Lévy a qualifié Lanzmann d' »homme en colère », de « poète » et de « combattant » dont la vie a été parsemée de « belles aventures » et qui a refusé de devenir un « juif honteux ». Il a ajouté que Lanzmann a aussi été pro-Israël toute sa vie, malgré le soutien de causes anti-colonialistes qui ont conduit certains de ses confrères à adopter des positions anti-sionistes.

Bernard-Henri Lévy prend la parole au Centre Streicker du Temple Emanu-El dans l’Upper East Side de New York pour une projection de la première partie de « Shoah : Four Sisters » de Claude Lanzmann ; le 5 novembre 2018. (Autorisation)

J’ai assisté à beaucoup de projections de films dans ma journée, et il est rare qu’une introduction dure 15 minutes, et c’est encore plus rare qu’elle suscite autan d’applaudissements nourris.

Le film lui-même est un chef-d’œuvre narratif. Cela semble simple au premier abord ; juste une caméra pointée sur une femme qui se souvient de sa jeunesse. Ruth Elias est née en Tchécoslovaquie et a été déportée à Theresienstadt à l’âge de 19 ans. Elle a perdu toute sa famille à Auschwitz et a souffert des pires humiliations – des humiliations que je n’avais jamais entendues auparavant. Son histoire est jalonnée de nombreux rendez-vous manqués avec la mort, grâce à un mélange de vivacité d’esprit et de coup de chance. Son récit se termine par une épreuve de force avec l’une des pires figures de la Shoah, le Dr Josef Mengele.

J’avais déjà vu le film, mais seul à la maison. Le voir dans une salle bondée de Juifs pour la plupart était une toute autre histoire. Cette voix du passé était une voix que nous connaissions tous ; une mère, une grand-mère, une voisine. Je ne veux pas dévoiler la fin, pour ainsi dire, mais Ruth a survécu en étant placée dans une situation intenable, aussi déchirante que celle du film « Sophie’s Choice », [Le Choix de Sophie].

Le film n’est pas vraiment optimiste. Quand les lumières se sont rallumées, j’ai eu mal à la tête. C’était le quatrième événement artistique auquel j’avais assisté dans un espace juif depuis la fusillade à la synagogue Tree of Life à Pittsburgh il y a 10 jours. Peut-être y avait-il un peu de colère dans le public.

Sur la scène, la professeure Deborah Lipstadt, auteure brillante et conférencière à l’esprit vif, probablement mieux connue pour avoir traduit en justice le négationniste David Irving (comme le montre le film « Denial »), a parlé avec éloquence de la technique de Lanzmann (elle peut sembler distante, mais ne l’est pas), son insistance à vouloir donner des points de vue différents et dire que tout n’est pas blanc ou noir concernant les bons et les méchants. Le plus frappant est que Ruth Elias décrit son bourreau, le Dr Mengele, comme un bel homme.

De gauche à droite : Le rabbin Joshua Davidson, l’ambassadeur de France Gérard Araud, Deborah Lipstadt, Bernard-Henri Lévy, Charles Cohen et Daphne Merkin, au Streicker Center du Temple Emanu-El dans l’Upper East side à New York pour la projection de la première partie du film « Shoah : Four Sisters » de Claude Lanzmann ; le 5 novembre 2018. (Autorisation)

A ses côtés se trouvait l’auteure Daphne Merkin, dont le comportement contrastait avec celui de Lipstadt. Avec des notes froissées dans la main et une tendance à oublier des noms (en plus de respirer dans le microphone quand d’autres parlaient), les propos de Merkin étaient très décousus, ce qui a fini par exaspérer le public qui s’est mis à la huer, alors qu’elle faisait à Ruth Elias ce que l’on pourrait considérer comme des compliments déguisés.

Comme je l’ai dit, peut-être que le public était tout simplement en colère, mais l’ambiance était indéniablement conflictuelle. Les questions du public ont été accueillies avec combativité, en particulier par Merkin. Et comme j’étais assis tout près, j’ai pu entendre Lipstadt marmonner un « oy » à un certain moment.

Ruth Elias a émigré en Israël après la guerre (où elle avait, curieusement, un berger allemand avec elle) et a parlé du pays avec amour dans son interview avec Lanzmann. Une femme dans l’auditoire a levé la main et a commencé à poser une question sur le fait que l’afflux de Juifs après la guerre a « dépossédé une société entière de Pales- »

A ce moment précis, Lipstadt, sentant la tournure que cela prenait, a lancé un avertissement : « Je vais vous arrêter immédiatement. A) ce n’est pas le sujet de ce soir. B) c’est une vision déformée de l’histoire. »

Les gens ont applaudi, mais cela n’a pas suffi pour certains dans le public, surtout pour un homme qui s’est mis à crier « Comment osez-vous ?! » à la femme qui essayait de poser une question, et a fini par crier contre tout le monde.

Quand Lipstadt a essayé de le calmer en disant « Comportons-nous tous en adultes ici », cela l’a manifestement fait sortir de ses gonds, et il a accusé les intervenants de « juger les survivants de la Shoah », chose certainement fausse concernant Lipstadt et même si Merkin lui a parlé inélégamment, voire trop froidement, il a aussi été injuste envers elle.

Lipstadt a cité la phrase de Primo Levi dans Si c’est un homme : « Vous qui vivez en sécurité dans vos maisons chaudes… », pour expliquer que personne ne peut savoir comment il se serait comporté devant les atrocités de la Shoah. Pour ma part, il n’y avait là aucun jugement. Si je n’avais pas eu un tel mal de tête, j’aurais répondu en criant au type qui criait.

Comme je l’ai dit, je pense que tout le monde était un peu nerveux.

Quand les invités ont quitté la scène, je suis sorti sous la pluie. (Classique). Je n’étais pas de bonne humeur. Puis, j’ai entendu une jeune femme qui discutait avec sa sœur et son père.

« Oui, elle est comme ça en cours », disait-elle. Rachel Kramer, 20 ans, étudie à l’Université Emory et est une élève de Lipstadt.

« Elle est incroyable, super dogmatique et sûre d’elle », m’a dit Kramer, et, en riant, elle a ajouté : « Elle donne l’impression d’être gentille, mais elle est sévère ; je ne voudrais pas avoir à l’affronter ».

Plus important encore, nous avons discuté de Ruth Elias et du film. « J’ai fréquenté une école juive et j’ai entendu beaucoup de témoignages de rescapés de la Shoah. Mais je pense que c’est l’une des histoires les plus poignantes que j’aie jamais entendues », souligne-t-elle.

Quand les analyses et les arguments s’atténuent, je pense qu’une nouvelle génération de Juifs apprenant ces histoires, et je pense que la plupart d’entre nous en conviennent, est ce qui est le plus important.

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