Lipstadt : avec « l’antisémitisme classique », Abbas finit comme il a commencé
Une spécialiste de l’Holocauste critique le chef de l’AP pour son discours dénigrant les Juifs et l’accuse de "réécrire l’histoire" de l’Accord Haavara avec les Nazis
Deborah Lipstadt, historienne spécialiste de l’Holocauste, a jugé jeudi que le discours prononcé la veille par Mahmoud Abbas, président de l’Autorité Palestinienne, relevait de « l’antisémitisme classique » et de « réécriture de l’histoire » visant à faire passer des juifs pour des collaborateurs nazis.
Des universitaires renommés et des activistes ont critiqué Abbas après que le dirigeant de l’AP a attribué le génocide des Juifs d’Europe par les Nazis à leur comportement et à leur activité d’usuriers.
« Voici un homme qui a commencé sa carrière en niant l’Holocauste et maintenant, à un stade avancé de sa carrière, semble s’engager dans la réécriture de l’histoire de l’Holocauste et dans de l’antisémitisme classique », a attaqué Lipstadt au cours d’un entretien téléphonique.
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Dans un discours interminable à Ramallah devant des centaines de personnes lors d’une rare session du Conseil national palestinien, le dirigeant de l’AP, âgé de 82 ans, a affirmé que l’Holocauste n’avait pas été causé par l’antisémitisme, mais plutôt par le « comportement social [des Juifs], [l’imposition] d’intérêts et les questions financières ».
Dans son discours, Abbas a fait référence à l’Accord Haavara de 1933 entre les premiers dirigeants du mouvement sioniste, la Banque Anglo-Palestinienne (aujourd’hui Banque Leumi), les dirigeants sionistes allemands et l’Allemagne nazie pour permettre aux Juifs allemands d’émigrer vers la Palestine, alors sous mandat britannique, avec certains de leurs biens. Avec l’accord, a affirmé Abbas, Adolf Hitler, dont le régime nazi est responsable du meurtre de six millions de Juifs dans la Shoah, a facilité l’immigration de Juifs vers Israël.
Le chef de l’AP a ensuite cité l’ouvrage très controversé La Treizième tribu d’Arthur Koestler, qui affirmait que les Juifs ashkénazes sont des descendants de Khazaks, pour soutenir l’argument que les Juifs n’ont aucun lien historique avec Israël, et a réaffirmé que l’Etat juif a été fondé comme un projet européen colonial et « ceux qui cherchaient à avoir un état juif n’étaient pas juifs ».
Abbas a dit : « Leur récit sur l’arrivée dans ce pays parce qu’ils aspiraient à Sion, ou quoi que ce soit – nous sommes fatigués de l’entendre. La vérité est qu’il s’agit d’une entreprise colonialiste, visant à implanter un corps étranger dans cette région ».
« C’est de l’antisémitisme classique », et une « accusation classique de la victime », a déclaré Lipstadt, éminente universitaire américaine et experte du négationnisme. Sa victoire lors de son procès contre le négationniste britannique de l’Holocauste David Irving a été adaptée en film en 2016, « Le procès du siècle« .
« Cela nous ramène directement à ses écrits, à sa déformation de l’histoire, a-t-elle ajouté, en référence aux écrits de 1982 du dirigeant de l’AP. Rédigé à Moscou sous le règne soviétique, L’autre côté : la relation secrète entre le nazisme et la sionisme, affirme que le chiffre de six millions de victimes de l’Holocauste a été exagéré et que les dirigeant sionistes ont coopéré avec les Nazis.
La tirade du chef de l’AP a aussi été condamnées par des groupes juifs américains jeudi.
« Chargée d’affirmations sans fondement historique et pseudo-académiques, la dernière diatribe du président de l’AP reflète, une fois de plus, la profondeur et la persistance des attitudes antisémites qu’il abrite », a déclaré le chef de la Ligue Anti-Diffamation Jonathan A. Greenblatt.
« Avec des discours publics comme ceux-là, il n’est pas surprenant que sous la direction d’Abbas, l’Autorité Palestinienne n’ait pas réussi à renoncer et à combattre l’incitation palestinienne à l’antisémitisme, notamment avec des récits dans lesquels les Juifs sont responsables de l’Holocauste et d’autres persécution antisémites, et qui nient ou minimisent la présence juive millénaire et le lien avec la Terre d’Israël ».
J Street a également condamné les « clichés antisémites absurdes et les commentaires profondément insultants sur l’histoire du peuple juif et d’Israël ».
