Israël en guerre - Jour 593

Rechercher

Naître dans le camp nazi de Ravensbrück et survivre

Ces bébés ont survécu à l'extermination, à la faim, aux maladies dans le plus grand camp de concentration nazi pour femmes et enfants

Guy Poirot, né le 11 mars 1945 au camp de concentration de Ravensbrück, pose avec un portrait de sa mère tiré du livre « De la résistance » à Nancy, dans le nord-est de la France, le 10 décembre 2024. (Jean-Christophe Verhaegen/AFP)
Guy Poirot, né le 11 mars 1945 au camp de concentration de Ravensbrück, pose avec un portrait de sa mère tiré du livre « De la résistance » à Nancy, dans le nord-est de la France, le 10 décembre 2024. (Jean-Christophe Verhaegen/AFP)

Ingelore, Mikolaj, Sylvie, Guy ou Jean-Claude ont tous un point commun : ils sont nés à Ravensbrück et font partie de cette poignée de bébés qui ont survécu.

« La volonté des femmes, un collectif, a fait qu’on s’en soit sortis », tient à rendre hommage le Français Guy Poirot, né le 11 mars 1945. « On était les enfants de toutes ces femmes, médecins, avocates, agricultrices… »

L’Allemande Ingelore Prochnow, qui a vu le jour en avril 1944, les appelle affectueusement « mes mères de camp », ces femmes internées avec plus de 130.000 autres, dont 20.000 à 30.000 sont mortes durant leur détention.

Jusqu’en 1943, la majorité des femmes enceintes dans le deuxième plus grand système concentrationnaire après Auschwitz-Birkenau, sont soumises à des avortements par injection létale jusqu’à huit mois de grossesse ou voient leur nouveau-né étouffé, noyé, brûlé.

Les détenues – juives, roms, opposantes politiques, droit commun – cachent leur grossesse par peur d’aller au « Revier », « l’infirmerie » synonyme de maltraitance médicale et de sélection pour les exécutions.

Comme les autres, elles travaillent douze à quatorze heures par jour à pousser des wagonnets, transporter des briques, recoudre des uniformes ou aller à l’usine Siemens.

Le logo du conglomérat industriel allemand Siemens à son siège à Munich, en Allemagne, le 24 juin 2016. (AP Photo/Matthias Schrader, fichier)

« Aucun des surveillants ne tenait compte de mon état physique, malgré ma grossesse avancée (…) De nombreuses fois, on m’a battue et donné des coups de pieds », écrit dans un témoignage la Polonaise Waleria Peitsch, maman d’un petit Mikolaj né le 25 mars 1945. Elle fait partie du plus grand convoi de femmes enceintes arrivées après l’insurrection de Varsovie en août 1944.

Elles endurent, parfois à en mourir, les appels interminables, les épidémies, les coups.

« Kinderzimmer » 

Au gré d’un changement de médecin-chef à l’automne 1943, les accouchements sont tolérés, en silence pour ne pas déranger.

Camp de concentration de Ravensbrück en Allemagne, 1939. (Archives fédérales allemandes)

Madeleine Aylmer-Roubenne met au monde Sylvie, le 21 mars 1945, dans « une petite salle étroite, une sorte de couloir, pas d’eau, pas de WC à proximité, pas d’électricité, rien qu’une bougie sur le sol ».

Sa sage-femme allemande, déportée de droit commun, dérobe au péril de sa vie forceps et chloroforme dans le « Revier » où il existe « une salle de gynécologie parfaite avec tous les instruments d’obstétrique », narre la jeune résistante française dans son livre J’ai donné la vie dans un camp de la mort.

Même solidarité une fois le bébé né, symbole d’espoir. Les femmes volent des chiffons pour faire des couches, de la nourriture, dix petites bouteilles utilisées comme biberons et les gants d’un médecin dont les doigts servent à fabriquer des tétines.

« Les femmes nettoyaient les nourrissons avec la boisson tiède qu’elles recevaient le matin, les réchauffaient, les protégeaient de l’arbitraire des surveillantes. Ma jeune mère seule n’aurait pas pu me garder en vie », dit Ingelore Prochnow.

La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock marche dans le crématorium lors de sa visite de l’ancien camp de concentration nazi pour femmes de Ravensbrück près de la ville de Fuerstenberg, en Allemagne, jeudi 29 février 2024. (AP/Markus Schreiber)

Les nouveau-nés sont regroupés à compter de septembre 1944 dans une « Kinderzimmer », une « chambre des enfants » où l’espérance de vie ne dépasse guère trois mois, raconte leur puéricultrice française Marie-José Chombart de Lauwe dans son ouvrage Résister toujours.

Des bambins ont les doigts rongés par des rats la nuit car ils y sont enfermés seuls, poursuit-elle. Presque tous sont emportés par la faim, le froid qui atteint -15°C, la dysenterie, le typhus…

Les mères travaillent et sont autorisées à venir cinq fois par jour mais elles sont rares à pouvoir allaiter. Le lait en poudre manque avec deux biberons à partager entre 20 à 40 nourrissons.

« Maman n’avait plus de lait. Une Tsigane roumaine et une Russe, qui venaient de perdre leur bébé, m’ont donné la tétée », raconte le Français Jean-Claude Passerat-Palmbach. Né le 13 novembre 1944, il survit grâce à la générosité des prisonniers de la ferme où sa mère travaille ensuite.

