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Opinion

Netanyahu nomme Smotrich ministre de facto de la Cisjordanie – un pari hasardeux

Un accord de coalition stupéfiant accorde au leader de Hatzionout HaDatit toute la responsabilité de la Judée-Samarie biblique qu'il veut annexer - seul Netanyahu pourra le retenir

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Le chef du Likud, Benjamin Netanyahu, à gauche, et le chef du parti HaTzionout HaDatit, Bezalel Smotrich, signant un accord de coalition à Jérusalem, le 1er décembre 2022. (Crédit : Likud)
Le chef du Likud, Benjamin Netanyahu, à gauche, et le chef du parti HaTzionout HaDatit, Bezalel Smotrich, signant un accord de coalition à Jérusalem, le 1er décembre 2022. (Crédit : Likud)

Dans ses quatre pages dactylographiées en petits caractères, « l’annexe » de l’accord de coalition qui a été signé et diffusé au début de la semaine par le Likud de Benjamin Netanyahu et le parti Hatzionout HaDatit de Bezalel Smotrich confère à ce dernier des pouvoirs équivalents à celui d’un Premier ministre de la Cisjordanie. Ou plutôt, comme le dirait très certainement Smotrich lui-même, de Premier ministre de la Judée-Samarie biblique.

Une clause, la Clause 6.4, précise que le parti Hatzionout HaDatit nommera un ministre, au sein du ministère de la Défense, qui aura « la charge des domaines d’intervention » du COGAT (le Coordinateur des activités dans les territoires) et de l’Administration civile. Smotrich n’a pas caché sa volonté d’assumer lui-même cette nouvelle fonction au ministère de la Défense, un rôle aux pouvoirs immenses, en plus de son arrivée imminente à la tête du ministère des Finances, en conservant les bureaux et les personnels des deux ministères. (Le COGAT est une unité du ministère de la Défense qui, en résumé, administre la Cisjordanie ; l’Administration civile, qui est intégrée dans le COGAT, est une sorte d’équivalent des ministères gouvernementaux et elle gère les problématiques liées aux populations israéliennes et palestiniennes en Cisjordanie ainsi que la délivrance des permis de construire dans la Zone C, les 60 % du territoire où sont situées les implantations israéliennes).

Et au cas où la Clause 6.4 ne s’avère pas suffisamment explicite, une seconde clause, la 21, fait savoir que « le ministre sus-mentionné au sein du ministère de la Défense aura la responsabilité pleine et entière des domaines d’intervention du COGAT et de l’Administration civile ».

L’accord précise encore ailleurs que le nouveau ministre sera chargé de désigner les chefs du COGAT et de l’Administration civile. La nomination du responsable du COGAT était jusqu’à présent confiée au ministre de la Défense, ce qui souligne l’amenuisement du rôle du ministre de la Défense ainsi et ce qui met en exergue un transfert de pouvoirs sans précédent en direction de ce deuxième ministre de la Défense.

Il y a un bémol. Saupoudrées généreusement dans tout l’accord, avec des formules variant de manière subtile, il y a des phrases stipulant que la nouvelle autorité de Smotrich et ses éventuelles initiatives seront soumises « à l’approbation du Premier ministre », à la « confirmation » du Premier ministre ou « à l’accord » du Premier ministre.

L’accord confirme de façon transparente le contexte politique dans lequel il a été « négocié » : d’un côté, il y a Smotrich, qui a grandi à Beit El, qui habite Kedumin, qui milite de manière implacable en faveur de l’établissement de la pleine souveraineté juive sur la terre biblique d’Israël dans son intégralité et qui est bien décidé à utiliser son influence post-électorale pour atteindre un objectif qu’il considère comme l’accomplissement de la volonté divine. Et de l’autre, il y a Netanyahu, futur Premier ministre présumé dont la majorité parlementaire – incontestable – dépend du soutien apporté par toutes ses composantes de droite, d’extrême-droite et ultra-orthodoxes. Parmi les membres de cette coalition, Smotrich apparaît clairement comme le plus implacable et le plus déterminé.

