Meurtres de Douma: La famille des victimes salue le verdict, l’accusé fait appel
"Nous aurions aimé que cette décision soit prise avant le crime", dit l'oncle, tandis que la femme du tueur maintient son innocence : "Nous ne perdons pas espoir"
Cinq ans après qu’Amiram Ben Uliel a tué trois membres de la famille Dawabsha dans le village de Douma en Cisjordanie, le tribunal de district de Lod a rendu son verdict lundi : trois condamnations à perpétuité, plus 20 ans de réclusion.
Dans cet acte de terreur, l’un des plus brutaux à avoir été mené par un citoyen israélien ces dernières années, Ben Uliel a tué trois membres de la famille Dawabsha – Saad, Riham, et leur fils de 18 mois, Ali – dans un incendie criminel. Seul le fils aîné du couple, Ahmed, a survécu, malgré de terribles brûlures et cicatrices. Il avait 5 ans au moment des faits.
« La vérité est que je veux qu’il passe toute sa vie en prison », a réagi le grand-père d’Ahmed, Hussein Dawabsha, après l’audience auprès des journalistes.
La famille Dawabsha recevra également l’indemnisation maximale accordée pour un meurtre – soit 258 000 shekels – pour chaque membre de la famille tué, ainsi qu’un montant supplémentaire de 250 000 shekels pour la tentative de meurtre sur Ahmed, a annoncé lundi le bureau du procureur.
L’oncle d’Ahmad, Nasser Dawabsha, a relaté qu’il avait emmené son neveu, âgé de 10 ans, à l’école lundi à Douma : l’enfant ayant perdu une oreille lors de l’attaque, il ne pouvait pas porter de masque comme ses camarades à l’école.
« Il s’est mis à pleurer, nous demandant pourquoi il n’est pas comme les autres enfants », a rapporté Nasser Dawabsha.
« Ce sont des blessures profondes, très profondes, surtout pour Ahmed. Peu importe ce que le tribunal décidera, il ne lui rendra pas son enfance. C’est sa mère et son père qui auraient dû l’emmener à l’école aujourd’hui », a conclu l’oncle, la voix tremblante.
Il s’est dit satisfait de la décision du tribunal, mais a dénoncé qu’elle était arrivée trop tard pour sa famille. Aucune décision, a-t-il dit, ne peut restaurer la perte et les difficultés que la famille a endurées depuis la nuit de l’incendie dans le village de Douma, dans le nord de la Cisjordanie.
« C’est tout ce que nous pouvions espérer d’un tribunal israélien. Mais nous aurions aimé que cette décision soit prise avant le crime – que le gouvernement israélien agisse dès le début. Qu’il n’ait pas permis aux résidents d’implantations de venir et d’agir sous leur protection », a déploré Nasser Dawabsha.
« Nous espérons que cette sentence a un effet dissuasif, que cela envoie un message aux attaquants du ‘prix à payer’ et autres qui s’en prennent aux Palestiniens », a indiqué l’avocat de la famille Dawabsha, Omar Khamaisi, au Times of Israël.
Yael Atzmon, le procureur principal dans cette affaire, a déclaré qu’elle pensait que la sentence « envoyait un message important que le terrorisme est le terrorisme, et que quiconque perpétue une attaque pour des motifs idéologiques et racistes sera puni avec toute la force de la loi ».
Mais selon le groupe de défense des droits humains Yesh Din, 91 % des enquêtes sur les cas de violence contre les Palestiniens au cours des 15 dernières années ont été closes sans inculpation.
« De longues années de non-exécution et d’échec à traiter le problème ont conduit à la violence d’Amiram Ben Uliel et de ses semblables, qui nuisent à des personnes innocentes, comme ils ont fait du tort à la famille Dawabsha », a dénoncé le directeur du Yesh Din, Lior Amihai, dans un communiqué.
Les avocats de Ben-Uliel ont déclaré qu’ils feront appel de sa condamnation devant la Cour suprême.
L’accusé a avoué l’attentat à plusieurs reprises lors de son interrogatoire par l’agence de sécurité du Shin Bet. Certains de ces aveux ont cependant été rejetés par le tribunal en 2018 après que les juges ont déterminé qu’ils avaient été faits pendant ou immédiatement après un « interrogatoire musclé » ou sous la torture.
Yitzhak Bom, un avocat issu de l’association Honenu, a déclaré au Times of Israël : « Notre problème, bien sûr, n’est pas la sentence. Le principal problème est que le tribunal a accepté des aveux qui lui ont été extorqués soit sous la torture, soit par crainte de la torture, afin de le condamner. »
Bom a en outre affirmé qu’il y avait des contradictions entre les aveux et les témoins oculaires de la scène. La défense a tenté d’introduire de nouvelles preuves ces dernières semaines pour appuyer cette affirmation, à savoir une interview d’Ahmad Dawabsha par la chaîne de télévision Al Jazeera, dans laquelle le garçon semblait suggérer qu’il y avait au moins trois agresseurs, plutôt qu’un seul.
Le tribunal a rejeté l’argument, jugeant que les déclarations fragmentaires d’Ahmed, âgé de 10 ans, à une chaîne d’information ne pouvaient pas être acceptées comme preuve devant un tribunal cinq ans après la nuit de l’incendie criminel.
Après être sortie de la salle d’audience, la femme de Ben-Uliel, Orian, a continué à clamer l’innocence de son mari.
« Les juges n’ont pas cherché la vérité. Ils ont cherché à le faire condamner par tous les moyens nécessaires. Malgré toutes les preuves qu’il ne l’a pas fait, ils l’ont condamné. Mais nous n’abandonnons pas », a-t-elle assuré.
Toujours pour la défense de Ben Uliel, une vingtaine de rabbins ont signé une lettre ouverte demandant son acquittement. La liste comprenait certains des plus grands noms du sionisme religieux, dont le grand rabbin de Beit El, Shlomo Aviner, le grand rabbin de Safed, Shmuel Eliyahu, le grand rabbin de Kyriat Arba, Dov Lior, et le rabbin Zvi Tau.
« Personne ne conteste que les aveux d’Amiram, seule preuve contre lui, lui ont été extorqués par la torture… c’est suffisant pour justifier sa libération », peut-on lire dans la lettre.
Seuls quelques députés ont commenté la condamnation, tous issus du parti de la Liste arabe unie. Le numéro un de la formation, Ayman Odeh, a salué la décision.
« La condamnation de l’assassin de la famille Dawabsheh est une justice partielle pour les victimes et pour le jeune [Ahmed], qui a survécu à cette horrible nuit. Une justice complète sera rendue avec la fin de l’occupation et la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël », a commenté le député.
Amiram Ben-Uliel avait un complice – dont le nom est interdit à la publication car il était encore mineur au moment des faits. Celui-ci a conclu un arrangement judiciaire avec le bureau du procureur de l’État dans lequel il a admis avoir co-planifié l’incendie de la maison de la famille Dawabsha, sans y participer. La mise en examen dressée à son encontre avait été modifiée pour ne plus mentionner la mort de l’enfant et des parents au cours de l’attentat.
La cour de district de Lod a par la suite estimé qu’il appartenait à une organisation terroriste, rajoutant cette accusation supplémentaire au casier judiciaire de ce jeune homme aujourd’hui âgé de 19 ans.
Au mois de juillet 2019, le tribunal avait assigné l’accusé à résidence moins de deux mois après avoir écarté plusieurs de ses aveux qui, selon les magistrats, avaient été extorqués dans des conditions extrêmes lors des interrogatoires des enquêteurs du Shin Bet.
Jacob Magid a contribué à cet article.