L’Accord Haavara
Négocié par les sionistes allemands, l’Accord Haavara permettait le transfert de certains fonds de l’Allemagne vers des trusts palestiniens. Il a été conclu entre l’Allemagne nazie et la Banque Anglo-Palestinienne en août 1933.
L’accord était très controversé parmi les Sionistes de la Palestine mandataire, opposant l’Agence juive de David Ben Gurion contre le Mouvement révisionniste de Vladimir Jabotinsky. Avec Ben Gurion à leur tête, les défenseurs de l’accord soulignaient le pragmatisme visant à permettre aux Juifs allemands de fuir les Nazis pour conserver une partie de leur capital dans un accord qui pourrait encourager l’émigration juive. Les critiques ont rejeté tout accord avec l’Allemagne nazie en la comparant à un accord avec le diable.
« Le système Haavara a continué à fonctionner sous une forme ou une autre jusqu’au milieu de la Deuxième guerre mondiale », a écrit l’historien israélien Tom Segev dans Le Septième Million.
« Environ 20 000 personnes ont été aidées par le système, et environ de 30 millions de dollars ont été transférés de l’Allemagne vers la Palestine. Ce n’était pas une somme énorme, même à l’époque, mais cela a donné une certaine force à l’économie du pays et à l’entreprise sioniste. Les immigrants eux-même étaient contraints d’attendre longtemps pour recevoir leur argent, parfois deux ou trois ans. Ils ont perdu jusqu’à 35 % de leur capital, mais selon les calculs effectués par les soutiens de la Haavara, ils auraient perdu plus s’ils avaient essayé de transférer leur capital d’une autre manière ».
Selon le Dr Yehuda Bauer, âgé de 92 ans, un des plus importants universitaires israéliens spécialiste de la question du génocide des Juifs d’Europe par les Nazis, seulement 8 millions de livres ont été transférés à travers les trusts de la Haavara et les Juifs allemands ne représentaient qu’un quart des immigrants juifs à l’époque.
La question de la Haavara « est utilisée par les antisémites et les pro-Nazis, y compris [Abbas], de manière déraisonnable », a-t-il dit au Times of Israël.
« Le Sionisme et l’Allemagne nazie ne partageaient rien et n’avaient rien en commun. Ce qu’il y avait, c’était la volonté des Allemands de se débarrasser des Juifs, et celle des Juifs de sauver leur vie », a dit Bauer.
Cette corrélation entre nazisme et sionisme avait été évoquée par l’ancien maire de Londres Ken Livingstone. En 2016, il a déclaré qu’Hitler soutenait le sionisme dans les années 1930, « avant qu’il ne devienne fou et finisse par tuer six millions de Juifs ».
Bien qu’elle admette, en fin de compte que la Haavara était en effet un « pacte avec le diable », Lipstadt a déclaré qu’il marquait une première « tentative désespérée de la part des sionistes allemands d’aider les Juifs à quitter l’Allemagne ».
La mention par Abbas de l’accord, dans le contexte d’une accusation de conspiration économique européenne pour peupler le territoire avec les Juifs, est très trompeuse, a-t-elle déclaré. Cela « revient à associer les sionistes d’Israël à l’effort collaboratif avec les Nazis ».
« Tout cela est consternant », a-t-elle déclaré.
Confronté à des questions sur sa thèse, Abbas « a balbutié »
Comme Lipstadt, Bauer a caractérisé les récentes remarques d’Abbas comme étant antisémites et les a liées à sa thèse de doctorat et à des influences de jeunesse en tant qu’étudiant de l’Union soviétique.
Il y a dix ans, s’est souvenu Bauer, il a rencontré Abbas. Ahmad Tibi, un membre arabe israélien de la Knesset a servi de traducteur. Et l’historien juif a soulevé la question de la thèse d’Abbas.
« Il a commencé à balbutieer, Abu Mazen [Abbas]. ‘C’était dans le passé, je ne m’en rappelle pas vraiment’, etc., des choses dans le genre », a raconté Bauer.
« Je suis parmi ceux qui soutiennent fermement la création d’un état palestinien, mais ils [les Palestiniens] ont choisi des dirigeants très problématiques. Pas seulement [Abbas], mais plusieurs autres autour de lui », a déclaré l’historien.
Abbas est « super intelligent », et même s’il ne connaît pas très bien l’histoire islamique, a considéré Bauer, il est réellement « un pur produit du communisme anti-sioniste, anti-israélien et anti-juif ».
L’équipe du Times of Israel et le JTA ont contribué à cet article.
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