Les bébés, « des petits vieux »

Les bébés ressemblent rapidement à « des petits vieux », constate Marie-José Chombart de Lauwe. La peau ridée, le ventre gonflé, un visage triangulaire, ils souffrent d’abcès, de diarrhées vertes.

En 1945, la situation empire. Environ 6 000 personnes sont gazées à Ravensbrück, des milliers de femmes et enfants sont envoyés vers d’autres camps.

Des détenues doivent cacher dans leurs jupes Sylvie Aylmer et son « frère » de camp Guy Poirot pour monter dans un car de la Croix-Rouge suédoise. Selon un accord passé avec le chef SS Heinrich Himmler, elle évacue 7 500 déportées du 23 au 25 avril.

Ingelore Prochnow, elle, part avec sa mère dans une « Marche de la mort » de 60 km quand, à l’approche des soldats soviétiques, les nazis forcent leurs prisonniers à marcher pour les transférer vers d’autres camps en Allemagne et en Autriche. Elles seront libérées le 2 mai 1945.

Les bébés qui ont pu quitter Ravensbrück vivants sont nés pour la plupart juste avant la libération du camp, situé à 80 km au nord de Berlin, les 29 et 30 avril par l’Armée rouge.

Un registre sauvegardé par une rescapée tchèque fait état de 522 naissances entre septembre 1944 et avril 1945. Trente ne portent pas de mention de décès. Certains ont été transférés à Bergen-Belsen (en Allemagne) où « seuls quelques nouveau-nés survécurent », selon Valentine Devulder autrice d’une thèse sur les femmes enceintes dans les camps de concentration nazis.

De retour chez eux, les petits grandissent, vont à l’école et prennent conscience parfois tardivement de leur naissance si particulière.

Sylvie Aylmer, née le 21 mars 1945 dans le camp de concentration nazi de Ravensbrück en Allemagne, pose avec le portrait de sa mère, la résistante Madeleine Aylmer-Roubenne, à son domicile à Paris, le 10 décembre 2024. (Crédit : Joel Saget/AFP)

Comme Sylvie Aylmer à qui, petite, sa mère n’a jamais dit que son lieu de naissance était un camp de concentration. Pour elle, Ravensbrück était « un village français ».

« J’ai découvert cela à l’âge de 13 ans (quand) ma sœur et moi-même sommes allées à une exposition sur Ravensbrück. On n’avait pas du tout été prévenues. Les déportés nous prenaient dans leurs bras. Ça avait été un choc », se souvient-elle. Elle a toujours refusé d’y mettre les pieds : » Cela me crée des frayeurs ».

Le Polonais Mikołaj Skłodowski, devenu prêtre, y a célébré plusieurs messes et y accompagne souvent des jeunes pour leur « parler des souffrances des camps de concentration, c’est un devoir envers ceux qui y sont restés à jamais ».

Fil conducteur de toute leur vie, les conditions de cette naissance leur a causé enfants des problèmes de santé.

Un survivant du camp jette une rose dans le lac lors d’une cérémonie à l’ancien camp de concentration nazi de Ravensbrück dans le nord-est de l’Allemagne, dimanche 19 avril 2015, pour commémorer le 70e anniversaire de la libération du camp par l’Armée rouge le 30 avril 1945. (AP/Ferdinand Ostrop)

Guy Poirot, qui va dans les collèges et lycées faire des conférences « pour que cela ne revienne pas », est resté « très marqué psychologiquement par la déportation ». Cet ex-fonctionnaire père d’un fils, a eu toute sa vie « une santé fragile », dit-il.

Sylvie Aylmer a souffert, petite, d’anorexie et a été en analyse pendant plusieurs années. « Les relations n’étaient pas faciles avec ma mère. Quand elle me voyait, elle voyait les camps », relate cette ex-fonctionnaire maman de deux enfants.

Ingelore Prochnow, abandonnée par sa mère à l’âge de quatre ans après avoir survécu au camp, n’a appris son histoire qu’à l’âge de 42 ans.

Elle se dit « résiliente et rarement malade » mais sa fille cadette est devenue anorexique. « Notre fille pesait 30 kg lorsqu’elle est morte. Elle ressemblait à une prisonnière de camp de concentration et pensait encore devoir porter mes fardeaux sur ses épaules », explique cette femme au foyer mère de deux enfants.

« Elle est décédée en 2019 à 50 ans avec comme dernier diagnostic présumé, un ‘traumatisme transgénérationnel’. »

En savoir plus sur :
S'inscrire ou se connecter
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
Se connecter avec
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation
S'inscrire pour continuer
Se connecter avec
Se connecter pour continuer
S'inscrire ou se connecter
Se connecter avec
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un email à gal@rgbmedia.org.
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.
image
Inscrivez-vous gratuitement
et continuez votre lecture
L'inscription vous permet également de commenter les articles et nous aide à améliorer votre expérience. Cela ne prend que quelques secondes.
Déjà inscrit ? Entrez votre email pour vous connecter.
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
SE CONNECTER AVEC
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation. Une fois inscrit, vous recevrez gratuitement notre Une du Jour.
Register to continue
SE CONNECTER AVEC
Log in to continue
Connectez-vous ou inscrivez-vous
SE CONNECTER AVEC
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un e-mail à .
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.