Le leader du Likud, Benjamin Netanyahu, à gauche, parlant avec le chef du parti HaTzionout HaDatit, le député Bezalel Smotrich, lors de la cérémonie de prestation de serment de la 25e Knesset à Jérusalem, le 15 novembre 2022. (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

J’ai utilisé « négocié » entre guillemets parce que, à la lecture de l’accord conclu entre le Likud et Hatzionout HaDatit, il est presque possible d’entendre Smotrich et ses représentants en train de dire : « Nous voulons ça, ça et ça » – qu’il s’agisse de l’autorité énorme de Smotrich sur la Judée-Samarie, de sa nomination en tant que vice-ministre et seul président en titre de la Commission ministérielle sur les implantations en cas d’absence de Netanyahu, des responsabilités supplémentaires qui lui sont dorénavant confiées sur la question des implantations par le biais d’un ministère des Missions nationales tout juste rebaptisé, de la supervision du système d’enseignement orthodoxe de l’État, de l’Autorité sur l’éducation « culturelle juive »…

Et il est presque possible aussi d’entendre les représentants du Likud, à qui Netanyahu avait dit de conclure l’accord à n’importe quel prix, disant : « D’accord, d’accord, va pour ça, prenez ».

Ce qui s’est passé au cours de ce mois de négociations, interrompues avant d’être reprises à plusieurs occasions, avec ces pourparlers qui auront débouché sur cet accord, c’est, en d’autres mots, l’histoire d’un Premier ministre désigné qui a voulu désespérément s’attacher son partenaire de coalition le plus idéologiquement inflexible, cédant la boutique – dans ce cas, la Cisjordanie – en substance. Et – il y a encore un bémol – en pariant qu’il saura prévenir tout du moins les conséquences les plus graves de ses faiblesses.

Le fait est que l’Histoire politique israélienne est remplie d’accords de coalition rompus – comme Netanyahu le sait mieux que personne. Souvenons-nous de cet accord de coalition d’une complexité allant jusqu’à l’absurde qu’il avait conclu avec Benny Gantz au mois d’avril 2020, ce qui lui avait permis d’investir un « gouvernement d’unité » le mois qui avait suivi. Si Netanyahu avait honoré cet accord, Gantz serait aujourd’hui Premier ministre depuis plus d’un an, comme le lui avait solennellement promis Netanyahu.

Sans aucun doute, une fois que sa coalition aura prêté serment, Netanyahu va tenter de mettre en application toutes ces clauses « soumises à l’approbation du Premier ministre », au moins sur les questions où il est en désaccord avec Smotrich. Sans aucun doute, il exhortera également Smotrich et les autres extrémistes dangereux qu’il a aidés à légitimer et qui, aujourd’hui, s’apprêtent à devenir des ministres de l’État d’Israël, à assimiler le contexte plus large dans lequel Israël évolue et à modérer en conséquence leurs activités.

Il soulignera probablement la nécessité de conserver la relation la plus étroite possible avec l’administration Biden pour déjouer les progrès incessants du régime iranien vers l’arme atomique, pour favoriser une opportunité potentielle d’officialiser au moins une forme de relation avec l’Arabie saoudite, et pour servir d’autres intérêts cruciaux d’Israël. Et il soulignera que l’État juif ne peut pas se permettre de connaître ce genre de crise majeure avec les Palestiniens que pourraient entraîner les tentatives de Smotrich d’imposer son agenda inflexible sur la Terre d’Israël et que le pays ne peut pas se payer le luxe d’une crise avec le monde musulman que la demande soumise par Ben Gvir d’autoriser la prière juive sur le mont du Temple serait susceptible de déclencher.

