Mort à l’âge de 97 ans d’Alice Shalvi, enseignante et pionnière du féminisme
La lauréate du Prix Israël, fondatrice de l' école pour filles Pelech de Jérusalem et du Réseau des femmes israéliennes, a fait bouger les lignes
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

La professeure Alice Shalvi, féministe intrépide, professeure des plus appréciées et lauréate de nombreux prix, dont le prix Israël, est décédée lundi matin à l’âge de 97 ans.
Fondatrice de l’école pour filles Pelech de Jérusalem et du Réseau des femmes israéliennes, elle s’était mariée et avait eu six enfants. À certains égards, elle était devenue féministe et professeure par accident.
Née en Allemagne en 1926 au sein d’une famille aisée réfugiée dans le Buckinghamshire, en Angleterre, en 1934, lors de la prise de pouvoir des nazis, elle avait survécu à la guerre sans trop de dommages et dans un relatif confort. Elle avait néanmoins été profondément émue par les survivants de la Shoah dont elle avait fait la connaissance en Angleterre, après-guerre, et marquée par l’antisémitisme feutré qui sévissait en Grande-Bretagne.
Elle avait étudié à la London School of Economics pour décrocher un diplôme en travail social, dans l’espoir d’aider les survivants à se réadapter.
Sioniste convaincue, Shalvi avait été envoyée au 22e Congrès sioniste à Bâle, en 1946, en qualité de représentante des étudiants juifs britanniques.
En immigrant en Israël en 1949, elle avait découvert que le métier de travailleur social n’existait pas encore dans le tout jeune pays et elle s’était tournée vers l’enseignement, donnant ainsi une orientation qui devait la guider toute sa vie.
«Je me suis aperçue que l’enseignement est l’une des professions les plus gratifiantes qui soient et qu’à condition de l’exercer avec conviction, avec une attention particulière portée aux relations avec autrui, c’est presque du travail social. Les deux métiers demandent de l’empathie, une capacité d’écoute, de communication et d’empathie », écrivait Shalvi dans ses mémoires, publiées en 2018, « Never A Native ».
Elle avait enseigné au sein du Département d’anglais de l’Université hébraïque, où elle avait obtenu un doctorat. Elle avait fini par diriger les Départements de littérature anglaise de l’Université hébraïque de Jérusalem et de l’Université Ben Gurion du Neguev, terrassant de profonds préjugés envers les femmes, considérées comme des citoyens de seconde classe dans le milieu universitaire.
Shalvi était passée de l’université à l’enseignement secondaire et elle avait pris la direction de Pelech en 1975, école expérimentale pour filles religieuses qui enseigne le Talmud, une première en matière d’éducation religieuse.
Shalvi était devenue mère de deux filles et elle sera restée en poste jusqu’en 1990.
Tous les moments de l’existence de Shalvi, juive pratiquante, auront été une occasion donnée de faire advenir le changement.
En 1984, elle avait été la fondatrice et directrice (plus tard présidente) du Réseau des femmes israéliennes, après la visite en Israël de l’icône féministe américaine Betty Friedan. Le Réseau des femmes israéliennes s’attaque aux discriminations et aux injustices faites aux femmes au sein de la société israélienne, aux préjugés professionnels justifiant l’attribution de postes inférieurs aux femmes – en politique comme dans le milieu religieux ou de l’enseignement.
Désireuse de créer un Département des études de genre à l’Université Ben Gurion, elle avait commencé par enseigner le théâtre aux femmes avant de créer un cursus d’études de genre, qui devait devenir plus tard un Département indépendant.
Shalvi et son bien-aimé mari Moshe Shalvi, décédé en 2013, avaient eu six enfants. Elle parlait souvent des débats qui faisaient parfois rage au sein de sa propre famille sur la question de la présence des mères.
Cela avait été, en effet, Moshe Shalvi qui s’était occupé de la maison et de la famille, avait expliqué Shalvi dans une interview accordée au Times of Israel, lorsqu’un de ses parent âgés était venu vivre avec eux.
Trouver l’équilibre entre le travail et la maison est une lutte, disait Shalvi, alors que cela ne devrait pas être le cas.
« La vie devrait être un mélange de travail, de famille et de communauté », avait-elle estimé.
« On devrait pouvoir prendre soin de sa famille, gagner convenablement sa vie et être présent pour sa communauté. C’est bien le signe du besoin d’un changement structurel : la parentalité doit être reconnue comme un travail à temps plein,» avait-elle ajouté.
Des congés parentaux plus longs et des horaires de travail flexibles doivent faire partie de ce changement structurel, affirmait Shalvi.
Celle qui avait fait progresser la condition féminine en Israël n’avait pas échappé à la critique.
Elle avait écrit à propos de son alyah, de la bénédiction reçue sur un rouleau de la Torah un matin de shabbat, à propos aussi de son expérience de conférencière invitée dans une synagogue conservatrice de Milwaukee, et de la première fois qu’elle avait vu un rouleau de la Torah de près, à l’âge de 53 ans.
« Si j’avais été un homme, j’aurais vécu cela 40 ans plus tôt », avait-elle noté.
Cette expérience avait changé son approche religieuse, et elle avait commencé à fréquenter une synagogue conservatrice avec une approche plus équilibrée du rôle des femmes. Elle était devenue rectrice de l’Institut Schechter, affilié au mouvement conservateur, durant quatre ans.
Malgré les nombreux changements induits par Shalvi au gré de sa longue existence israélienne, elle écrivait dans « Never a Native », à l’âge de 94 ans, « ne pas se sentir considérée comme une vraie Israélienne ».
Alice Hildegard Margulies était née à Essen, en Allemagne, de Benzion et Perl Margulies. Son décès laisse dans la peine cinq de ses six enfants (l’un est déjà décédé), 21 petits-enfants et 26 arrière-petits-enfants.