New York : À 73 ans, Bruce Springsteen fait toujours trembler la scène
Le 3 avril, au Barclays Center de Brooklyn, le Boss a régalé ses fans pendant près de 3 heures, réalisant ainsi le rêve d'enfant d'un gentil garçon juif du New Jersey
NEW YORK – Personne ne compte jusqu’à quatre comme Bruce Springsteen. L’auteur-compositeur-interprète de 73 ans a touché le cœur de millions de personnes avec sa musique, ses mots, sa voix. Mais en concert – l’arène dans laquelle il brille le plus – c’est en invoquant ces nombres entiers que son essence est la plus distillée : il veut vous préparer à l’esprit du rock ‘n’ roll.
Et la plupart du temps, il n’arrive même pas jusqu’à quatre que la foule est déjà déchaînée.
Lundi soir, au Barclays Center de Brooklyn, dans l’État de New York, Springsteen a interprété tous (enfin, la plupart) de ses tubes, des morceaux plus profonds et quelques nouvelles chansons triées sur le volet pour un groupe de fans en extase, dont je faisais moi-même partie. Il s’agissait du 23e concert de sa tournée nord-américaine et européenne avec le E Street Band, qui a débuté en février et qui s’achèvera en décembre. Un morceau en entraîne un autre (avec ce « ah, ONE-TWO-THREE-FOUR ! ») pendant deux heures et cinquante minutes sans relâche. Je ne pense pas que Springsteen ait bu une seule gorgée d’eau pendant tout ce temps. Ce n’est pas un homme ordinaire, c’est l’un des plus grands showmen de notre époque.
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Tous les spectateurs ont payé le prix fort ou se sont donné beaucoup de mal pour être présents : c’était difficile et coûteux d’obtenir des billets pour ces spectacles. Je vais être transparent et révéler que, en incluant les frais d’un courtier de revente, mon siège de niveau moyen m’a coûté 334 dollars. Une place dans la même catégorie au Barclays Center de Brooklyn pour un autre artiste m’aurait coûté 80 dollars. Mais comme je ne me comporte pas comme le personnage principal de la chanson « Johnny 99« , qui « a des dettes qu’aucun honnête homme ne pourrait éponger », je peux dire sans regret que cette soirée en valait chaque centime.
Et, pour ma part, cela faisait longtemps que je l’attendais.
J’aime Bruce depuis toujours, et bien que je l’aie vu faire deux de ses légendaires sit-ins avec d’autres artistes, je n’avais jamais assisté à l’un de ses spectacles mythiques avec le E Street Band. Il se trouve que la quintessence du baroudeur américain, qui a toujours chanté sur sa ville natale de Freehold, dans le New Jersey (voir, par exemple, des chansons comme « My Hometown » et « Freehold« ), chante aussi sur la mienne.
Permettez-moi d’apporter quelques précisions. Bruce est originaire de Freehold Boro et moi de Freehold Township. Ces deux quartiers de la ville sont littéralement situés de part et d’autre de la voie ferrée, ce qui, je le sais, semble sortir d’une chanson de Springsteen, mais c’est vrai. Je vais également le dire d’une manière brutale qui ne tient pas compte d’un grand nombre d’exceptions, mais voici ce qu’il en est : je viens de la partie juive de la ville et lui de la partie goy [non-juive].
Dans le Boro, vous avez plus de chances de trouver une maison avec une Chevrolet délabrée posée sur des parpaings sous une bâche bleue sur la pelouse. Dans le Township, vous trouverez plus de piscines.
Le film de Gurinder Chadha « Blinded By The Light » (2019), basé sur les mémoires de Sarfraz Manzoor, est un film formidable sur un garçon britannique, pakistanais et musulman dont la vie est changée et galvanisée par Bruce Springsteen. Il est attiré par l’énergie des enregistrements, mais aussi par l’essence purement américaine de leurs histoires. La spécificité est universelle, bien sûr, et même si le fait d’être « sorti de leurs cages sur l’autoroute 9, avec des roues chromées, de l’essence injectée, et de franchir la ligne de démarcation » n’a pas été littéralement immédiat pour lui, il a tout de même fait passer le message.
Même si j’ai emprunté l’autoroute 9 presque tous les jours de ma vie pendant mes 17 premières années, les personnages de Springsteen me semblaient toujours à mille lieues d’ici. Alors qu’il offrait la rédemption « sous ce capot sale », j’ai échoué à mon permis de conduire à de nombreuses reprises
Même si j’ai emprunté l’autoroute 9 presque tous les jours de ma vie pendant mes 17 premières années, les personnages de Springsteen me semblaient toujours à mille lieues d’ici. Alors qu’il offrait la rédemption « sous ce capot sale », j’ai échoué à mon permis de conduire à de nombreuses reprises. Malgré la proximité, ce mode de vie me semblait étranger.