Le leader de HaRouah HaTzionit Bezalel Smotrich arrive à une réunion de négociations pour la coalition à Jérusalem, le 6 novembre 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Mais l’échelle et la portée des responsabilités qui ont été accordées à Smotrich en Cisjordanie – et l’estimation évidente faite par Netanyahu qu’il ne serait pas en mesure de former une coalition s’il ne répondait pas favorablement aux demandes soumises par le leader d’extrême-droite, au moins en principe – soulignent l’influence acquise par Smotrich et l’importance du risque présenté dans les quatre pages de l’accord passé entre le Likud et Hatzionout HaDatit :

Netanyahu est un politicien remarquable, mondain, rusé, éloquent, infatigable, et il précède généralement de plusieurs pas pratiquement tous ses adversaires. Mais il est en train de former un gouvernement dans lequel il a octroyé à Smotrich toute l’autorité nécessaire pour qu’il puisse prétendre atteindre ses objectifs – avec initialement la légalisation des avant-postes illégaux et l’expansion majeure des implantations et, à terme, l’annexion de la Cisjordanie toute entière avec des droits très limités qui seraient accordés aux Palestiniens. Ce qui entraînerait un séisme dans la région, un tremblement de terre que seul Netanyahu pourra prévenir. Il a offert en même temps à Ben Gvir un contrôle sans précédent sur la police et sur les forces de la police des frontières déployées en Cisjordanie alors même que Ben Gvir a annoncé qu’il voulait assouplir les règles qui encadrent les tirs à balle réelle – là encore, seul Netanyahu pourra l’en empêcher.

Cet homme politiquement dépendant, âgé de 73 ans, va avoir la responsabilité de calmer les ardeurs de forces ambitieuses, vigoureuses, qui sont devenues aujourd’hui extrêmement puissantes. Ce même homme, qui est apparemment prêt à porter un préjudice au système judiciaire pour s’extraire de son procès pour corruption, devra aussi se battre contre l’opposition, dans le pays, et contre une grande partie des Juifs de la Diaspora s’il cède aux demandes des ultra-orthodoxes qui exigent d’être exemptés du service militaire et qui veulent encore revoir à la baisse le statut du judaïsme non-orthodoxe.

Capture d’écran de la vidéo du présumé nouveau Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d’une interview pour l’émission « Meet the Press » de NBC, le 4 décembre 2022. (Crédit : YouTube. Utilisé conformément à la clause 27a de la loi sur le droit d’auteur)

Ne vous inquiétez pas, a dit Netanyahu au public américain dans toute une série d’entretiens récents – préférant, et c’est compréhensible, les questions moins rigoureuses posées par les journalistes américains à l’âpreté des questions qui ont pu lui être posées par une partie des médias israéliens mainstream. Jamais il ne permettra que la communauté LGBT soit mise en danger, a-t-il promis, et ce même s’il a confié une autorité importante (et notamment sur les programmes enseignés dans les écoles) à Avi Maoz, prochain vice-ministre farouchement anti-LGBT. Il ne laissera pas Israël se transformer en théocratie comme Smotrich l’appelle de ses vœux, a-t-il juré. Il protègera la démocratie israélienne, a-t-il garanti, alors même que les partis de sa coalition naissante sont unis dans leur soutien à une loi qui paralyserait de manière drastique l’autorité de la Cour suprême et qui pourrait même la réduire à l’impuissance. Bien sûr, il n’a jamais été question de nommer le leader de Hatzionout HaDatit à la tête du ministère de la Défense, a-t-il dit, goguenard, négligeant de mentionner les pouvoirs qu’il a concédés par la suite à Smotrich.

Et ne vous inquiétez pas, pourrait sans doute insister Netanyahu, face au nouveau rôle de Smotrich et face à sa propre faiblesse – une faiblesse révélée par cette acceptation de toutes les demandes formulées par le député d’extrême-droite. Après tout, pourrait-il noter, comme le dit clairement l’accord conclu avec Smotrich, il disposera, en tant que Premier d’Israël, des moyens nécessaires pour contenir les ambitions du Premier ministre de facto de la Cisjordanie.

Une tâche qui s’avère énorme, même pour le remarquable Netanyahu. Et c’est la destinée d’Israël qui est aujourd’hui en jeu.

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