Affaire Douma : La Cour invalide les aveux d’un mineur extorqués sous la torture
L'accusation a subi un revers majeur concernant l'adolescent accusé de participation à un incendie criminel, mais les aveux sous la torture d'un adulte ont été jugés recevables
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.

Un tribunal a rejeté mardi les aveux d’un adolescent complice accusé d’avoir participé à l’attentat à la bombe incendiaire meurtrier de 2015 dans une maison palestinienne de la ville de Duma, en Cisjordanie, déclarant dans un arrêt spectaculaire que la déposition avait été faite sous la contrainte.
Cependant, les aveux du suspect principal Amiram Ben-Uliel ont été validés, les juges ayant déterminé qu’il s’était écoulé suffisamment de temps entre le moment où il avait été torturé et celui où il avait reconnu le crime.
La décision constitue un obstacle majeur pour l’accusation, qui pourrait désormais devoir abandonner l’affaire contre le mineur non nommé accusé d’avoir aidé à planifier l’incendie criminel de la maison familiale Dawabsha le 31 juillet 2015, qui a tué le tout-petit Ali Saad Dawabsha et ses parents Riham et Saad Dawabsha. Un autre fils, Ahmed Dawabsha, qui avait 5 ans à l’époque, a subi des mois de traitement pour des brûlures graves causées par l’attaque.
Le mineur et Amiram Ben-Uliel, accusé l’année dernière d’avoir perpétré l’attaque, ont clamé leur innocence, insistant sur le fait qu’ils n’ont avoué le crime qu’après avoir été soumis à la torture par les interrogateurs du Shin Bet.

En avril, le Bureau du Procureur général a annoncé qu’il éviterait d’utiliser les aveux obtenus des suspects par des « moyens spéciaux », se référant à des aveux extorqués sous la contrainte.
L’accusation possède des preuves supplémentaires sur lesquelles fonder son acte d’accusation contre Ben-Uliel le liant à l’affaire de Duma. Les déclarations recevables du mineur ne concernent que d’autres incidents, pour lesquels il peut encore faire l’objet de poursuites.
Le tribunal a établi une distinction entre les aveux obtenus dans le cadre de ce que l’on appelle une « enquête nécessaire » et ceux qui sont obtenus lors d’un interrogatoire typique. Dans le premier cas, les enquêteurs sont autorisés à utiliser des méthodes renforcées contre les suspects en raison d’un « scénario de bombe à retardement » dans lequel les autorités pensent qu’une autre attaque pourrait être imminente.
Toutefois, le tribunal a jugé ces dépositions irrecevables.
« Ces méthodes ont gravement enfreint le droit fondamental des accusés à préserver l’intégrité du corps, de l’âme et de la dignité de l’accusé », ont écrit les juges Ruth Lorch, Tzvi Dotan et Devorah Atar. « L’utilisation de moyens spéciaux (torture)… que ce soit au cours d’une enquête nécessaire ou non n’est pas recevable. »

Les juges ont également récusé des aveux de Ben-Uliel peu après avoir fait l’objet d’une « enquête nécessaire ». Toutefois, ils ont estimé que les aveux ultérieurs concernant l’exécution de l’attaque étaient recevables dans le cadre de l’affaire contre lui.
« Ceux-ci ont été donnés de plein gré par l’accusé », a déclaré le tribunal, dans une décision qui a considérablement affecté le suspect principal.
La défense a fait valoir que les aveux obtenus sans contrainte devraient également être refusés car même si les suspects n’ont pas été torturés en temps réel pour faire leurs dépositions, ils craignaient que la torture continuerait s’ils ne parlaient pas.
Les juges ont écrit que l’utilisation constante de la torture par les interrogateurs du Shin Bet contre le mineur pendant quatre jours consécutifs rendait invalide tout aveu de culpabilité obtenu pendant les pauses de « l’enquête nécessaire ».
Toutefois, les aveux qu’il a faits après cette période de torture de quatre jours au cours de laquelle il a admis avoir participé à six autres attaques de crimes de haine visant des villages palestiniens ont été jugés recevables par le tribunal.
La décision de mardi a constitué un revers majeur pour le Shin Bet, qui a défendu avec véhémence la conduite de ses enquêteurs tout au long de l’enquête, affirmant que la défense se livrait à une campagne de diffamation contre l’agence.
La décision de rejeter tout aveu obtenu au cours d’une « enquête nécessaire » pourrait dissuader l’utilisation future de la torture pour obtenir des informations.
Toutefois, les juges ont laissé entendre que l’irrecevabilité des dépositions découlait du fait que les interrogateurs n’employaient pas la torture pour prévenir des crimes futurs, mais plutôt pour poursuivre les crimes passés.
Dans un communiqué faisant suite à la décision de mardi, les parents du mineur dont le nom n’a pas été révélé se sont dits « heureux que la vérité ait été dévoilée et que le tribunal ait décidé que notre fils n’avait rien à voir avec l’affaire Duma ».
Ils ont demandé la libération immédiate de leur fils et l’ouverture d’une enquête spéciale sur la conduite des interrogateurs du Shin Bet.

Dans les enregistrements de Ben-Uliel diffusés peu après son inculpation, il se souvient d’avoir été contraint de s’asseoir le dos incliné à 45 degrés pendant de longues périodes, ainsi que de « menaces, cris, hurlements, injures, coups, gifles ».
Il a fini par se dire : « Je vais inventer quelque chose pour qu’ils me relâchent » et je leur ai dit : « Je vais parler, je vais parler ».
« J’ai commencé à inventer des trucs. Toute une histoire, comment j’y suis allé, comment je me suis préparé et comment j’ai planifié », dit-il dans l’enregistrement. « Je leur ai dit que je l’avais planifié avec [nom], et je l’ai rencontré, nous avons effectué des reconnaissances et toutes sortes de choses. En tout cas, toutes sortes de choses qu’ils semblaient m’avoir fait comprendre [les interrogateurs] », se souvient-il.
Les abus présumés sont survenus après que le Shin Bet a obtenu le consentement du procureur général de l’époque, Yehuda Weinstein, pour considérer Ben-Uliel comme une « bombe à retardement », leur permettant d’utiliser certains types de torture au motif que les autorités pensaient que d’autres attentats étaient planifiés.

Une source proche de la défense ayant connaissance de l’enquête a déclaré au Times of Israel que les aveux de Ben-Uliel comprenaient des détails qui n’ont pas été rendus publics et qui n’auraient été connus que par quelqu’un qui était présent sur les lieux du crime.
En 1999, la Cour suprême de justice a condamné l’utilisation de méthodes d’interrogatoire violentes en l’absence d’une loi réglementant la question.
Dans sa décision, le tribunal a déclaré qu’il est interdit aux interrogateurs d’utiliser des méthodes telles que les chocs, les entraves et le manque de sommeil. Toutefois, le tribunal a statué qu’un interrogateur poursuivi pour torture pouvait prétendre qu’il l’avait fait dans le but de sauver des vies et qu’il serait donc exempté de toute responsabilité pénale.
L’oncle d’Ahmed Dawabsha, Nasr, qui est le tuteur du seul survivant depuis l’attaque, a déclaré au Times of Israel, avant la décision de mardi, qu’il n’avait aucune confiance dans le système juridique israélien.
« Trois ans se sont écoulés et nous sommes au tribunal, alors que dans tous les cas où l’accusé est palestinien, l’affaire est jugée dans un délai très court », a-t-il dit.
« Si les meurtriers sont acquittés, la justice israélienne deviendra leur complice et donnera le feu vert pour tuer d’autres Palestiniens innocents. »