Marc Bloch, l’ardent républicain
Sous les pseudos "Chevreuse", "Arpajon" et "Narbonne", il constitue les Comités de la Libération de la région ; arrêté le 8 mars 1944, interné à Montluc et torturé des jours durant avant d'être fusillé
Médiéviste reconnu, père d’une nouvelle approche historique, Marc Bloch, dont Emmanuel Macron a annoncé samedi la panthéonisation, a été un citoyen engagé, soldat des deux guerres mondiales, patriote, antifasciste, fervent républicain et résistant mort fusillé en 1944 par les Nazis.
Sa grande œuvre reste la création en 1929, avec Lucien Febvre, de la revue des Annales d’histoire économique et sociale, fer de lance de l’école historiographique française. Longtemps considérée comme la revue d’histoire la plus prestigieuse, elle influencera nombre d’historiens à travers le monde.
« C’est le fondateur de l’histoire des mentalités, des croyances, des façons de penser », résume pour l’AFP l’historien Julien Théry. Avec notamment son maître-livre Les Rois thaumaturges (1924), il donne « à l’Histoire un autre objet que les grands noms, les grands événements, les batailles ».
« Il préfigure Braudel »
Ses méthodes pionnières permettent une nouvelle approche, avec « une Histoire qui s’intéresse aux profondeurs de la société » et saisit l’homme dans tous ses aspects. « Il préfigure Fernand Braudel » et son « Identité de la France », ajoute Théry.
« Passionné de la République » et grand patriote qui a signé dans les années 1930 le manifeste des intellectuels antifascistes, ce Juif athée, Poilu de la guerre 14/18, est à nouveau mobilisé en 1939. À sa demande, alors qu’il a 53 ans, six enfants et souffre d’une polyarthrite invalidante. « Je suis le plus vieux capitaine de l’armée française », disait-il.
Petit et mince, allure distinguée, fines lunettes cerclées d’intellectuel, cet homme d’abord parfois glacial tirera de la débâcle de 1940 un ouvrage sans concession, L’Etrange défaite. Son ouvrage le plus connu, publié à titre posthume après-guerre et racontant de l’intérieur, de façon implacable, « le plus atroce effondrement de notre histoire ».
Né le 6 juillet 1886 à Lyon, Bloch grandit à Paris où son père, historien lui aussi, va enseigner l’histoire ancienne à la Sorbonne.
Juif athée
Sa famille est juive, non pratiquante. « Marc Bloch n’avait foi qu’en une seule idée, la République », déclare auprès de l’AFP sa petite-fille, Suzette Bloch. Lui, disait qu’il ne revendiquait sa judéité que « dans un cas : en face d’un antisémite ».
Élève brillant, reçu à l’École normale supérieure, il obtient l’agrégation d’histoire-géographie et enseigne en lycée.
Après la guerre, où il s’illustre (Légion d’honneur et croix de guerre avec quatre citations), il épouse Simonne Vidal, fille d’un polytechnicien, dont il a six enfants. Il est nommé professeur à l’Université de Strasbourg puis, en 1936, à la Sorbonne.
En 1940, avec les lois anti-juives de Vichy, il est exclu de l’enseignement avant d’être temporairement rétabli.
Affecté à Montpellier, c’en est fini quand les Allemands envahissent la zone libre en novembre 1942. Avec les siens, il se réfugie dans la maison familiale de la Creuse avant de faire une nouvelle fois le choix de cette France qu’il aime tant.
« La France, dont certains conspireraient à m’expulser […] demeurera, quoi qu’il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur », écrit-il.
Il rejoint la Résistance, plonge dans la vie clandestine à Lyon, intègre le mouvement Franc-Tireur.
Sous le pseudonyme de « Chevreuse », puis « d’Arpajon » et « Narbonne », il constitue les Comités de la Libération de la région. Il est arrêté le 8 mars 1944, interné à la prison de Montluc et torturé pendant des jours.
En captivité, il redevient enseignant et instruit ses camarades d’infortune. « Si j’en réchappe, je reprendrai mes cours », leur confie-t-il.
Abattu à la mitrailleuse dans le dos
« Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France », résumait-il dans L’Etrange défaite, « ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération ».
Il est finalement fusillé par la Gestapo le soir du 16 juin 1944 dans un champ broussailleux près de Lyon. Exécuté à la mitrailleuse, dans le dos. Avec 29 autres camarades, suppliciés par groupes de quatre.
Ses cendres sont transférées en 1977 dans le caveau familial du cimetière du Bourg-d’Hem (Creuse).
Avec deux mots simples gravés en guise d’épitaphe, « Dilexit veritatem » – « J’ai chéri la vérité » -, la devise couchée en 1941 dans son « Testament spirituel ».