Lipstadt : l’antisémitisme, « une menace pour la démocratie » et la sécurité mondiale
L'envoyée déclare que la situation, pour les juifs de la Diaspora, n'est pas celle de 1938 mais plutôt "du début des années 1930, peut-être de la fin des années 1920"
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
L’envoyée spéciale américaine à la lutte contre l’antisémitisme, Deborah Lipstadt, a souligné vendredi que l’antisémitisme était « une menace pour la démocratie » alors que les incidents de haine antijuive se multiplient aux États-Unis et ailleurs depuis le massacre commis par le Hamas, le 7 octobre, dans le sud d’Israël et la guerre à Gaza qui a suivi.
« Tous ceux qui achètent ce mythe complotiste – qui est la pierre d’achoppement de l’antisémitisme – affirmant que les Juifs contrôlent les médias, les banques, les élections gouvernementales, tous ceux qui croient cela ont abandonné la démocratie », a-t-elle déclaré lors d’un sommet virtuel qui était organisé par son bureau.
« Ceux qui font l’objet de ce préjugé [les Juifs]… ont des raisons de se demander si les autorités les protègent », a-t-elle ajouté, soulignant les manifestations anti-israéliennes qui ont balayé les campus des universités de tout le pays, entraînant parfois un sentiment de vulnérabilité, chez les étudiants juifs, face au harcèlement.
Lipstadt a noté que l’antisémitisme était aussi une menace pour la sécurité internationale parce que des acteurs malveillants n’hésitent pas à l’utiliser pour semer la désunion, et en particulier dans les sociétés démocratiques.
Malgré la forte recrudescence de l’antisémitisme depuis le 7 octobre, elle a rejeté les comparaisons faites entre la situation qui est celle des Juifs de la Diaspora, aujourd’hui, et la situation critique des Juifs européens en 1938.
« On me demande souvent en tant qu’historienne : ‘Est-ce que c’est 1938 ?’ Je réponds que non, que c’est une estimation un peu extrême », a expliqué Lipstadt.
« Je pense que la situation ressemble davantage à celle du début des années 1930, peut-être de la fin des années 1920 », a-t-elle continué, faisant référence à la déstabilisation des sociétés de l’époque et la comparant à ce qui est arrivé dans de nombreux pays depuis le 7 octobre.
Mais Lipstadt a toutefois fait remarquer qu’il y avait deux différences entre ces deux périodes.
Le « système de propagation » de l’antisémitisme est beaucoup plus dangereux aujourd’hui à cause des réseaux sociaux, a-t-elle affirmé.
Mais l’autre différence, c’est qu’aujourd’hui, il y a des gouvernements – notamment aux États-Unis – qui ont nommé des responsables de premier plan qui sont chargés de combattre la haine antijuive, a-t-elle indiqué.
« MeToo sauf pour les Juives »
Lipstadt, spécialiste de la Shoah, a déclaré vendredi avoir été « choquée » par la rapidité de l’apparition du phénomène de déni des atrocités qui avaient été commises par les terroristes du Hamas, le 7 octobre.
« J’ai été choquée par la vitesse à laquelle les gens ont commencé à se plaindre de la réponse israélienne, le 8, le 9 et le 10 octobre – avant même qu’il y ait une riposte. Cela a vraiment été perturbant », a dit Lipstadt pendant la rencontre virtuelle qui avait été organisée par son Bureau.
De la même manière, les viols et les mutilations sexuelles ont été « fêtés » par certains et mis en doute par d’autres.
« C’est le silence… qui a été le plus déconcertant – le silence de ces groupes dont on était très précisément en droit d’attendre des expressions d’indignation, les groupes de défense des droits des femmes, les groupes progressistes, les groupes qui luttent contre les violences sexuelles, les groupes de défense des droits de l’Homme », a-t-elle expliqué, soulignant la manière dont ces organisations avaient rapidement pris la parole lorsque les auteurs de telles violences avaient été Boko Haram ou l’État islamique.
« Quelle différence avec le 7 octobre ? Il n’y a qu’une seule différence, et cette différence est l’idée que ces victimes étaient toutes Juives », a-t-elle établi, déplorant qu’un nombre trop important de gens mettaient en doute la réalité de ces crimes à cause de cette idée ou qu’ils laissaient entendre que les victimes l’avaient mérité, d’une manière ou d’une autre.
« Certains universitaires de premier plan étudient cette affirmation laissant entendre que les violences sexuelles du 7 octobre ont été un acte de résistance. Je suis désolée mais le viol n’est jamais un acte de résistance », a souligné Lipstadt.
« Tout cela s’ancre dans l’antisémitisme », a-t-elle continué.
« MeToo sauf pour les Juives », a renchéri l’adjoint de Lipstadt, Aaron Keyak.
Pendant ce sommet virtuel, Lipstadt a aussi dénoncé ceux qui font de l’antisémitisme une arme à des fins politiques des deux côtés de l’échiquier.
Elle a fait remarquer que nombreux étaient ceux, à gauche, qui condamnaient l’antisémitisme à droite et vice-versa.
« Le problème, parfois, c’est que certains parmi tous ces gens sont dans l’incapacité de le voir lorsqu’il est proche d’eux. On ne peut pas utiliser l’antisémitisme comme une arme politique pour marquer des points face à vos adversaires », a-t-elle estimé.
« Dénoncez-le de l’autre côté mais dénoncez-le également quand il est juste à côté de vous », a-t-elle ajouté.
« Vous avez finalement beaucoup plus d’impact quand vous dénoncez l’antisémitisme chez les personnes avec lesquelles vous êtes en accord sur tout le reste… Ceux qui font de l’accusation d’antisémitisme une arme à des fins partisanes ou politiques sapent le combat contre l’antisémitisme dans son ensemble, ce qui place les Juifs dans une situation où ils courent plus de risques et ce, dans le monde entier », a ajouté Keyak.
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.