Pourtant, j’aimais toujours la musique. En grandissant et en obtenant mes premiers emplois à temps partiel, posséder des albums comme « Born To Run », « Born in the U.S.A. », « The Wild, the Innocent & the E Street Shuffle » et « Tunnel of Love » (ce sont les quatre seuls que j’ai achetés à l’époque, Spotify n’existant pas encore) a été un outil essentiel pour m’aider à trouver un terrain d’entente quasi-immédiat avec les jeunes du Boro. Tout le monde aimait Bruce et était prêt à débattre pour savoir qui de « Rosalita » ou « Jungleland » était meilleur. Et une fois que vous parlez avec des gens, vous devenez leur ami. C’est une leçon que j’ai apprise très tôt.
(Oh, et si vous vous posez la question, « Rosalita [Come Out Tonight] » est plus amusant, mais « Jungeland » a plus de poids émotionnel – et Clarence Clemons y donne le plus grand solo de saxophone jamais enregistré dans un contexte rock, ce qui inclut Wayne Shorter avec Steely Dan et Sonny Rollins avec les Rolling Stones. Je suis prêt à partir en guerre pour défendre ce point de vue).
Dans « Blinded By The Light », il y a un gag récurrent dans lequel le père britannico-pakistanais du personnage principal est convaincu que Springsteen est juif. Principalement à cause de la prononciation du nom, mais aussi (et c’est un compliment) parce qu’il est un travailleur acharné et qu’il a du succès. Bien sûr, Springsteen est d’origine catholique irlandaise et italienne, mais sa carrière est en grande partie juive. Son premier champion, Jon Landau, producteur et manager de longue date, est un membre de la communauté. Deux membres essentiels du E Street Band, le pianiste Roy Bittan et le batteur Max Weinberg, sont également juifs.
Le « Mighty » Max est littéralement le pouls de cette opération à haute intensité (à peine une respiration en plus de trois heures pour ces septuagénaires, l’ai-je mentionné ?), et même si d’autres membres du E Street Band, comme le « Little » Steven Van Zandt en schmatte [« fripe » en yiddish], s’emparent des projecteurs en s’ébattant sur la scène, je pense que c’est Bittan qui est peut-être le meilleur musicien du groupe. Son brillant et puissant piano, qui remplace souvent le glockenspiel ou le célesta sur les albums, résonne vraiment en concert. Si vous voulez accuser les chansons de Springsteen de toutes se ressembler, c’est en grande partie grâce à Weinberg et Bittan. Pourquoi l’album « Bat Out Of Hell » de Meat Loaf sonne-t-il souvent comme du Springsteen ? Eh bien, ces deux gars ont joué dessus.
Ce n’est certes qu’un détail, mais ce qui m’a frappé à Brooklyn, c’est l’importance de l’humour dans le spectacle. Bruce ne badine pas beaucoup, mais lui et son meilleur ami Steve se lancent des répliques préparées à l’avance, ils se moquent de la foule et, à un moment du spectacle, le saxophoniste Jake Clemons et eux-mêmes se mettent même à imiter trois des plus grands sages juifs de l’histoire : Moe Howard, Curly Howard et Larry Fine. Ce serait peut-être un peu exagéré de qualifier le spectacle de Springsteen de Yiddishkeit [humour juif], mais lorsque 20 000 personnes sortent d’une arène en étant comme sur un nuage, il est impossible de ne pas le qualifier de vertueux.
Ce serait peut-être un peu exagéré de qualifier le spectacle de Springsteen de Yiddishkeit, mais lorsque 20 000 personnes sortent d’une arène en en étant comme sur un nuage, il est impossible de ne pas le qualifier de vertueux.
Il est tout à fait possible que ce soit la dernière grande tournée de Bruce Springsteen et du E Street Band. Personne ne rajeunit, et organiser quelque chose de cette envergure, n’est pas de tout repos. Il est à noter que la choriste et guitariste Patti Scialfa, qui est également l’épouse de Springsteen, a été largement absente de cette tournée. (Même sans elle, il y a quand même 18 personnes sur scène si l’on compte toute la section des cuivres). Elle est grand-mère depuis peu, et peut-être que les déplacements de Brooklyn à Cleveland, puis à Long Island, sont désormais moins excitants.
Mais si j’ai retenu quelque chose de cette soirée, c’est que l’expérience d’un « Bruce Springsteen en live » est l’une des rares choses à la hauteur du battage médiatique. Il n’y a pas eu beaucoup d’astuces de mise en scène et la liste des morceaux, à quelques modifications près, est la même d’un soir à l’autre. C’est juste de la pure énergie, de l’euphorie de ses fans et beaucoup d’émotions bien méritées. Deux des morceaux les plus récents, « Last Man Standing » et le dernier morceau, « I’ll See You In My Dreams », sont des chansons crues sur le vieillissement et la mort. La première évoque le choc de la perte d’un être cher, la seconde l’acceptation.
Le spectacle se termine par un moment de grâce, de chaleur et de joie. « Le E Street Band vous aime », dit Bruce, et il le pense vraiment. « Glory days, they’ll pass you by », avons-nous tous chanté à l’unisson peu de temps auparavant. Mais « I’ll See You In My Dreams », écrite près de 40 ans plus tard, reconnaît que chaque jour est un jour de gloire, tant que l’on s’efforce d’en faire un.
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